Le gaz au cœur de la cité

Publié le 27/09/2019

13 min

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Temps de lecture : 13 min 13 min

Après les gaz renouvelables en 2018, l’Association française du gaz (AFG) avait placé son congrès cette année sous le signe de la mobilité, de la rénovation énergétique ou encore de l’efficacité énergétique. Autant de sujets indissociables des territoires et des politiques qui y sont menées. Décryptage.

Par Laura Icart

Comment l’industrie gazière accompagne la transition énergétique en France, en Europe, avec de nouveaux usages et de nouveaux débouchés ? C’était l’axe majeur de ce congrès qui a souhaité replacer l’énergie gaz au cœur des territoires avec comme toile de fond la neutralité carbone à l’horizon 2050 et les principaux défis à relever pour y parvenir.

Le rôle du gaz dans la transition

Le président de l’AFG, Patrick Corbin, a rappelé son attachement à un « mix équilibré, diversifié et au meilleur coût ». Il n’a pas hésité à souligner « l’écart grandissant entre la position européenne qui table sur une réduction du gaz dans le mix énergétique et les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui elle au contraire prévoit une augmentation de la croissance de la demande d’ici 2040 » et a rappelé au passage « que l’électrification massive des usages, tels que prévue par la programmation pluriannuelle de l’énergie, était à nuancer dans notre pays car il n’était pas forcément synonyme de vertu ». Enfin, dans le secteur de la mobilité, le président de l’AFG a milité « pour la prise en compte par l’Europe d’une analyse de cycle de vie des véhicules (ACV), pour comparer ce qui est comparable en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) ». Lui qui reste convaincu que son industrie « forte de ses expertises, de ses infrastructures, peut et doit contribuer à la transition énergétique ».

Le biométhane, vecteur de transition énergétique

Le premier échange de cette matinée entre Patrick Corbin, Dominique Jamme, directeur général des services de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la Transition écologique et solidaire était consacré aux enjeux du gaz dans la cité. Il fut surtout question de biométhane, tant le projet de PPE représente une déception pour les gaziers. « Plus on baissera le prix du mégawatteure pour le biométhane mieux on se portera » a rappelé d’emblée Laurent Michel. Si les gaziers comprennent la nécessité d’une baisse de coût, Patrick Corbin insiste : il ne faut pas « tuer la filière en proposant une trajectoire inatteignable alors qu’aujourd’hui le biométhane est une réalité industrielle ». Dominique Jamme souligne quant à lui que « le biométhane est porteur de nombreuses externalités positives pour les territoires et l’objectif de 30 TWh de biométhane en 2030 est atteignable », ajoutant qu’une « filière qui devient mature doit se développer par des appels d’offres ». Reste « aux opérateurs de réseaux à mettre en place le droit à l’injection, en définissant des zonages afin de faciliter le raccordement du biométhane sur les territoires ». Autre enjeu important abordé : la sécurité d’approvisionnement. Une préoccupation loin d’être anodine lorsqu’on sait que la production d’électricité à partir de gaz a augmenté de 57 % en 2018 en France. L’industrie gazière a noté qu’elle participait à la sécurité énergétique de la France et de l’UE complémentant le cas échéant le système électrique. « Les opérateurs de réseaux gaziers ont amélioré leur efficacité et leur productivité ainsi que leur qualité de service », a expliqué Dominique Jamme en faisant un rapide bilan des 10 années écoulées, soulignant que le réseau français est particulièrement résilient. 

Plein phare sur le bioGNV

La mobilité est un axe fort pour l’industrie gazière car elle se matérialise de manière concrète sur les territoires. « C’est même l’outil privilégié pour décarboner rapidement les transports » a précisé Patrick Corbin en préambule de la première table ronde de la matinée consacrée aux mobilités de demain. Une donnée non contredite par les pouvoirs publics puisque Laurent Michel a noté que le gaz avait sa place dans la mobilité poids lourds, notamment en termes de bénéfices sur la pollution atmosphérique et CO2. « C’est pourquoi nous avons maintenu le suramortissement pour les camions ».

Jean-Luc Fugit, député du Rhône, président du Conseil national de l’air et rapporteur du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), après avoir rappelé que « pour parvenir à la neutralité carbone, l’interdiction de vente de véhicules neufs utilisant des énergies fossiles à horizon 2040 a été inscrite dans la loi », a évoqué le rôle du gaz, et plus particulièrement du biogaz, dans l’avenir des mobilités. « Le biogaz est un objectif à terme et la mobilité gaz fait partie de la solution ». Le député a également insisté sur le fait qu’il était « indispensable de promouvoir l’approche de l’analyse des cycles de vie pour un bilan carbone réel des véhicules au gaz ». Une remarque partagée par l’ensemble des participants. Selon Dominique Mockly, PDG de Teréga, « le principal défi des gestionnaires de réseaux de transport est d’accompagner la transformation de la mobilité au niveau local et régional ». Une stratégie qui passe évidemment par l’augmentation de la production de biométhane dont la mobilité est le principal débouché et par le développement d’une structure d’avitaillement conséquente. « À la fin de l’année 2020, le Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en Île-de-France (Sigeif) aura construit cinq stations à des endroits stratégiques pour la logistique de la région, avec pour ambition de favoriser et accélérer l’usage du biogaz » a expliqué Jean-Jacques Guillet, président du Sigeif, tout en mettant en évidence « la nécessité de développer un réseau de stations adéquat ». Un avis pleinement partagé par Jean-Luc Brossard, directeur R&D de la Plateforme de la filière automobile (PFA), qui estime qu’il faudrait construire 100 nouvelles stations par an d’ici à 2035. Depuis le début de l’année, 20 stations ont été mises en service. Si aujourd’hui le développement du GNV en France s’est principalement fait dans le secteur des transports lourds de personnes et de marchandises, il est toujours un enjeu important auprès des particuliers, notamment avec une offre constructeur qui émerge.« Le transfert modal du diesel vers le gaz est beaucoup plus facile à mettre en place, le potentiel pour les particuliers existe ! » a-t-il ajouté.

Comment nos voisins construisent-ils la ville de demain ?

« Pas de transition énergétique sans les molécules » a lancé pour ouvrir la table ronde consacrée à l’Europe et aux solutions pour inventer la ville de demain Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz et président du groupe de travail « réseau gaz » d’Hydrogen Europe. « Il y a un vrai bouillonnement intellectuel autour des molécules : dans la gazeification hydrothermale, la méthanisation, la méthanation, la pyrogazeification, la capture carbone… » Ce qui est certain pour le directeur du principal gestionnaire de transport européen c’est que « nous avons en France et en Europe un système d’infrastructures gazières qui permet de fournir des garanties de stockage et de flexibilité, il serait pertinent d’investir davantage dans la R&D pour les infrastructures de gaz ».

Dans les villes européennes, l’innovation est bien sûr au cœur des usages et les applications pour verdir le gaz sont nombreuses : dans les secteurs des déchets, agricoles ou dans la mobilité. Ce dernier secteur est hautement porteur comme l’a rappelé Olivier Bontemps, directeur général de l’agence belge de développement territorial Ideta : « Le gaz est un vecteur important qui apporte une plus-value à nos territoires. L’objectif est d’avoir 180 000 véhicules GNV à l’horizon 2030 en Wallonie », territoire qui compte une trentaine de stations aujourd’hui. En Espagne, plus de 20 000 véhicules roulent déjà au gaz, a relevé Marta Margarit, secrétaire générale de l’association espagnole du gaz Sediga, ajoutant que le gaz représentait dans son pays 17 % de l’énergie primaire consommée l’année dernière et qu’il avait permit l’évitement de 25 millions de tonnes de CO2 l’année dernière. Une flexibilité obtenue grâce au GNL. Et si le pays est bien pourvu coté infrastructures de GNL (6 terminaux méthaniers), il lui reste encore du chemin à faire pour développer les gaz renouvelables. Sedigas appelle le gouvernement espagnol à fixer une vraie politique incitative en faveur des gaz verts, dans un pays qui ne compte actuellement qu’une seule unité injectant dans les réseaux gaziers. De son côté Gerald Linke, président de l’association gazière allemande (DWGW), a indiqué que son pays envisageait une conversion du charbon au gaz et qu’une stratégie nationale de l’hydrogène serait annoncée d’ici la fin de l’année.

Le rôle essentiel du gaz dans les stratégies bas carbone

Didier Holleaux, le « monsieur gaz » du groupe Engie, en charge des business units Elengy, GRDF, GRTgaz et Storengy, a souligné que le gaz était « l’un des vecteurs de la transition énergétique, notamment dans sa capacité à se substituer rapidement au charbon », tout en rappelant l’ambition du groupe d’atteindre « un minimum de 10 % de gaz renouvelable injecté dans les réseaux en 2030 ». « Engie est convaincue que le gaz naturel aujourd’hui, renouvelable demain, a un rôle essentiel à jouer. » Si, dans les pays matures comme la France, on prépare la transition vers du biométhane ou de l’hydrogène renouvelable, dans d’autres pays son groupe promeut « la substitution du charbon par le gaz ». « Les solutions ne viendront pas seulement des gouvernements, mais ce sont les entreprises et les collectivités locales qui s’inscrivent dans des stratégies bas carbone », a insisté Didier Holleaux, précisant que l’énergéticien français avait réduit son empreinte carbone « de 50 % en trois ans ». 

Total précise son scénario

Grégoire de Saivre, directeur division stratégie et marchés de Total, a présenté le « Total Energy Outlook » et ses prévisions selon lesquelles la transition énergétique entraînait un rôle croissant pour le gaz naturel (principalement le GNL) et l’électricité dans le mix énergétique. « La croissance de la demande en énergie profitera principalement au gaz et à l’électricité et, sur ces marchés, le GNL et les énergies renouvelables connaîtront la croissance la plus rapide. Entre 2015 et 2040, on prévoit une augmentation de la demande mondiale de gaz de 1,8 % par an. Notamment pour la production d’électricité. » Total augmentera « ses ventes de GNL à 50 millions de tonnes par an d’ici 2025 ». Le groupe a prévu d’investir entre 1,5 et 2 milliards de dollars par an dans l’électricité à faible émission de carbone, notamment en Europe. La major française cible 8 millions de clients d’ici 2025.

La dernière table ronde de la journée était destinée à comprendre les leviers et les actions à mettre en place pour construire la ville de demain, à commencer par la rénovation énergétique de nos logements et un meilleur accompagnement de la maîtrise de l’énergie pour les consommateurs.

Quels moyens déployés dans nos villes ?

« Les réseaux de chaleur urbains sont aujourd’hui les solutions les plus décarbonées de chauffage, avec un impact de 116 grammes de CO2 par kWh » a souligné Carole Le Gall, directrice générale de la Business Unit France réseaux d’Engie, qui met également en avant les atouts des réseaux avec « récupération de la chaleur fatale et valorisation des renouvelables (géothermie et biomasse) ». Le mix énergétique des réseaux urbains étant composé à 40 % de gaz dans notre pays, le gaz apporte sa flexibilité, notamment pour couvrir les pointes. « Nous fédérons toutes les initiatives pour que le gaz de ville deviennent demain le gaz des campagnes » a lancé Édouard Sauvage, directeur général de GRDF, qui a évoqué sa « volonté de rassembler la filière biométhane dans une démarche réaliste  d’optimisation des coûts ». Jonathan Gainche, directeur général de Villes de France, a présenté le programme « Action cœur de ville » : un dispositif pour accompagner les 222 villes moyennes dans leur programme de revitalisation des centres-villes, notamment en termes de rénovation énergétique. « Aujourd’hui, 200 000 logements ont besoin d’être rénovés dans nos centres-villes. Les dépenses d’énergies pour nos collectivités représentent environ 4 % des frais de fonctionnement, c’est donc fondamental de trouver des solutions » a-t-il souligné. « Chez GRDF nous mettons en place des politiques d’efficacité énergétique pour accompagner nos clients vers une meilleure maitrise de leur énergie » a expliqué son directeur général. Une mission loin d’être vaine, selon Géraud Guilbert, président de la Fabrique écologique, puisque nous sommes « dans une transformation extrêmement profonde de l’énergie dans nos sociétés. On observe une volonté de se saisir des sujets énergétiques et une production d’énergie de plus en plus décentralisée ». Un avis partagé par Frédéric Delhommeau, directeur habitat et rénovation à l’Agence parisienne du climat : « Le « big data«  et l’ouverture des données énergétiques nous a permis de connaître la consommation d’énergie et le type d’énergie consommée. Nous avons pu adapter notre démarchage aux besoins des copropriétés. » Un fait rendu possible notamment par le déploiement des 4 millions de compteurs communicants gaz. « Nous constatons une baisse de la consommation de 1,5 % en moyenne chez nos clients depuis Gazpar » souligne Édouard Sauvage. Pour le président de la Fabrique écologique, la ville de demain « ne doit plus avoir de transport fioul, doit articuler la rénovation avec le mode de chauffage et mettre en place une stratégie du froid ».

La mobilité, le logement, l’essor du biométhane auront ponctué cette journée de débat. Pour Thierry Chapuis, délégué général de l’AFG, « la qualité des débats et la diversité des solutions sont de bon augure pour l’industrie gazière ». La recherche de technologies plus performantes doit être le fer de lance des gaziers d’aujourd’hui et de demain.

Crédit : AFG.