Un cocktail de pollution

Publié le 03/01/2020

12 min

Publié le 03/01/2020

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La qualité de l’air est devenue une préoccupation sanitaire et environnementale majeure ces dernières années. Et comment pourrait-il en être autrement, sachant que nous respirons en moyenne 8 litres d’air par minute, soit environ 12 000 litres quotidiennement. Si l’Europe connaît de lentes améliorations, la pollution atmosphérique dépasse toujours les limites établies par l’Union européenne et les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Confrontée régulièrement à des dépassements pour certains polluants, la France ne fait pas exception et si une politique volontariste pour réduire la pollution de proximité et les émissions de gaz à effet de serre (GES) est affichée, sur le terrain tout reste à construire, ou presque…

Par Laura Icart

 

Aujourd’hui, le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air intérieur et extérieur, à l’échelle mondiale, varie entre 7 millions (2015) selon l’OMS à près de 8,8 millions selon une récente étude parue dans la revue European Heart Journal.

Vaincre le « mal du siècle »

L’OMS, qui n’hésite pas à qualifier la pollution de l’air comme « la plus vaste crise à laquelle nous sommes confrontés en matière de salubrité de l’environnement » la définit comme « la contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques naturelles de l’atmosphère ». Si nous, Occidentaux, passons 80 % de notre vie à l’intérieur, l’OMS estime que 4,2 millions de personnes décèderaient prématurément à cause de la pollution ambiante de l’air extérieur dans les zones urbaines et rurales. Une mortalité principalement due à l’exposition aux particules d’un diamètre inférieur à 2,5 microns. Dans une récente étude, l’OCDE estime même que la pollution de l’air extérieur pourrait entraîner 6 à 9 millions de décès prématurés dans le monde d’ici 2060 et coûter 1 % du PIB mondial, soit quelque 2 600 milliards de dollars par an.

L’Europe respire mieux mais toujours mal

« La pollution de l’air est un tueur invisible et nous devons intensifier nos efforts pour agir sur ses causes » déclarait en novembre 2019 Hans Bruyninckx, directeur exécutif de l’Agence européenne de l’environnement (AEE). En Europe, si les émissions de nombreux polluants ont sensiblement diminué ces dernières décennies, le résultat de politiques publiques volontaristes mais aussi de progrès technologiques entraînant une amélioration de la qualité de l’air de la région, les concentrations de polluants atmosphériques demeurent trop élevées et les problèmes liés à la qualité de l’air persistent. Une majorité des populations européennes, particulièrement urbaines, vivent toujours dans des zones où les normes fixées en matière de qualité de l’air sont dépassées. Les personnes vulnérables ou sensibles (enfants, personnes âgées, fumeurs, malades du cœur ou des poumons, asthmatiques) sont également particulièrement exposées aux risques que fait peser cette exposition chronique à la pollution de l’air. Le transport routier, bien qu’il ne soit pas la seule (production d’énergie, résidentiel, industrie, agriculture), constitue l’une des principales sources de pollution atmosphérique en Europe, notamment à cause des fortes concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines et ultrafines : c’est l’un des principaux enseignements du rapport annuel de l’AEE « Air Quality in Europe » (2019).

Les populations urbaines principalement exposées

Le rapport note que 17 % de la population urbaine de l’UE était exposée à des niveaux de PM10 (particules de diamètre inférieur à 10 microns) supérieurs à la valeur limite quotidienne (50 µg/m3) et 44 % a été exposée à des concentrations supérieures à la valeur seuil des lignes directrices OMS relatives à la qualité de l’air, plus strictes (20 µg/m3). Des citadins qui sont également exposés pour 8 % d’entre eux à des concentrations de PM2,5 supérieures à la valeur limite annuelle fixée par l’UE (25 µg/m3). Un taux qui monte à près de 77 % si l’on tient compte des valeurs fixées par l’OMS (10 µg/m3). Environ 14 % de la population urbaine de l’UE est régulièrement exposée à des concentrations journalières d’O3 supérieures au seuil de l’UE (120 µg/m3/8h), estimation qui grimpe à 96 % pour l’OMS (120 µg/m3/8h). Si les niveaux d’O3 ont peu évolué en 20 ans, ce n’est pas le cas en revanche du dioxyde d’azote (NO2) : si ses concentrations restent encore supérieures à la limite autorisée par l’OMS et l’UE, elles ne concernent plus que 7 % de la population urbaine de l’Union, pourcentage le plus bas enregistré depuis l’an 2000.

Des impacts environnementaux mais aussi climatiques incontestables

La pollution de l’air endommage également le bâti, la végétation et les écosystèmes dans leur globalité. Les polluants de l’air les plus nocifs sont l’ozone (O3), l’ammoniac (NH3) et les oxydes d’azote (NOx). Les dernières estimations concernant l’exposition de la végétation à l’O3 indiquent que la valeur cible de l’UE a été régulièrement dépassée en 2016 sur 73 % des terres agricoles, entraînant des baisses significatives de rendements agricoles, et dans 63 % de nos forêts. L’AEE estime qu’environ 72 % de notre écosystème a été exposé à des niveaux de NOx dépassant les charges critiques d’eutrophisation en 2016.

Le monoxyde de carbones (CO2) est le principal gaz à effet de serre, responsable du changement climatique. L’UE a émis 4,1 Gt CO2 éq de GES en 2017. Si le chiffre reste conséquent, il a baissé de 25 % en 20 ans. Une nécessité puisque l’UE souhaite parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen souhaiterait relever les objectifs pour 2030, avec non plus 40 % mais 55 % de réduction des émissions de CO2 par rapport à 1990.

Des actions nécessaires à tous les niveaux de gouvernance

La législation européenne impose pour certains polluants atmosphériques des plafonds d’émission par État membre ainsi que des normes réglementaires communes de concentration dans l’air ambiant. Si les plafonds d’émission sont majoritairement respectés en 2017 (à l’exception de six pays), ce sont les normes réglementaires de qualité de l’air pour les concentrations de PM10, NO2 et O3 qui ne le sont pas : 22 pays les dépassent régulièrement, dont la France pour certaines zones. C’est pourtant bien cette pollution chronique, de fond, qui par son ampleur et sa constance, impacte durablement notre santé et notre environnement. Le 12 mars dernier, le Parlement européen demandait d’inclure plus de transversalité dans les politiques publiques, avec des actions à tous les niveaux de gouvernance, proposant une série de solutions pour lutter contre la pollution atmosphérique dans le secteur des transports, de la production d’énergie et de l’agriculture.

L’air : une prise de conscience citoyenne

En 2017, près de 30 000 Européens ont été interrogés lors d’une enquête sur la qualité de l’air dans les 28 pays membres : 54 % estiment être mal informés des problèmes de pollution de l’air dans leurs pays respectifs et ils déclarent même avoir l’impression que la qualité de l’air se dégrade en Europe alors qu’elle s’est au contraire améliorée, du moins concernant certains polluants. En France, la qualité de l’air est devenue un sujet de santé publique majeur, dixit le « Baromètre Français et environnement » publié par l’Ademe et où 9 Français sur 10 se déclarent sensibles ou très sensibles à l’environnement et où la question de la pollution de l’air arrive dans le top 3 des préoccupations des Français. Il n’a d’ailleurs jamais été autant question du sujet dans les programmes des candidat.e.s aux prochaines municipales.

La France à l’heure des choix

En France, la pollution de l’air est la troisième cause de mortalité, derrière le tabac et l’alcool. Elle serait responsable de près de 48 000 décès prématurés chaque année selon l’OMS (2016). Comme en Europe, la qualité de l’air s’est sensiblement améliorée depuis 20 ans mais les concentrations de certains polluants continuent de dépasser régulièrement les seuils réglementaires, particulièrement dans les villes où se concentrent les activités humaines et où vit près de 70 % de la population, mais aussi dans des territoires pourtant couverts par un plan de protection de l’atmosphère (PPA). D’après une étude d’impact de Santé publique France publiée en juin 2016, la perte d’espérance de vie est en moyenne plus élevée dans les grandes villes, avec 15 mois ou plus, bien qu’elle n’épargne pas les zones rurales, avec 9 mois. Une étude qui stipule que 34 000 morts seraient évitables chaque année si la pollution aux particules fines reculait. Depuis 2010, notre pays est régulièrement condamné par la Cour de justice de l’Union européenne pour dépassement « systématique et persistant » des plafonds de dioxyde d’azote et les PM10.

Le secteur des transports en première ligne

En France, le secteur des transports est le premier secteur émetteur de GES et de polluants de l’air. Et alors que la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) prévoit que les émissions nettes du secteur des transports (hors aérien) soient nulles en 2050, les chiffres sont édifiants. En 2018, selon le 56ᵉ rapport de la commission des comptes des transports de la Nation, les transports représentent 31 % des émissions de GES et 40 % des émissions de CO2. Une part qui a progressé de 4 % au cours des dernières années (les Français se déplacent davantage, + 5 % entre 2007 et 2017). En 2017, le poids du transport routier dans les émissions primaires de chaque polluant est évalué à plus de 60 % pour les NOx et près de 25 % pour les particules fines.

Agir au cœur du trafic routier

Le trafic routier est un des leviers sur lequel notre pays a choisi d’agir. Si la pollution atmosphérique ne se limite pas aux villes, elles sont tout de même en première ligne avec une part plus élevée des émissions de NOx et de particules. À titre d’exemple, la part des transports dans les émissions de PM2,5 s’élève à 20 % dans l’Hexagone quand elle atteint 58 % à Paris. Développer des mobilités douces, densifier les transports en commun, inciter au renouvellement du parc automobile, développer les moyens alternatifs pour les transports de marchandises en allant vers plus d’intermodalité mais aussi favoriser l’émergence de carburations moins impactantes pour notre santé et notre climat, comme la mobilité gaz (GNV, bioGNV, GNL), la mobilité électrique, l’hydrogène, les biocarburants, sont autant d’objectifs portés par la nouvelle loi d’orientation des mobilités, qui seront nécessaires pour repenser notre système de transport dans sa globalité.

12 villes passées au crible de la pollution atmosphérique

Une étude publiée en décembre, réalisée par le Réseau action climat, Greenpeace et l’Unicef, compare les actions menées contre la pollution de l’air depuis cinq ans dans 12 agglomérations françaises, autour d’enjeux clés tels que la sortie du diesel ou de l’essence, la régulation du trafic automobile, les aides à la transition, ou le développement de mobilités alternatives à la voiture individuelle. Paris, Grenoble et Strasbourg constituent le trio de tête tandis que Montpellier, Nice et Marseille occupent les dernières places. Son bilan ? Globalement, l’ensemble des 12 métropoles (Paris, Grenoble, Strasbourg, Nantes, Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille, Rennes, Nice, Montpellier, Toulouse) ont pris des mesures pour réduire le trafic routier mais aucune ne présente un bilan suffisant en matière de lutte contre la pollution automobile et de développement d’une mobilité durable. De manière générale, nos métropoles restent en retard alors même qu’elles font pour la plupart l’objet d’un contentieux européen sur certains polluants. Enfin, note l’étude, toutes les métropoles se retrouvent « sur le manque d’actions spécifiques visant à protéger les enfants de la pollution de l’air, et ce malgré les études récentes qui démontrent les risques spécifiques pour leur santé ». Résultat : en France, trois enfants sur quatre respirent un air de mauvaise qualité, selon l’OMS.

À ce cocktail de pollution, l’Europe devra être en mesure de proposer un cocktail de solutions à la hauteur des enjeux sanitaires et environnementaux qui nous attendent. Des solutions qui passent sans doute par des politiques publiques plus volontaristes, plus transversales, par une place plus grande faite aux énergies renouvelables et par une transformation profonde de notre secteur des transports pour aller vers une mobilité plus durable.