Vers une « préférence européenne » pour les marchés publics ?

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Publié le 09/04/2024

6 min

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Le ministre français l’Économie soulève l’idée d’une « préférence européenne »  dans l’attribution des marchés publics, visant ainsi les produits chinois, tout en reconnaissant que l’idée est un sujet de « débat » avec les autres pays, notamment l’Allemagne. Réuni le 8 avril avec ses homologues allemand Robert Habeck et italien Adolfo Urso dans le cadre d’une réunion trilatérale entre nos trois pays, Bruno Le Maire a ré-insisté sur la nécessité d’une « primauté européenne » en matière industrielle afin que l’Europe « reste une puissance industrielle ».

Par Laura Icart, avec AFP

 

« C’est un sujet sur lequel nous continuons de débattre et nous voulons faire progresser nos discussions, même s’il n’y a pas encore d’accord entre nous trois, la préférence européenne », a expliqué Bruno Le Maire lors de la conférence de presse à l’issue de la troisième réunion trilatérale depuis juin avec l’Allemagne et l’Italie qui s’est tenue, en présence d’industriels à Meudon (Hauts-de-Seine). Le ministre français s’exprime très régulièrement sur sa volonté de tenir compte du contenu environnemental d’un produit et de soutenir les initiatives visant à privilégier les produits européens, notamment celles contenues dans le règlement européen pour une industrie « zéro net ». En décembre, il estimait « qu’il fallait aller plus loin et valoriser désormais les produits à contenus européens de manière plus simple et directe : vous installez un champ éolien offshore, vous achetez des véhicules électriques, vous faites une subvention pour des véhicules électriques ou des batteries, il doit y avoir 60 % de contenu européen ». Si les trois ont convenu que la politique industrielle de l’UE devrait « combiner un soutien ciblé aux industries stratégiques tout en favorisant un niveau élevé de concurrence dans le marché unique et en réduisant les charges administratives pour les entreprises », ils ne se sont pas en revanche accordés sur le taux de pourcentage pour le contenu européen, un sujet sensible notamment pour Berlin.

Renforcer l’économie européenne à la peine

Depuis la fin de la pandémie, les économies européennes peinent à gagner du terrain par rapport aux autres grandes économies. La Chine et les États-Unis se sont lancés tous azimuts pour renforcer l’innovation, la productivité et la compétitivité de leurs industrie. Si l’Europe s’est lancée dans le même parcours via le Net Zero Industry Act, dans les faits tout est plus long pour démarrer. « Le déficit commercial entre la Chine et l’Europe a été multiplié par trois en 10 ans, en passant de 100 à 300 milliards d’euros, il faut donc, à mon sens, savoir s’il ne faut pas réserver les marchés publics à des produits made in  Europe ou avoir un contenu européen dans les appels d’offres, de 40, 50, 60 %, ou imposer des normes de qualité ou des normes environnementales les plus strictes sur les produits dans les marchés publics« , a suggéré Bruno Le Maire. L’Allemagne semble plus réticente à de telles mesures, en raison du risque de rétorsion sur ses propres produits. « L’Europe doit comprendre que dans certains domaines économiques, comme les panneaux photovoltaïques, les véhicules électriques et les batteries, elle est devenue une économie de rattrapage« , a souligné le ministre français. Pour lui, dans un monde où « la Chine et les États-Unis ne nous feront aucun cadeau, il n’y a pas une seconde à perdre pour développer nos atouts économiques », dans la transition climatique et l’intelligence artificielle notamment. La France, qui a récemment annoncé la création d’un « induscore » dans le cadre du pacte solaire, annoncé à Manosque, le 6 avril, vouloir « pousser » ce sujet de la préférence ou du contenu européen à Bruxelles dans les prochains mois et « l’étendre bien au-delà des technologies comprises dans le NZIA » indique l’entourage du ministre de l’Économie et des finances. Des discussions sont en cours au niveau européen indique Bercy « pour faire évoluer la réglementation européenne, notamment pour élargir le champ des produits sur lesquels on intègre la dimension environnementale » mais aussi « sur les méthodes de mesure ».  

Créer les conditions d’une meilleure résilience

Bruno Le Maire et ses homologues ont aussi évoqué la nécessité de simplifier les normes et règles européennes. « Pour libérer la puissance économique des entreprises, il est essentiel d’éliminer les charges administratives inutiles et d’accélérer les procédures d’autorisation sans sacrifier les normes de protection nécessaire » a souligné Robert Habeck, estimant que la relance de la compétitivité européenne était une priorité. Bruno Le Maire s’est à nouveau dit favorable à la mise en place d’une directive omnibus dès le lendemain des élections européennes pour éliminer les normes inutiles. En ce qui concerne les normes pesant sur les entreprises les trois pays, dont le PIB cumulé représente plus de la moitié de celui de l’UE, ils sont également « prêts à réfléchir » à augmenter de 250 à 500 le nombre seuil de salariés au-delà duquel elles s’appliquent. Les ministres ont également évoqué la nécessité d’encourager les mesures soutenant les filières stratégiques identifiées dans le NZIA mais aussi leur volonté de soutenir une extension du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) actuellement en cours d’expérimentation aux émissions indirectes afin de s’assurer « que la trajectoire de décarbonation et la compétitivité, notamment des industries énergo-intensives et particulièrement exposées au commerce international ne soient pas entravées ».  

Enfin, les ministres se sont mis d’accord pour « sécuriser davantage » l’approvisionnement en matières premières critiques, un sujet hautement stratégique pour l’UE qui vient juste d’adopter sa première réglementation européenne sur les matières premières critiques, alors qu’une hausse exponentielle de la demande de terres rares est attendue dans les années à venir. L’UE doit pouvoir d’ici à 2030, pour chacune de ces matières, assurer sur son territoire au moins 10 % des besoins d’extraction, 40 % de la transformation et 25 % du recyclage. L’Allemagne, la France et l’Italie souhaitent « harmoniser l’achat commun de matières premières« , comme le nickel, « et le statut de déchet, absolument essentiel pour le recyclage et pour renforcer notre autonomie » conclut Bruno Le Maire.