Épandage : le digestat restera-t-il une affaire de paysans ?

Publié le 16/11/2020

7 min

Publié le 16/11/2020

Temps de lecture : 7 min 7 min

L’arrêté approuvant le nouveau cahier des charges pour la mise sur le marché et l’utilisation des digestats de méthanisation d’intrants agricoles ou agro-alimentaires comme matières fertilisantes a été publié au Journal officiel le 8 novembre. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a créé un vent de mécontentement au sein du monde agricole qui s’estime « méprisé » et se dit « furieux » que le gouvernement fasse « le jeu des groupes industriels au détriment des agriculteurs ». Décryptage.

Par Laura Icart 

 

Une fois n’est pas coutume, ces derniers mois l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) tire de nouveau la sonnette d’alarme. L’association, qui représente près de 50 % des agriculteurs méthaniseurs de France, la FNSEA et l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) alertent, dans un mail envoyé la semaine dernière à la représentation nationale, sur la place de la méthanisation agricole en France et pose clairement la question du modèle de méthanisation que veut développer le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation dans notre pays. En cause : le nouveau cahier des charges « Dig Agri » qui permet désormais aux sites de méthanisation industriels de s’affranchir du plan d’épandage pour leurs digestats et qui pourrait donner lieu, selon Jean-Marc Onno, vice-président de l’AAMF et président des agriculteurs méthaniseurs bretons « à des dérives », notamment avec le risque pour les agriculteurs de devenir « de simples faire-valoir de terre pour les industriels ».

Pour une maîtrise des digestats produits

Entre 2017 et 2019, à la demande de la profession agricole et des agriculteurs méthaniseurs, trois cahiers des charges dédiés avaient été mis en place pour « faciliter les échanges entre agriculteurs et résoudre les difficultés ponctuelles d’épandage » rappelle l’AAMF. Si ce nouveau cahier des charges, qui compile en un seul texte les trois cahiers des charges existants, est déjà tant décrié, c’est qu’il autorise les sites de méthanisation industriels à s’affranchir du cadre réglementaire apporté par les plans d’épandage, les dégageant de leur responsabilité de producteur d’un déchet. L’agriculteur recevant le produit dans ce nouveau cadre réglementaire serait donc seul responsable des produits épandus sur son sol. Autrement dit, dans ce cahier des charges, l’obligation de retour au sol des digestats dans le cadre d’un plan d’épandage disparaît : d’un statut de déchet, le digestat devient un produit commercialisable. « Une situation inacceptable » pour l’AAMF « qui va à l’encontre des intérêts du monde agricole et des territoires ruraux ». L’association avait alerté début septembre le ministre de l’Agriculture sur cette question – un courrier resté sans réponse. Les agriculteurs méthaniseurs le répètent souvent : « la méthanisation est avant tout une affaire de paysans« , qui implique une maîtrise totale des digestats produits. «Tous les digestats ne se valent pas et toutes les méthodes d’épandage ne sont pas sans risques » souligne Philippe Collin, administrateur de l’AAMF, premier agriculteur haut-marnais à s’être lancé dans la méthanisation en 2010 et qui a ouvert fin 2019 la première station station service de bioGNV où le biomethane non injecté est directement issu de son exploitation. S’il n’y a pas selon eux d’opposition entre méthanisation industrielle et méthanisation agricole, l’AAMF estime légitime dans sa réponse à la consultation de la direction générale de l’alimentation sur le cahier des charges « Dig » publiée en août, que les agriculteurs qui ont en charge de nourrir la population et par conséquent d’assurer une bonne gestion de leurs sols, puissent disposer d’outils réglementaires qui leurs sont spécifiquement dédiés.

Le sentiment d’être « méprisés »

Comme pour les projets d’arrêté et de décret sur le biométhane injecté, même si le dialogue s’est finalement engagé avec le ministère de la Transition écologique (MTE)l’AAMF regrette la méthode, qui enchaîne les résultats de la consultation rendus publics la semaine dernière et l’arrêté publié dans la foulée. «Nous regrettons ce manque de concertation [du ministère de l’Agriculture] » fustige le vice-président de l’AAMF. Un sentiment partagé par Olivier Dauger, élu représentant énergie climat à la FNSEA qui déplore  » la différence entre les discours et les actes » donnant parfois l’impression que les services de l’État sont « déconnectés de la réalité du terrain en ce qui concerne la méthanisation ». Les acteurs agricoles demandaient le maintien de la restriction de l’accès du CDC « Dig » aux unités de méthanisation agricoles telles que définies par les articles L.311-1 et D.311-18 du code rural. Elle leur a été donc refusée tout comme leur demande que toutes les unités de méthanisation soient soumises à un plan d’épandage représentant une capacité minimale de 60 % de la production totale de digestat. Refusée encore l’intégration d’un rayon maximal de valorisation du produit de 50 km autour du site de production, répondant pourtant à la logique de garantir le retour au sol local des matières organiques. Pourtant, selon Olivier Dauger, « la dimension agroécologique est essentielle au bon développement d’une filière qui apporte de nombreuses externalités positives aux territoires« , lui qui avait l’impression que l’actuel ministre de l’Agriculture et de l’alimentation Julien Denormandie y était également sensible. « Ne pas retenir une distance minimale ou un cahier d’épandage est une méconnaissance de la filière » ajoute Philippe Collin qui précise que « le calcul en analyse de cycle de vie des digestats exportés loin des sites mériterait un approfondissement sur l’aspect vertueux de ces unités. »
Si certaines de leurs demandes ont été entendues (autocontrôles du produit, liste des matières autorisées) ou partiellement entendues, comme l’allongement à 18 mois du délai de mise en œuvre de l’application du CDC « Dig » pour les installations utilisant initialement l’un des CDC « Dig Agri », le compte n’y est clairement pas pour l’AAMF qui rappelle que la méthanisation ne peut pas exister sans l’agriculture et que « ce lien à l’agriculture, au territoire, ne doit pas être perdu ». Pour Jean-Marc Onno, ce nouveau coup de massue porté à la filière agricole est d’autant plus incompréhensible que la méthanisation est selon lui « la seule filière durable, renouvelable, détenue en grande majorité par des agriculteurs, au bénéfice des agriculteurs et au bénéfice également des territoires où ils vivent et dépensent [leurs] sous ».