REPowerEU : l’UE cherche les clés de son indépendance

Pour stimuler la production de biométhane dans l'UE, le plan REPowerEU fixerait pour objectif de produire 35 mmc de biométhane d'ici 2030, soit le double de l'ambition actuelle de l'UE.

Publié le 21/03/2022

8 min

Publié le 21/03/2022

Temps de lecture : 8 min 8 min

Le 8 mars, la Commission européenne a publié une communication, plus exactement l’ébauche d’un plan baptisé REPowerEU, qui vise à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes « bien avant 2030 ». Stockage, hausse des prix de l’énergie, diversification des approvisionnements mais aussi augmentation du potentiel et accélération du déploiement des gaz renouvelables dans le mix énergétique européen sont parmi les principales pistes abordées. Les premiers arbitrages devraient être annoncés lors de du sommet européen prévu les 24 et 25 mars prochain.

Par Laura Icart

 

Dans un contexte géopolitique extrêmement instable où la manne énergétique devient un instrument de pression majeur de la Russie sur les États européens, la Commission a fait de son indépendance vis-à-vis de Moscou son nouveau cheval de bataille. « Nous ne pouvons tout simplement pas dépendre d’un fournisseur qui nous menace ouvertement. Nous devons agir maintenant pour atténuer les effets de la hausse des prix de l’énergie, diversifier notre approvisionnement en gaz pour l’hiver prochain et accélérer la transition vers une énergie propre » a notamment déclaré la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, le 8 mars. Ne plus dépendre du gaz russe en premier lieu et des hydrocarbures en général mais aussi limiter les prix du gaz qui atteignent des niveaux historiques ces dernières semaines et sécuriser l’approvisionnement gazier de l’UE via notamment une obligation de stockage sont les grandes priorités de la Commission mais également de la présidence française de l’UE pour les semaines à venir. Des actions qui devront être également corrélées « à une baisse de la demande d’énergie » a rappelé la semaine dernière la ministre de la Transition écologique française, Barbara Pompili, lors d’une conférence de presse avec l’Agence internationale de l’énergie. Toutes ces actions pourraient permettre selon l’exécutif bruxellois de réduire la demande de l’UE en gaz russe de deux tiers avant la fin de l’année.

Réduire notre vulnérabilité énergétique

L’UE dépend des importations de combustibles fossiles (gaz, pétrole et charbon) pour répondre à ses besoins énergétiques, qui représentent 57 % à 60 % de la consommation brute d’énergie au cours des cinq dernières années. Bien que la production intérieure de sources d’énergies renouvelables ait considérablement augmenté ces dernières années, la baisse de la production de charbon, de lignite et de gaz de l’UE a eu pour conséquences que l’Union reste dépendante des importations de gaz (90 % de la consommation), de pétrole (97 %) et de houille (70 %). La dépendance de l’Europe aux hydrocarbures russes n’était un secret pour personne. La Russie fournit 45 % de la quantité totale de gaz consommée dans l’UE et représente 27 % des importations de pétrole et 46 % des importations de charbon. Si la Commission a décidé dans un premier temps de se concentrer sur la réduction de la dépendance au gaz russe, c’est parce qu’elle estime, au-delà des enjeux financiers et géostratégiques que cette énergie représente pour le Kremlin, que le gaz a « une influence significative » sur le marché de l’électricité.

Atténuer l’impact économique et social sur les consommateurs

Face à l’urgence, la Commission examinera toutes les possibilités de mesures permettant « de limiter l’effet de contagion des prix du gaz sur les prix de l’électricité, telles que des limites de prix temporaires » indique-t-elle dans sa communication. En effet, Bruxelles compte s’appuyer sur les mesures d’urgence qu’elle avait présenté en octobre : réduction de certaines taxes, allègement temporaire des charges sur les petites et moyennes entreprises, achat groupé de gaz – cette option a d’ailleurs été évoquée en fin de semaine par Bruno Le Maire, mais ne fait pas consensus. Paris pousse également pour réviser les règles du marché commun de l’électricité en argumentant que les prix ne peuvent être fixés sur le cours des énergies fossiles. Une option non écartée par Bruxelles à ce stade qui indique réfléchir aux « possibilités d’optimiser l’organisation du marché de l’électricité » et attend notamment le rapport final de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (Acer). Avec REPowerEU, la Commission présente des « orientations supplémentaires » qui apportent davantage de souplesse aux États membres pour accompagner les consommateurs. La Commission compte par exemple autoriser les États membres à soutenir temporairement les entreprises, quelle que soit leur taille, elles qui sont confrontées à des besoins de liquidités en raison des prix élevés actuels de l’énergie, et ce sur la base des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté. Ces lignes directrices prévoient notamment l’octroiement d’aides sous la forme d’un soutien de trésorerie (au moyen de prêts ou de garanties) pendant une durée maximale de six mois pour les grandes entreprises en difficulté et de dix-huit mois pour les PME. Autre option envisagée, celle pour les États membres de pouvoir redistribuer aux consommateurs les recettes tirées des bénéfices élevés du secteur de l’énergie et du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE). Des mesures qui, selon la Commission, pourraient être financées par des mesures fiscales « temporaires » mises en place par les États membres sur les bénéfices exceptionnels et qui pourraient représenter selon l’Agence internationale de l’énergie « jusqu’à 200 milliards d’euros en 2022 » indique-t-elle.

Sécuriser le prochain hiver gazier

« L’Europe dispose de quantités suffisantes de gaz pour les dernières semaines de l’hiver, mais nous devons reconstituer nos réserves de toute urgence pour l’année prochaine » a rappelé la commissaire chargée de l’énergie, Kadri Simson. Et si les températures clémentes et l’arrivée du printemps ne font craindre aucune rupture, rappelons tout de même qu’au début de l’hiver l’Europe affichait un taux de remplissage historiquement bas dans ses stockages, a contrario de la France qui, en reformant son marché du stockage en 2018, s’est assuré un taux de remplissage élevé. La Commission entend donc avancer rapidement une proposition législative rendant obligatoire au sein de l’UE le remplissage des réservoirs souterrains de gaz à au moins 90 % de leur capacité pour le 1er novembre de chaque année. Si cette obligation concernerait l’ensemble des installations en service, elle devrait laisser à chaque État de la flexibilité sur les modalités d’applications. Pour rappel, les installations de stockage du gaz fournissent généralement 25 à 30 % du gaz consommé dans l’UE en hiver. 

Réduire de deux tiers l’importation de gaz russe en un an

Pour sortir rapidement de notre dépendance au gaz russe, la Commission entend s’appuyer sur deux piliers : la diversification de l’approvisionnement en gaz, grâce à une augmentation des importations de GNL et par gazoduc de pays tiers, notamment l’Algérie, les États-Unis et le Qatar, et l’investissement massif dans l’efficacité énergétique, l’augmentation de la production de biométhane (191 TWh en 2020) et d’hydrogène sur son territoire mais aussi la sécurisation dès à présent des contrats d’importation. En Europe, le potentiel des gaz renouvelables est actuellement « insuffisamment reconnu » selon l’Association européenne du biogaz (ABE) qui estime que le secteur européen du biométhane peut parfaitement répondre au nouvel objectif fixé dans ce plan par la Commission, à savoir la production de 35 milliards de m3 (mmc) de biogaz contre 18 milliards en 2020, ce qui représente environ 10 % de la demande de gaz en Europe d’ici 2030 et 20 % des importations actuelles de gaz en provenance de Russie. D’ici 2050, ce potentiel peut « tripler, dépassant largement les 100 milliards de mètres cubes et couvrant 30 à 50 % de la future demande de gaz de l’UE » estime Harmen Dekker, PDG de l’EBA. Cependant, pour y parvenir, des décisions politiques d’envergure doivent être prises dès à présent, sécurisant le potentiel du biométhane dans les politiques publiques européennes. L’EBA demande notamment l’inclusion de ce nouvelle objectif (35 mmc de biogaz) dans la refonte de la directive sur les énergies renouvelables (REDIII), en cours d’élaboration. Autre vecteur clé pour Bruxelles pour remplacer le gaz russe : l’hydrogène renouvelable. La Commission entend ajouter « un volume supplémentaire de 15 millions de tonnes (Mt) d’hydrogène renouvelable [dont deux tiers importé, NDLR] » aux 5,6 Mt déjà prévues dans le cadre du paquet « adaptation à l’objectif 55 ». Un volume qui pourrait remplacer selon elle 25 à 50 mmc de gaz russe importé par an d’ici 2030. Enfin, la Commission compte accélérer sur le déploiement de toutes les énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien mais aussi sur les pompes à chaleur dans les logements et accélérer également sur le déploiement d’un écosystème hydrogène pour décarboner l’industrie.