Loi de programmation énergétique : next !

Publié le 11/04/2024

8 min

Publié le 11/04/2024

Temps de lecture : 8 min 8 min

Dans un entretien accordé au Figaro, le ministre délégué à l’industrie et à l’énergie Roland Lescure a annoncé ce matin ce qui était pressenti depuis plusieurs semaines : que le débat parlementaire autour des objectifs climatiques et énergétiques de la France n’aurait pas lieu. Sans « voie de passage », l’exécutif préfère procéder par voie réglementaire avec la publication d’un décret sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) attendu « avant la fin de l’année ». En attendant, le gouvernement relance une consultation publique pour interroger « plus largement » les Français et souhaite donner rapidement de « la visibilité » aux acteurs économiques.

Par Laura Icart

 

Face « à une guerre des religions entre pro nucléaire et pro EnR » l’exécutif renonce finalement à un débat parlementaire sur le volet programmatique et demandera aux Français de se prononcer lors d’une grande consultation publique qui devrait débuter en mai sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). « Il ne s’agira pas de revenir sur les objectifs techniques et politiques déjà fixés » [dans la stratégie française énergie et climat publiée en novembre, NDLR] nous indique le cabinet de Roland Lescure, « mais d’interroger les Français sur les modalités et les moyens pour parvenir à les atteindre ». Le Parlement sera bien mis à « contribution » rappelle l’entourage du ministre alors qu’une loi sur la protection des consommateurs sera bien discutée au Parlement et qu’une mission parlementaire sur les barrages hydroélectriques sera lancée dans les prochaines semaines.

Le cap est fixé, place à la méthode

La loi de programmation énergie-climat (LPEC) qui devait être discutée au Parlement comme le prévoit la loi énergie et climat de 2019 est donc définitivement de l’histoire ancienne pour Bercy qui a visiblement choisi une autre méthode pour avancer. Ce feuilleton qui dure depuis plusieurs semaines avait fait l’objet d’un grand nombre de réactions, tant du côté des filières énergétiques qui avaient demandé unanimement l’inscription des objectifs énergétiques et climatiques dans une loi, mais aussi du côté des parlementaires de tous bords qui estimaient qu’un consensus politique sur ce sujet était atteignable. Au débat parlementaire, compliqué en majorité relative, le gouvernement a donc préféré le débat public. Un débat sur la forme plus que sur le fond, qui devrait durer « deux à trois mois » précise Roland Lescure dans Le Figaro, avec une publication des résultats à l’automne et la sortie du décret PPE « avant la fin de l’année ». « Les objectifs sont connus » depuis novembre rappelle l’exécutif. En effet, le texte s’appuiera sur les cibles inscrites dans le projet de stratégie française énergie-climat : multiplier par cinq la capacité photovoltaïque d’ici 2035 pour atteindre 100 GW, les capacités éoliens offshore de 0,5 à 20 GW en 2035, multiplier par cinq l’injection de biométhane dans les réseaux en 2030, passant de 9 TWh en 2023 à 44 TWh à la fin de la décennie et bien sûr la relance du nucléaire. « Il faut donner un cap et de la visibilité aux acteurs économiques pour leur permettre d’investir » estime l’entourage de Roland Lescure, « et associer davantage les Français » pour qu’ils « aient aussi conscience de ce que signifie accélérer en termes d’EnR ». Aussi les questions posées aux Français seront davantage tournées vers l’appropriation tant sur les apports que sur les impacts. Par exemple, sur les éoliennes : est ce que l’on veut doubler le nombre de mats ? Ou installer moins de mats mais plus grands et délivrant plus de puissance ? Ou doit-on développer prioritairement les panneaux photovoltaïques ? Dans les champs ? Sur nos toits ? Ou encore sur le développement du biogaz : quels sont les modèles à privilégier ? Beaucoup de petits installations ou des installations plus grosses ?

Une annonce qui fait débat

Ce contournement du débat parlementaire, qui plus est d’une obligation législative inscrite en 2019 par le groupe Renaissance dans un contexte politique alors bien différent, met vent debout de nombreux parlementaires mais aussi des organisations non gouvernementales qui estiment que « c’est la légitimité démocratique du Parlement » qui est remise en question. Du côté de chez Roland Lescure, on met en avant un « chemin plus efficace qui permettra réellement d’accélérer »  face à une énième « guerre de religions en opposant nucléaire et renouvelable ». Le récent débat autour de la proposition de loi de programmation énergétique portée par la député écologique Julie Laernoes, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe à l’Assemblée dont le texte a été étudié et adopté en commission mais non présenté en séance publique faute de temps, n’a pas convaincu Bercy quant à un consensus politique atteignable sur un volet programmatique. Abandonner la loi de programmation, « une attitude du gouvernement inconsciente et totalement irresponsable » affirme Julie Laernoes qui estime que cette loi devrait être « une priorité nationale » pour donner « une légitimité démocratique, un portage politique » à la transition énergétique, « de la visibilité et des perspectives » souligne l’élue de Loire-Atlantique, estimant qu’il existe bien une voie de passage. C’était aussi l’avis du Syndicat des énergies renouvelables (SER) qui a fait part de sa déception hier à l’annonce de l’abandon de la loi : « en renonçant à se doter d’un cadre stratégique législatif, la France sous-estime la nécessité d’une assise politique forte pour conduire dans la durée les changements qu’implique la transformation de notre système énergétique. »

Eviter une  » loi cathédrale » selon Roland Lescure

Du côté des parlementaires de la majorité, si l’on regrette que le débat parlementaire sur le volet programmatique n’ait pas lieu, on souligne l’intérêt d’une nouvelle approche dans la consultation et d’une association plus large des Français. « Capitaliser sur tout le travail qui a déjà été fait est une bonne chose » souligne pour Gaz d’aujourd’hui le député du Rhône et président du Conseil supérieur de l’énergie Jean-Luc Fugit, évoquant l’important travail de concertation réalisé pendant neuf mois par une diversité d’acteurs à l’initiative de la ministre de la Transition énergétique de l’époque, Agnès Pannier-Runacher pour élaborer la feu LPEC. « Il faut avancer, décliner les objectifs de la PPE sur le terrain, être dans le concret » nous indique le député de Haute-Savoie Antoine Armand. Avancer oui mais pas sans loi énergie souligne le Réseau action climat qui estime que « le gouvernement se met hors la loi ». « La programmation pluriannuelle de l’énergie doit faire l’objet d’une loi [art L100-1 A code de l’énergie, NDLR] et non d’un décret » réagit sur Twitter l’avocat Arnaud Gossement, spécialiste des questions environnementales et énergétiques, sujet sur lequel Bercy ne s’est pas exprimé, évoquant plutôt les lois qui seront bien discutées au Parlement. « D’ici la fin de l’année », le Parlement aura à se prononcer sur une loi relatives à la « protection des consommateurs » pour tirer les conséquences de la crise énergétique et renforcer les droits des consommateurs et les obligations des fournisseurs en donnant notamment plus de prérogatives à la Commission de régulation de l’énergie. « Dans les prochaines semaines », Bercy prévoit la mise en place d’une mission parlementaire sur la mise en concurrence des renouvellements des concessions hydroélectriques. Un sujet qui fait l’objet d’un contentieux avec Bruxelles « qui n’a que trop duré » selon Bercy.

La prochaine stratégie nationale bas carbone sera également mise en consultation, « du moins une première partie » indique à Gaz d’aujourd’hui le cabinet du ministre, « celle alignée sur les objectifs PPE allant jusqu’à 2035 ». L’autre partie incluant des scenarii 2035-2050 n’est pas encore finalisée, faute de bouclage.