« La question énergétique est devenue la première question économique au monde »

Le 29 aôut, Jean Jouzel, paléoclimatologue, président de Météo et Climat, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse, Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies et Luc Rémont, président-directeur général d'EDF sont intervenus lors d'une table ronde consacrée à l'énergie intitulée #Watt'sTheFuture. Quelle lumière au bout du tunnel ?

Publié le 31/08/2023

8 min

Publié le 31/08/2023

Temps de lecture : 8 min 8 min

Du 28 au 29 août s’est tenue à Paris la rencontre des entrepreneurs de France (REF) au titre évocateur « Demain ne meurt jamais ». Pendant deux jours, scientifiques, ministres, industriels et économistes se sont succédés pour évoquer entre autres choses la question énergétique. L’énergie est plus que jamais présente dans le débat public. Quelle énergie ? À quel prix ? Quelle trajectoire pour quelle ambition ? Ces questions ont rythmé les débats. Retour sur les temps forts de la REF 2023.

Par Laura Icart

 

Complexe, transverse, incertaine : la question énergétique est aujourd’hui au cœur de l’actualité. Son coût, son origine, sa source, son accessibilité, sa capacité à se transformer sont devenus des questions récurrentes qui animent le débat public. « La question énergétique est devenue la première question économique au monde » souligne le 29 août le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire interrogé à la REF par le journaliste économique François Lenglet. Si la fin des énergies fossiles fait consensus, les chemins et le temps qu’il faudra pour y parvenir sont encore à construire. Que faut-il retenir ?

Des appels à l’unité

Dans un contexte marqué par le changement climatique et la guerre en Ukraine, « nous devons aller vers un modèle français productif, solide et conquérant » souligne le président de la République qui appelle à « l’unité » tout en soulignant que la France possède de « nombreuses forces », citant le système énergétique ou encore le tissu d’entrepreneurs « riche et innovant ».

« Nous devons sortir vainqueurs de cette révolution technologique et climatique. »

                                                                 Emmanuel Macron, président de la République

La Première ministre Élisabeth Borne a de son côté déclaré qu’elle croyait « en une croissance respectueuse de la planète, économe en ressources et riche en emploi », estimant que la politique gouvernementale depuis 2017 avait été résolument « pro business » et illustrant son propos avec la zone industrialo-portuaire de Dunkerque « où 6 000 emplois ont été détruits » en 20 ans et où la politique de réindustrialisation menée par l’exécutif « va permettre de créer 16 000 emplois » dans une zone qui représente a elle seule, en 2020, 21 % des émissions industrielles de France soit environ 13,7 millions de tonnes de CO2 émises. Agir pour la souveraineté industrielle, c’est « non seulement une question d’emplois mais c’est aussi une question stratégique, d’autonomie notamment dans le domaine de l’énergie » a rappelé Élisabeth Borne faisant référence aux matériaux critiques. La planification écologique, c’est un « nouveau modèle de société qui fait rimer croissance, réindustrialisation et décarbonation », la cheffe de l’exécutif estimant au contraire que la décroissance « c’était remettre en cause notre modèle social ».

 

« Investir dans l’innovation, c’est préparer notre économie en la positionnant sur des secteurs stratégiques pour l’avenir. »                                                   

                                                                                                        Élisabeth Borne, Première ministre

 

Le ministre de l’Économie et de la souveraineté industrielle et numérique est également revenu sur la question stratégique de l’énergie. « Nous sommes face à deux grands bouleversements systémiques comme il en existe un par siècle » estime Bruno Le Maire évoquant la transition climatique et l’intelligence artificielle. Pour faire face à la transition écologique et au défi de l’innovation, l’État doit « planifier les investissements  nécessaires sur le long terme », même si ses investissements ne « sont pas rentables à court terme. (…) L’État doit être là pour financer l’électrolyse, financer l’énergie verte et l’hydrogène vert ». Par ailleurs, « nous continuerons à baisser les impôts des entreprises » a confirmé le ministre sous un tonnerre d’applaudissements. Sur la politique nucléaire, chantre des dissensions entre la France et l’Allemagne, Bruno Le Maire n’y est pas allé par quatre chemins : « Avec L’Allemagne nous avons un seul point divergence : le nucléaire. Je dis à nos amis Allemands : ne critiquez pas le nucléaire français. C’est une ligne rouge absolue de la politique française. » Le ministre de l’économie l’a redit : « Nous ne réussirons pas la décarbonation en Europe sans l’énergie nucléaire. »

 

« La question énergétique est devenue la première question économique au monde.

Tout le monde a besoin d’énergie ! »

                                                                                                                     Bruno Le Maire, ministre de l’Economie

La transition, le défi d’un changement d’énergie et de consommation

Si l’énergie a été une question transverse tout au long de la REF 2023, un débat lui était exclusivement consacré. Quelle lumière au bout du tunnel  ? On n’a bientôt plus de pétrole, mais a-t-on encore des idées ? Pour le président directeur général de TotalEnergies Patrick Pouyanné, on ne réglera pas le problème du changement climatique « en tout d’un coup affamant nos concitoyens d’énergie », lui qui a plusieurs fait référence au terme évoqué par le président de la République dans le magazine Le Point, d’aller vers une « transition heureuse », une « transition qui prendra du temps » a t-il insisté. Du temps justement, c’est ce que nous n’avons pas estime le paléoclimatologue et président de Météo et climat Jean Jouzel qui a rappelé la nécessité d’accélérer sur la baisse des émissions alors que « 75 % de l’augmentation du réchauffement climatique est due aux énergies fossiles », si nous nous voulons éviter « une augmentation de la température mondiale de 4 ou 5 degrés » d’ici la fin du siècle. « Il reste en France deux tiers d’énergies fossile dans notre mix énergétique » a expliqué Agnès Pannier-Runacher, expliquant que les leviers de la maîtrise de l’énergie et de la sobriété au côté du développement du nucléaire et des énergies renouvelables « seront déterminants » pour réussir la décarbonation et évoquant plusieurs pistes : « La récupération de la chaleur fatale, l’utilisation du biogaz et la réforme du marché de l’électricité européen. » « J’entends et je respecte l’avis des scientifiques, a déclaré le PDG de TotalEnergies,  mais il y a la vie réelle ». Celle qui a fait que l’année dernière « l’Europe a subventionné massivement les énergies fossiles, de l’ordre de 500 milliards d’euros » car il n’y avait pas d’autre issue pour fournir de l’énergie et du chauffage aux Européens. « Il faut changer les modes de consommation mais c’est une tâche prométhéenne » a-t-il ajouté, rappelant que les énergies fossiles représentaient 82 % du mix mondial il y a 25 ans et toujours 81 % en 2022. Le combat climatique, « c’est un combat de souveraineté, un combat d’acceptabilité sociale et un combat de compétitivité économique » a souligné Agnès Pannier-Runacher estimant que l’anticipation et la capacité des entreprises à bâtir de nouvelles filière d’excellence seraient clés pour allier transition énergétique et opportunité économique et sociale. Pour le PDG d’EDF Luc Rémont, la France possède « une chance incroyable », celle d’avoir l’un des mix électrique les plus décarbonés au monde. Un mix « fiable » qui sera composé demain d’énergies renouvelables mais aussi d’énergies pilotables comme le nucléaire et l’hydraulique, qu’il faut « renforcer ». 

Changer de narratif

Pour Bertrand Piccard, président de la fondation Solar Impulse, ce n’est pas le constat des scientifiques qu’il faut revoir, « c’est les conclusions que l’on en tire ». Selon lui il faut « changer le narratif », ne pas faire de la décarbonation « un handicap économique » pour les pays et pour les entreprises, ni « un sacrifice pour les citoyens » alors même que nous vivons selon lui déjà « dans un monde de gaspillage et d’inefficience ».  » Il faut moderniser ». Et pour y parvenir, des solutions existent : « transformer les déchets en méthane, installer de l’hydroélectricité sur les petites rivières, stocker la chaleur, stocker l’électricité grâce aux batteries des voitures, la géothermie… » énumère Bertrand Piccard. La sobriété sera également décisive a rappelé la ministre de la Transition énergétique qui voit dans la baisse des consommations de gaz et de l’électricité (en août 2022 et juillet 2023) une vraie évolution des mentalités, plutôt qu’une sobriété subie par les prix. Là encore, Bertrand Piccard revient sur le narratif : ce n’est pas tant réduire sa consommation mais « consommer seulement ce dont on a besoin ». Et les effets sont « immédiats » selon lui : mieux pour le porte-monnaie, mieux pour la planète.