« On peut toujours regarder le verre à moitié vide, je crois qu’il faut aussi regarder le verre à moitié plein » Agnès Pannier-Runacher

©Ministère de la Transition énergétique

Publié le 08/12/2023

8 min

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La ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher sera de retour à Dubaï demain matin pour les négociations finales de la COP28 qui doit prendre fin le 12 décembre. Elle sera notamment la représentante spéciale de l’Union européenne avec son homologue irlandais Eamon Ryan pour les négociations portant sur les finances climat. Après les nombreuses annonces des premiers jours – validation du fonds pertes et dommage, accord sur les réductions de méthane, triplement des énergies renouvelables – est-il vraiment possible d’obtenir un engagement écrit des 190 États du monde sur la sortie des énergies fossiles ?

Par Laura Icart

 

Si la COP27 s’était terminée sur un goût d’inachevé, la 28e Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP28) a multiplié les annonces dès l’ouverture et a déjà cranté des avancées importantes comme la mise en œuvre effective du fonds sur les « pertes et dommages » des pays vulnérables. « Les COP sont des rendez-vous déterminants » a tenu à rappeler Agnès Pannier-Runacher lors d’un échange avec la presse ce matin. « Depuis la COP21, sans les efforts entrepris par les États, les scientifiques estiment que nous serions sur un scénario de réchauffement à un degré de plus qu’il ne l’est aujourd’hui. » « On peut toujours regarder le verre à moitié vide, je crois qu’il faut aussi regarder le verre à moitié plein » a ajouté la ministre française qui croit en la réussite de cette COP. Même si son entourage le reconnaît, les négociations sur les énergies fossiles, la maraude de chaque COP, seront « difficiles ». La France, qui est notamment à l’origine d’une initiative sur le charbon, espère des « avancées significatives » sur cette question.

Donner une « impulsion politique » aux négociations

La ministre française sera donc chargée avec son homologue irlandais de mener les négociations au nom de l’Union européenne sur la finance climat. « Une reconnaissance du rôle important joué par la France et le président de la République sur le sujet. »  L’idée est de « donner une impulsion  politique aux négociations » en valorisant notamment le rôle de l’Union européenne comme « premier pourvoyeur de finances climat au niveau international ». Si des discussions sur la mise en œuvre et sur la nature et le montant des financements seront bien à l’ordre du jour, il sera aussi question de définir les contours du futur objectif de finances climat post 2025 qui doit succéder à l’objectif annuel de 100 milliards de dollars par an de pour les pays en développement défini dans l’accord de Paris. « La France a beaucoup œuvré pour que ce fonds [pertes et préjudices, NDLR] puisse voir le jour » rappelle la ministre. « C’était essentiel  pour restaurer la confiance entre les pays du Nord et les pays du Sud. » Depuis l’annonce de sa création, 700 millions de dollars de promesses de dons ont été enregistrés. Les pays en développement réclament le même montant annuel que le fonds adaptation, à savoir 100 milliards de dollars annuels. Un fonds qui sera élargi à tous les pays et les institutions en mesure de contribuer via notamment des mécanismes innovants. Partager l’effort, c’était un point essentiel de négociation pour la France et pour Emmanuel Macron qui a plusieurs fois souligné au cours des derniers mois l’importance de partager l’effort financier au-delà des pays développés. La France s’est engagée à verser jusqu’à 100 millions d’euros « en fonction du ciblage sur les pays vulnérables », l’Arabie saoudite a également annoncé une enveloppe de 100 millions de dollars, quand aux États-Unis, ils pourraient verser jusqu’à 3 milliards de dollars sous réserve de l’approbation du Congrès.

2,6 milliards d’euros pour l’adaptation

Selon un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement publié le 3 novembre, les progrès en matière d’adaptation au climat « ralentissent sur tous les fronts alors qu’ils devraient s’accélérer pour s’adapter aux conséquences ainsi qu’aux risques croissants posés par le changement climatique ». Le rapport constate que les besoins de financements des pays en développement « en matière d’adaptation sont 10 à 18 fois plus importants » que les flux du financement public international. Ce chiffre est supérieur de plus de 50 % à l’estimation précédente. Selon le Pnue, les coûts modélisés de l’adaptation dans les pays en développement sont estimés à 215 milliards de dollars par an au cours de cette décennie. Le financement de l’adaptation nécessaire pour mettre en œuvre les priorités nationales en matière d’adaptation est estimé à 387 milliards de dollars par an. « Les financements français sur l’adaptation représentent 2,6 milliards d’euros en 2026, soit plus de 10 % des financements mondiaux » rappelle l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher. Au total, la France a fourni 7,6 milliards d’euros de financements climat en 2022.

« S’il faut sortir de toutes les énergies fossiles, le charbon doit être notre priorité pour tenir une trajectoire de neutralité carbone en 2050 ».

Des annonces positives

Plusieurs annonces ont été faites depuis le début de la COP. Plus d’une centaine de pays se sont engagés à tripler les capacités d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Le triplement des capacités mondiales de nucléaire à l’initiative de la France est une avancée « importante » indique la ministre qui souligne que « c’est la première fois que le nucléaire et des réunions autour sont instaurées dans une COP ». La France est également avec l’OCDE à l’initiative d’une nouvelle alliance sur la sortie du charbon (« coal transition accelerator »). Un « impératif » pour Agnès Pannier-Runacher. « S’il faut sortir de toutes les énergies fossiles, le charbon doit être notre priorité pour tenir une trajectoire de neutralité carbone en 2050 ». Un calendrier a été dressé en corrélation avec les préconisation du Giec : une sortie du charbon en 2030, une sortie du pétrole vers 2045 et une sortie du gaz en 2050. La demande mondiale de charbon a atteint un niveau record en 2022, avec 8,3 milliards de tonnes. En outre, plus de 500 GW de nouvelles capacités de production de charbon sont prévues et en construction et, selon l’AIE, pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, le monde devrait mettre hors service l’équivalent de 92 GW de capacités de production de charbon par an. Autre avancée significative selon la ministre : l’engagement de la France, de la Corée du Sud et du Danemark et de cinq des plus gros transporteurs maritimes mondiaux dont le français CMA CGM pour accélérer la décarbonation du transport maritime.

Obtenir la mention des énergies fossiles dans l’accord final

Au cours des prochains jours, la  priorité de la ministre française sera « d’obtenir des engagements sur la sortie des énergies fossiles et sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre », avec une coordination de ministres européens « renforcée » pour « appuyer politiquement » le commissaire européen au climat. Elle participera également à plusieurs réunions bilatérales avec l’Arabie saoudite, l’Allemagne, l’Inde, la Chine ou encore l’Australie. Obtenir un consensus de 195 pays sur une rédaction commune de sortie des énergies fossiles semble peu probable à stade. « Notre objectif est d’arriver à trouver un alignement des 195 pays pour mentionner toutes les énergies fossiles » dans un accord, indique le cabinet de la ministre. Actuellement, seul le charbon est explicitement cité. « Nous chercherons une rédaction ambitieuse » sur la nécessité de ne plus développer les capacités fossiles, de déployer plus de renouvelables et d’aller capter les émissions résiduelles de CO₂ via les technologies de CCUS. « Nous ne laisserons aucune ambiguïté sur le CCS » assure l’entourage de la ministre. Il ne s’agit nullement de « se servir de la technologie pour continuer à repousser l’exploitation des énergies fossiles ». L’objectif de la France et de l’Union européenne est qu’il y ait dans l’accord final une mention des énergies fossiles. Ce sera tout l’objet des principales négociations dans les prochains jours.