La méthanisation : une filière énergétique d’avenir pour l’agriculture française

Publié le 25/07/2020

12 min

Publié le 25/07/2020

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 L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a présenté le 21 juillet les conclusions de son rapport « L’agriculture face au défi de la production d’énergie » et formule 20 propositions pour développer la production d’énergie dans le secteur agricole. Un rapport dans lequel le développement de la méthanisation est érigé au rang de priorité, tout comme la nécessité de garantir la qualité des intrants et du digestat produit mais aussi la pertinence de construire des projets de production d’énergie à la maille locale dans une vraie logique d’aménagement du territoire. Autre enjeu décisif : le stockage de l’énergie tout comme l’intérêt de poursuivre la R&D dans le domaine des énergies renouvelables (EnR) notamment à travers le couplage de technologies d’avenir que sont la méthanisation et la méthanation.

Par Laura Icart

 

Quelle place pour la production d’énergie dans le secteur agricole ? Comment le monde agricole peut-il répondre aux objectifs ambitieux de la France en termes de production d’EnR, à savoir 32 % du mix énergétique en 2030 ? Quelles sont les énergies les plus pertinentes pour y parvenir : l’éolien, le photovoltaïque, les biocarburants, le biogaz ? Quelles sont les opportunités mais aussi les risques de faire de nos agriculteurs des « énergiculteurs », bien qu’historiquement la production d’énergie a toujours fait partie intégrante de la vie d’une exploitation agricole ?

Coupler production d’énergie et aménagement du territoire

Le foncier agricole, l’artificialisation des terres, l’acceptabilité sociale des projets, les retombées économiques, la formation, la recherche et l’émergence de nouvelles technologies notamment pour stocker les sources d’énergies intermittentes, les émissions de gaz à effet de serre… Bref, les sujets de la production d’énergie dans le monde agricole sont nombreux, complexes et aux implications multiples pour le climat, pour l’environnement et pour l’attractivité économiques de nos territoires. Mais ils sont aussi à la croisée d’un modèle agricole qui, à l’heure de la transition énergétique, soumis à une crise aussi bien structurelle que conjoncturelle, doit se réinventer et se tourner vers des modes de production plus respectueux, notamment des sols. C’est ce vaste sujet auquel se sont attaqués en octobre 2019 le député de la 11e circonscription du Rhône Jean-Luc Fugit, également président du Conseil national de l’air, et le sénateur de l’Aude et vice-président de l’OPECST, Roland Courteau.

20 % de la production d’EnR française 

D’après des données conjointes fournies par l’Ademe et l’Agreste, le service statistique du ministère de l’Agriculture, « 20 % de la production d’EnR françaises serait issue du secteur agricole », soit environ 4,6 Mtep sur les 23 Mtep d’EnR au niveau national. Une énergie produite par quelque 50 000 exploitations, soit un peu moins d’un huitième du total des exploitations agricoles de notre pays. Selon plusieurs scénarios prospectifs cités dans le rapport (Ademe, Solagro, NegaWatt ), cette part devrait croître rapidement et « être multipliée par 3 à l’horizon 2050, passant à 15,8 Mtep ». Il faut dire que la France est une terre agricole ! Près de la moitié de nos sols sont consacrés à l’agriculture. Or pour répondre au défi climatique et aux objectifs que s’est donnés notre pays en termes de production d’EnR, les terres mobilisables se trouvent justement dans les territoires ruraux, au cœur des exploitations agricoles, là où se trouvent les bâtiments pouvant accueillir des panneaux solaires ou photovoltaïques, là où le potentiel méthanogène est évalué à plus du 90 % du gisement national et là aussi où les externalités dites positives peuvent être une source complémentaire de revenus pour les agriculteurs et insuffler une dynamique nouvelle sur les territoires ruraux.

 

Une vision « transversale et systémique »

Si l’agriculture est et sera toujours destinée à « produire notre alimentation » note d’emblée les rapporteurs, ils estiment que la production d’énergie dans le secteur agricole est « un sujet majeur » qui implique « une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l’environnement et de l’agriculture ». Une analyse renforcée à la lumière de la crise du Covid-19 comme le souligne pour Gaz d’aujourd’hui Jean-Luc Fugit : « Nous souhaitons que nos propositions puissent être intégrées ou du moins puissent orienter le futur plan de relance ». Parce que si l’agriculture qui produit notre alimentation génère des impacts inévitables, ce n’est en rien « une fatalité » pour l’élu du Rhône qui plaide pour « une action publique plus ambitieuse, moins silotée » pour soutenir, structurer et accompagner l’émergence des EnR. Des EnR qui, en plus de « verdir le mix énergétique de la France », constituent aussi « une opportunité économique » pour le monde agricole.

153 acteurs auditionnés, 8 orientations, 20 propositions

Ce rapport, qui a donné lieu à l’audition de 153 acteurs, formule une vingtaine de propositions. Huit généralistes sous forme d’orientations : transversalité des politiques publiques énergétiques et agricoles, soutenir la recherche sur la production d’énergie dans le secteur agricole « notamment à travers un suivi en mode analyses de cycle de vie (ACV) », favoriser la production d’énergie et sa consommation dans le secteur agricole avec des projets pensés à l’échelle d’un territoire. Il est vrai que l’expérience a montré, ces dernières années, que les projets d’EnR collectifs intégrés aux territoires contribuent à l’acceptation des EnR par la société. Mais aussi adopter une démarche de certification des projets conduits sous la forme d’un label « agroénergie » et améliorer la formation, développer de manière prioritaire la méthanisation, soutenir l’agrivoltaïsme, préparer l’avenir des biocarburants de 2e et 3e génération et relever le défi du stockage de l’énergie. À cela s’ajoute une dizaine de propositions sectorielles spécifiques à chaque filière et « par ordre d’importance et de priorité à donner dans [les] politiques publiques : la méthanisation, le photovoltaïque, l’éolien et les biocarburants » auxquels il convient d’ajouter le développement des technologies et des infrastructures de stockage de l’énergie. À ce titre, le rapport souligne particulièrement « l’intérêt du power-to-gas ». Il note, en outre, la pertinence d’encourager le couplage méthanisation-méthanation et de soutenir le développement de la méthanation (biologique ou catalytique) via la mise en place « d’un appel d’offre avec complément de rémunération » avec une distinction faite selon l’origine de l’hydrogène (issu des EnR) ou celui dit « bas carbone ».

La méthanisation, une filière à développer en priorité

« La méthanisation représente un mode de production d’énergie vertueux et majeur à privilégier dans le monde agricole et qui lui est spécifique » souligne le rapport, qui note le potentiel de la filière française avec plus de 500 unités de méthanisation à la ferme dont 107  injectent du biométhane d’origine agricole dans les réseaux gaziers, soit 68 % des capacités installées. Le rapport évoque « un rendement énergétique de bon niveau », « une complémentarité avec l’activité agricole », notamment à travers l’obtention du digestat, et génère « de faibles risques de conflits d’usage » puisque le code de l’environnement limite la part d’intrant provenant de cultures dédiées est limitée à 15 % du tonnage brut total des intrants. Selon le rapport de l’OPECST, la part des cultures dédiées liées à la méthanisation représenterait sur le territoire 14 850 hectares (ha) sur les 28 000 000 ha déclarés en terres agricoles, soit 0,05 % de la surface agricole totale. À titre de comparaison, la part des biocarburants est estimée 2,74 %. Également plébiscitée parce qu’elle favorise l’économie circulaire, cette filière « va devenir centrale » pour les rapporteurs, alors que la dernière directive européenne sur les déchets nous imposera d’ici la fin de l’année 2023 une gestion séparée des biodéchets. Si le rapport note l’écart de prix important du biogaz « de l’ordre de un à quatre » avec le prix du gaz naturel (estimé aujourd’hui à 25 euros/MWh), il met en avant la nécessité d’intégrer toutes les « externalités dites positives dans le modèle économique de la filière biogaz ». Des externalités (stabilisation du revenu des agriculteurs, aménagement du territoire, emploi local, réduction des engrais chimiques, traitement des déchets et économie circulaire) que le cabinet Enea Consulting évalue « de 40 à 70 euros/MWh et jusqu’à 100 euros dans l’hypothèse d’une tonne de CO2 à 250 euros ». La Commission de régulation de l’énergie (CRE) évoque de son côté 75 euros/MWh.

Reconnaître et valoriser son potentiel

Au vu des services apportés par la méthanisation et en vertu du potentiel affiché par la filière (2,5 TWh en capacité installée), les rapporteurs demandent « d’accroître les ambitions jugées trop modestes de la PPE » avec un rehaussement a minima à 8TWh de biométhane injecté dan le réseau en 2023, un objectif initialement prévu dans la PPE de 2016 mais qui a été ramené à 6 TWh dans la nouvelle, « clairement insuffisant » pour Jean-Luc Fugit. Une proposition qui devrait réjouir l’industrie gazière qui avait clairement affichée sa déception à l’annonce de la PPE mais qui n’a pas réussi, malgré de nombreuses demandes auprès du ministère de la Transition écologique (MTE), à faire modifier cet objectif. Les rapporteurs préconisent également de « défendre le droit à l’injection et d’encourager le raccordement des installations aux réseaux gaziers existants ». Ce dispositif de la loi Egalim, qui doit déterminer les caractéristiques du réseau permettant de retenir, à l’échelle locale, la solution la plus efficiente pour la valorisation du biogaz produit, s’avère compliqué à mettre en œuvre sur le terrain malgré la publication le 31 mars dernier d’une première carte de zonage par les opérateurs de réseaux gaziers. En cause notamment, le décret du 29 juin 2019 qui plafonne à 0,4 % du chiffre d’affaires de GRDF les investissements liés au renforcement des réseaux afin d’accueillir des gaz renouvelables. Un décret dont GRDF a déjà demandé l’abrogation dans le cadre des neuf mesures pour contribuer au plan de relance, que l’entreprise a présenté il y a quelques semaines et qu’elle considère comme incohérente avec une politique énergétique qui se doit d’être « visible et lisible » dans le temps pour favoriser les investissements dans la transition énergétique.

Favoriser une méthanisation raisonnée 

« Assurer la traçabilité des intrants dans les méthaniseurs pour garantir leur pouvoir méthanogène ainsi que la bonne qualité des digestats en vue de leur épandage » est la troisième préconisation des rapporteurs. Ce sujet majeur pour maximiser le pouvoir méthanogène d’une unité de méthanisation et qui induit également la qualité du digestat épandu, est encore complexe à appréhender en raison de « la faiblesse du suivi des installations et de leurs intrants » note le rapport qui indique tout de même la nécessité de garantir un niveau minimal de qualité via « des critères d’efficacité » principalement liés à l’adaptation des pratiques culturales et « d’innocuité ». Les rapporteurs proposent une nouvelle approche « contextuelle » basée sur une intégration dès la conception du projet d’un type de digestat adapté à la nature des cultures et à la nature des sols et si cela n’était pas possible de prévoir les installations nécessaires pour assurer cette compatibilité (compostage, séchage, hygiénisation). Si le rapport invite « à repenser globalement la notion de déchet » et évoque le digestat comme une « ressource », il évoque aussi la prématurité de rendre le digestat « commercialisable », arguant le manque de recul sur la question. Quatrième proposition : elle concerne la sécurité et la qualité des unités de méthanisation et émet l’idée d’organiser des audits et des contrôles réguliers pour s’assurer de la viabilité de ses installations. Les rapporteurs évoquent la possibilité d’adopter une démarche intégrée de certification sous la forme d’un label « agroénergie » qui viendrait « récompenser » les projets intégrant les spécificités territoriales ou raisonnant en ACV

Dernière préconisation et pas des moindres : la filière doit entamer un vrai travail pour réduire et identifier les fuites indésirables de méthane, de CO2 et d’ammoniac sur toute la chaîne de valeur du biométhane, de l’étape de la digestion à son transport. Le Giec estime « les fuites de biogaz entre 0 et 10 % au niveau du digesteur et préconise une valeur par défaut de 5 % en l’absence de données scientifiques ». Pour y parvenir, les rapporteurs proposent de s’appuyer sur l’intelligence artificielle via une méthode de détection et de quantification en utilisant une caméra infrarouge à détection de gaz et un traitement de l’image du panache par flot optique, développé dans le cadre du projet Trackyleaks piloté par l’Ademe.

 

Methamoly-©Frederic-Berthet-GRDF.