Le retour de l’énergie à Bercy divise

L'énergie revient dans le giron de Bercy depuis le remaniement annoncé le 11 janvier. ©shutterstock/ Alexandros Michailidis / Victor Velter

Publié le 12/01/2024

6 min

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Depuis l’annonce le 11 janvier du retour de l’énergie dans le giron du ministère de l’Économie, les réactions se succèdent. Ce matin, la filière des énergies renouvelables a exprimé sa préoccupation de voir disparaître un ministère jusqu’ici pleinement consacré à l’énergie, sujet stratégique et de forte actualité désormais dans le portefeuille de Bruno Le Maire. D’autres au contraire soulignent l’intérêt de mener la bataille de la souveraineté industrielle et énergétique dans un même ministère.

Par Laura Icart, avec AFP

 

Dix-huit mois et puis s’en va. La France ne dispose plus d’un ministère de plein exercice dédié à la transition énergétique. Cette première depuis 15 ans avait été particulièrement bien accueillie au moment de son annonce en mai 2022. L’annonce hier du rattachement du portefeuille énergétique à Bercy préoccupe particulièrement le secteur des énergies renouvelables et les associations non gouvernementales qui estiment que cette organisation avait porté ses fruits avec une approche davantage transversale des enjeux de la transition énergétique : sujets climat, sécurité d’approvisionnement, souveraineté… « Avoir la responsabilité de l’énergie, c’est se donner les meilleures chances d’accélérer la réindustrialisation du pays et la réalisation du programme nucléaire français» soulignait Bruno Le Maire dans une interview au Figaro, lui qui il y a quelques mois déclarait lors de son intervention aux universités du Medef que l’énergie était devenue « la première question économique » au monde.

Le nucléaire, une priorité gouvernementale

Très présent dans le discours gouvernemental depuis les annonces de Belfort et élément phare de l’avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique présenté ce lundi, la relance du nucléaire est l’une des priorité du second quinquennat d’Emmanuel Macron et une des clés pour accélérer la décarbonation de la France et réduire notre dépendance aux énergies fossiles (deux tiers de notre mix énergétique). Le ministre de l’Économie fera d’ailleurs son premier déplacement lundi dans le Nord à la centrale nucléaire de Gravelines et à l’usine sidérurgique du groupe ArcelorMittal à Grande-Synthe sur cette thématique. La  question énergétique réduite à celle du nucléaire c’est la  principale crainte des acteurs du renouvelable et des ONG qui ont déjà été surpris en début de semaine de la tournure très « nucléaire » du volet programmatique de la loi de souveraineté énergétique qui devrait être débattue au printemps au Parlement. « L’élargissement de son portefeuille [celui de Bruno Le Maire, NDLR] à l’énergie amplifiera la révolution industrielle de la décarbonation. La France redevient une grande nation industrielle, écologique et sociale » s’est réjoui sur le réseau X le toujours ministre délégué à l’industrie Roland Lescure, également pressenti pour élargir son portefeuille à la question énergétique. « Le ministère de l’Énergie passe enfin dans le giron de Bercy et sera ainsi prémuni des influences décroissantes. L’histoire économique montre que l’énergie et le développement ne sauraient être considérés de façon séparée. C’est une chance de plus donnée à la ré-industrialisation de notre pays » a également réagi sur X l’économiste et éditorialiste Nicolas Bouzou.

Un ministère transversal

« On peut être surpris de l’absence d’un ministère de l’Énergie de plein droit, notamment après qu’on ait connu en 2022 une crise énergie historique, qui n’est pas un sujet derrière nous », souligne Michel Gioria, délégué général de France énergie éolienne (FEE). « L’enseignement des 18 mois passés est que si l’on veut une politique énergétique efficace, il faut une maîtrise technique, une capacité d’écoute et un suivi très fin, sur le terrain, de tous les éléments : nucléaire, renouvelables, plan de sobriété… Il ne faut pas que ce grand ministère nous en éloigne. » Sur le fond, Bruno Le Maire a souvent exprimé son vif soutien à l’énergie nucléaire. Quid des renouvelables ?« Il y a une réalité : l’énorme travail de RTE [le gestionnaire du réseau électrique, NDLR] sur les différents scénarios énergétiques montre que les seuls leviers de production disponibles d’ici 2035 sont les énergies renouvelables« , solaire et éolien en premier, relève M. Gioria. « Les décisions de politiques publiques doivent s’appuyer sur des faits. Tout écart aura des conséquences lourdes pour les Français notamment en termes de sécurité d’approvisionnement et de prix de l’énergie », prévient-il. Pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), la suppression de ce ministère est « un mauvais signal quant au volontarisme politique » sur la transition énergétique, dit son président Jules Nyssen, qui veut aussi « rendre hommage à Agnès Pannier-Runaucher », la ministre sortante. « Au moment où les maires doivent travailler sur des zones d’accélération des renouvelables, où se prépare la planification de l’éolien en mer, où des investisseurs s’interrogent sur le fait de soutenir de futures gigafactories françaises, les signaux depuis le début de l’année ne sont clairement pas positifs« , affirme M. Nyssen. « Nous ne sommes pas contre une relance du nucléaire, mais elle ne peut être un prétexte pour dire qu’il n’y a pas de besoin d’énergies renouvelables ou pas besoin de se poser des questions sur l’efficacité et la sobriété énergétiques. Tout cela se tient, et cette équation globale, tout le monde la connaît. »

Dans leur rapport publié l’année dernière visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, le député LR du Haut-Rhin Raphaël Schellenberger et le député de Haute-Savoie Antoine Armand avaient d’ailleurs recommandé de « remettre la direction générale de l’énergie au sein du ministère en charge de l’industrie et la doter des moyens permettant d’identifier, de suivre et de réduire nos vulnérabilités industrielles » pour permettre, disaient-ils, d’avoir une approche davantage souveraine, notamment sur la question de la sécurité d’approvisionnement.