Innovations à tous les maillons de la chaîne

Publié le 02/11/2018

12 min

Publié le 02/11/2018

Temps de lecture : 12 min 12 min

Le marché mondial du gaz naturel liquéfié à petite échelle, baptisé plus communément small scale LNG (SSLNG), a à peine existé ces vingt dernières années. Et pourtant, porté par des besoins plus variés et répondant à de nouveaux enjeux économiques, environnementaux et de sécurité d’approvisionnement, il est en train de se déployer sur la scène énergétique mondiale. Analyse.

Par Laura Icart

Qui aurait cru, il y a dix ans encore, que ce type de marché aurait le vent en poupe, lorsqu’il n’était alors qu’une micro-niche parmi les méga-projets de GNL des grandes firmes énergétiques ? Aujourd’hui le GNL permet de transporter du gaz par la route ou par la mer pour atteindre des sites non desservis par des réseaux. Mais il est aussi livré dans sa forme liquide pour les usages de transport maritimes et terrestres.

Des transformations structurelles

Différents facteurs peuvent expliquer aujourd’hui l’appétence pour le SSLNG : il est en premier lieu économique. La volatilité des prix sur le marché mondial et la fragmentation de la demande ont poussé les acteurs du secteur à adapter leurs projets en s’orientant vers des tailles intermédiaires afin d’en minimiser les risques. Il est bien sûr environnemental, ses performances en termes de réduction des SOx, NOx et PM (oxydes d’azote, de soufre et particules fines) sont excellentes et font du GNL le carburant le plus propre pour l’environnement et la santé.

Dans son étude sur les SSLNG, publiée le 3 avril dernier, SIA Partners note que ce marché « semble offrir aux investisseurs et aux consommateurs des solutions d’approvisionnement flexibles représentant des Capex raisonnables et des ROIs intéressants [dépenses d’investissement et retours sur investissement, NDLR]. En outre, la plupart des solutions SSLNG étant modulaires et évolutives, leur taille peut être augmentée en cas de besoins croissants, ce qui représente une souplesse d’investissement très intéressante au vu des conditions de marché actuelles ». C’est bien la flexibilité qui est à l’origine du développement des projets SSLNG. Un marché qui a créé au fil du temps ses propres codes, intégrant ses modèles économiques et permettant à une multitude d’acteurs de devenir producteurs ou distributeurs de GNL, voire les deux, à des coûts abordables. 

Le bal des acteurs

Ce nouveau marché fait place aux technologies les plus innovantes pour couvrir des volumes variables. La demande, plus disparate et souvent plus éclatée, amène sur l’échiquier, aux côtés des grands acteurs intégrés sur la totalité de la chaîne de valeur comme Total, Shell, ENI, Gazprom, Naturgy, des acteurs plus petits et spécialisés sur un maillon de la chaîne comme Klaipėdos Nafta, Skangas, Okra Energy, ou des fournisseurs de technologies comme Cryopur, Trelleborg, Wärtsilä  ou encore des néophytes de l’énergie attirés par l’attractivité et la flexibilité de ce marché dans des pays que l’on n’aurait pas imaginé présents sur ce secteur il y a encore une décennie.

Des technologies de plus en plus innovantes

Ces nouvelles technologies de liquéfaction, de transport, de regazéification ou encore de stockage ont fait ces dernières années des progrès importants pour réduire l’écart de coût lié à l’absence d’économie d’échelle. Ceci, associé à de nouvelles méthodologies dans la construction et la gestion des projets, a permis aux acteurs de rendre leurs projets plus rentables. L’année 2017 a été une grande année d’innovation avec notamment la mise en service du premier navire flottant de production de GNL (FLNG) baptisé PFLNG Satu, en Malaisie, ou la mise en service du premier train de Yamal  dans la région de l’Arctique russe. Elle marque également les débuts des trois premiers navires de soutage  de GNL (LNGBV) au monde : l’Engie Zeebrugge, premier navire de la flotte de Gas4Sea, ainsi que le Cardissa et le Coralius, exploités respectivement par Shell et Skangas.

 

DirectLink : le premier système de transfert de GNL flottant au monde

Testé pour la première fois en 2018 pour un déchargement commercial, DirectLink c’est la petite révolution de Naturgy (ex-Gas Natural Fenosa) : une solution qui selon la multinationale espagnole « bouleverse le secteur mondial du GNL de petite et moyenne taille en réponse aux besoins du marché ». Fabriqué en six mois à peine, DirectLink LNG est un système flottant constitué d’une plateforme avec un système de connexion compatible avec tous les types de navires-citernes. Une fois qu’il est connecté au navire, le GNL est transféré vers le rivage de manière sécurisée et efficace au moyen de flexibles cryogéniques flottants. Cette infrastructure a été  développée en collaboration avec la technologie norvégienne Connect LNG mais aussi avec l’usine auvergnate du groupe Trelleborg qui développe et fabrique des  flexibles flottants. « Cette solution répond aux besoins des clients qui souhaitent que le gaz naturel soit fourni dans des endroits où il n’est ni viable sur le plan économique ni sur le plan environnemental, facilitant de fait l’ouverture de nouveaux marchés » avait souligné Naturgy lors du lancement du projet.

Une multiplicité des usages répondant à des besoins variés

 

Le GNL carburant

Le GNL carburant est aujourd’hui le premier débouché du SSLNG à être livré dans l’état liquide. Sur les routes où des règles strictes en termes d’émissions de polluants et où des incitations fiscales sont déjà à l’œuvre, on assiste au début du déploiement d’infrastructures dédiées. Si l’usage du GNL carburant terrestre (poids lourds et autocars principalement) devrait se massifier ces prochaines années, la Chine, les États-Unis et l’Europe sont clairement plus avancés sur cette question. La Chine est la « reine » incontestée du GNL carburant routier : le pays, qui compte 92 % de la flotte mondiale de véhicules GNL et qui a érigé le gaz comme fer de lance de sa stratégie énergétique, ne compte pas s’arrêter là. En 2020, le nombre de véhicules au gaz pourrait dépasser les 11 millions, dont presque 500 000 en GNL, complété par un réseau de 5 000 stations GNL pour les transports lourds. Loin derrière mais avec de belles ambitions, les États-Unis, bénéficiant de larges ressources de gaz, affichent un réseau de stations de 143 stations GNL auxquelles s’ajoutent les 38 actuellement en construction. Le pays qui compte une flotte de près de 175 000 véhicules roulant au gaz naturel véhicule ( GNV)  a mis en place un cadre réglementaire incitatif pour favoriser l’usage du GNL carburant, lui dont l’industrie ferroviaire dispose déjà de locomotives au GNL. Autre marché porteur : l’Europe, qui a multiplié les mesures ces dernières années pour le développement de carburants alternatifs, mais dont le développement reste encore timide. On parle d’un réseau de 3 458 points de ravitaillement en GNV . Les points de ravitaillement pour les poids lourds utilisant du GNL ne constituent pas aujourd’hui un maillage suffisamment solide selon la Commission européenne pour permettre un développement à grande échelle. Certains États membres, parmi lesquelles la France, l’Espagne et la République tchèque ont, en quelques années, développé un véritable marché pour le transport lourd et collectif. Preuve en est : un camion Iveco de 30 tonnes vient de parcourir plus de 1 700 km sans ravitaillement, en reliant Londres à Madrid. La dynamique est bel est bien enclenchée. Pour le GNL carburant, d’autres marchés commencent à se développer, en Inde notamment. 

Sur les mers et sur les fleuves, à l’exception de la Norvège, pionnière dans ce  domaine, les choses évoluent plus doucement. Cependant, son usage pourrait connaître une croissance rapide, en cause la pression environnementale et réglementaire internationale (COP 21, convention Marpol…) qui s’accentue ces derniers mois et l’entrée en vigueur confirmé en 2020 du « global cap », soit la limitation globale des émissions de soufre des navires de 3,5 % à 0,5 %. Les premiers signaux forts ont été la commande en 2017 par CMA CGM de neuf conteneurs propulsés au GNL, suivie par une série d’annonces mondiales de constructeurs, de croisiéristes et même de ports décidant de se tourner vers une solution GNL. La filière, représentée à l’internationale par SEALNG, doit encore construire pour ce carburant un écosystème économique et technologique viable et fiable pour inciter les grands constructeurs et armateurs à se tourner vers ce type de solutions avec un champ des possibles immense à explorer.

LNG-to-power

Face aux déficits persistants de la capacité de production d’électricité à travers le monde, le GNL est de plus en plus utilisé dans les projets d’électricité comme un moyen relativement rapide pour ajouter une capacité plus importante au réseau électrique existant. Il est largement utilisé pour alimenter les zones sans accès à l’électricité (qui concernent 14,7 % de la population mondiale). Des projets d’utilisation du GNL pour la production d’électricité se développent dans de nombreux  pays. Située entre l’Afrique du Nord et l’Europe, Malte a développé une installation de ce type. Malta Gas and Power Limited développe une centrale à gaz de 200 MW dans la centrale de Delimara, près de Marsaxlokk. Le projet comprend également le développement et la construction d’installations de réception, de stockage et de regazéification de GNL. Une unité de stockage flottante (FSU) sera louée pour une durée de dix-huit ans et la centrale bénéficiera d’une cession de contrat d’achat d’électricité d’une même durée. Dans la plupart des cas, le GNL est acheminé vers des terminaux offshore couplés à des centrales de production d’électricité. Un grand nombre d’opportunités émergent à travers l’Afrique. Rien d’étonnant car le continent souffre d’un déficit de capacité de production et d’un manque d’infrastructures de réseau de gaz pour soutenir le développement de projets d’électricité indépendants conventionnels. En Afrique subsaharienne, les promoteurs de projets potentiels évaluent un projet de GNL destiné à alimenter le Ghana (nonobstant le développement en cours de réserves de gaz offshore nationales). Le projet « Ghana 1000 » de 1 300 MW dirigé par Endeavour prévoit de développer un CCGT en plusieurs phases, les phases ultérieures étant alimentées par du GNL fourni par la Ghana National Petroleum Corporation. L’Afrique du Sud a également des projets ambitieux pour ajouter plus de 3 000 MW de capacité alimentée au gaz, basée sur l’approvisionnement en GNL.

Le GNL porté

Le GNL porté, également appelé GNL « de détail », est  aussi un débouché intéressant, principalement destiné aux industriels non connectés aux réseaux de gaz. Un marché particulièrement développé en Europe et surtout en Espagne, où Naturgy, leader mondial sur ce segment, est particulièrement bien implanté.    

Enfin, le SSLNG, en permettant la construction de petites usines de liquéfaction, peut aussi répondre à des micro-besoins dans des zones non raccordées aux réseaux gaziers qui possèdent toutefois des ressources gazières en faible quantité. Des cas surtout observés en Chine où plus de 200 installations de liquéfaction sont en service, mais aussi sur le continent américain.

Un potentiel à explorer avec le bioGNL

Le bioGNL constitue également un levier important pour le développement du SSLNG. Particulièrement développé en Europe et en Scandinavie, il a du potentiel sur toutes les zones du globe. Produit à partir de la méthanisation des déchets industriels ou agricoles, cette énergie renouvelable produite localement réduit de 90 % les émissions de gaz à effet de serre en comparaison au diesel. De plus, il n’émet aucune particule fine et réduit de 80 % les émissions d’oxydes d’azote. Actuellement trois sites basés en Europe produisent du bioGNL à partir de déchets industriels : Lidkoping en Suède, exploité par Air Liquide, et Romerike et Norske Skog en Norvège,  exploités par la finnoise Wärtsilä avec des capacités de traitement de biogaz de 1 500 Nm3 par heure pour les deux premières. Avec une capacité  de traitement 3 000 Nm3 par heure de biogaz, l’unité de Norske Skog est la plus grande du monde. Entrée en service en septembre 2018, elle valorise les boues résiduelles de la fabrication du papier et des déchets la pêche. Aujourd’hui, le seul site au monde produisant du bioGNL à partir de déchets agricoles est à mettre à l’actif du français Cryo Pur. Installé en Irlande du Nord, l’unité possède un débit correspondant au débit moyen français, autour de 300 Nm3 par heure de biogaz. Si le marché reste aujourd’hui confidentiel, les cadres réglementaires des pays, portés par des intérêts environnementaux, devraient lui laisser de plus en plus de place. Il existe aussi des usines de liquéfaction des gaz de décharge qui fournissent du GNL aux camions de collecte, alimentant une économie circulaire de valorisation des déchets (Clean Energy aux États-Unis).

Si le SSLNG apporte son lot de solutions technologiques et de nouveaux débouchés, il reste encore du chemin à parcourir pour rendre ce marché pleinement mature. Le coût des technologies, leur degré de maturité, la sécurité, la formation et la nature instable de la demande notamment, sont autant d’obstacles qu’il faudra franchir.