« Préserver la qualité de l’air, c’est préserver la santé respiratoire de tous les Français »

Jean-Luc Fugit, rapporteur pour avis de la Commission développement durable et aménagement du territoire sur la première partie (recettes) du projet de loi de finances pour 2023 à l'Assemblée nationale le 10 octobre (Crédit: DR)

Publié le 14/10/2022

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Publié le 14/10/2022

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Selon Santé publique France, la pollution de l’air extérieur est responsable de 40 000 décès prématurés chaque année en France. C’est la troisième cause de mortalité après le tabac et l’alcool. À l’occasion de la journée nationale de la qualité de l’air nous avons interrogé le président du Conseil national de l’air  et député du Rhône Jean-Luc Fugit, sur la situation de la France et sur les politiques publiques à déployer pour accélérer l’amélioration de l’air que nous respirons.

Propos recueillis par Laura Icart 

 

C’est la 8e édition de la journée de la qualité de l’air en France. Pourquoi est-ce un événement de sensibilisation auprès du grand public important selon vous ?

L’air est un sujet de préoccupation majeur pour beaucoup de nos concitoyens. Selon une étude de l’Ademe, il fait même partie de la troisième préoccupation la plus importante pour les Français. Pourtant prendre conscience de la qualité de l’air n’est pas toujours simple. Si nous sommes tous capables de ressentir la température du lieu où l’on se trouve, peu d’entre nous sont capables d’évaluer la corrélation avec l’air que nous respirons. Cette journée et plus largement les événements qui se déroulent autour ont pour but de sensibiliser les Français à l’importance de la qualité de l’air intérieur et extérieur. Sensibilisation, pédagogie, transmission, elle permet aussi de valoriser les bonnes pratiques déclinées à une échelle nationale et locale et de susciter une prise de conscience citoyenne. Préserver la qualité de l’air, c’est préserver la santé respiratoire de tous les Français.

Globalement, la qualité de l’air s’est-elle améliorée dans notre pays ? Est-ce que la France respire mieux? 

Lorsqu’on parle de pollution de l’air, on parle de polluants de proximité comme les particules fines [principalement issues du chauffage au bois et des transports, NDLR] ou les oxydes d’azote [issus des transports, NDLR]. Des polluants présents dans l’air que l’on respire et qui sont particulièrement nocifs pour notre santé. Il apparaît fondamental de ne pas les confondre avec les gaz à effet de serre, comme le CO2 ou le méthane qui ont des impacts importants sur le climat et l’environnement mais qui n’impactent pas directement notre santé. Est-ce que la France respire mieux ? Le bilan est contrasté, je dois le dire. Depuis 20 ans, la qualité de l’air extérieur s’est sensiblement améliorée, avec des réductions importantes des émissions de cinq polluants réglementés [SO₂, oxydes d’azote, composés organiques volatils non méthaniques, PM2,5 et ammoniac, NDLR], nous permettant d’être parmi les 13 pays de l’UE respectant les seuils réglementaires européens. En revanche, pour d’autres polluants tels que les PM10, l’ozone ou le dioxyde d’azote, les concentrations respirées dans plusieurs territoires sont encore trop souvent supérieures aux seuils fixés, ce qui nous vaut d’être concernés par des dépassements. Il y a également les aléas climatiques de plus en plus fréquents et, nous l’avons vu cet été avec les feux de forêt en Gironde, les populations environnantes ont été exposées pendant plusieurs semaines à des niveaux élevés de polluants. Durant le quinquennat précédent, de nombreuses actions ont été engagées pour réduire les émissions de polluants de l’air dans tous les secteurs de notre économie : le logement, avec notamment la stratégie nationale de réduction des émissions de particules fines du chauffage au bois non performant, l’agriculture avec la trajectoire de réduction des émissions du secteur agricole ou le transport avec la mise en place de dispositifs plus incitatifs pour aller vers des mobilités plus propres et plus actives [plan vélo, forfait mobilité durable primes à l’achat, etc., NDLR] et la création de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) qui auront, nous le savons déjà, un véritable impact sur la santé des habitants qui vivent ou travaillent dans cette zone.

Et qu’en est-il de l’air en intérieur ?

Nous passons 80 à 90 % de notre temps à l’intérieur. La qualité de l’air intérieur est donc une question prégnante qui doit aussi orienter nos politiques publiques. Des espaces clos dans lesquels peuvent s’accumuler des polluants extérieurs, mais aussi des polluants provenant des activités d’intérieur [cuisine, nettoyage, ameublement, moisissures, NDLR], surtout dans des bâtiments bien isolés et sans ventilation. La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a accéléré la prise de conscience sur la nécessité de mieux prendre en compte la qualité de l’air intérieur. Par exemple, en France, deux tiers de nos salles de classe ne sont pas équipées de ventilation mécanique.  

 

 

« Il faut des évolutions en matière d’urbanisme pour rendre nos villes plus respirables. »

 

Selon une étude d’Atmo France publiée en juillet, la qualité de l’air reste mal intégrée dans les stratégies des collectivités, au sein des plans climat-air-énergie sur nos territoires. Quels sont les leviers à actionner pour une meilleure prise en compte ?

D’une manière générale, l’urbanisme ne prend pas assez en compte la qualité de l’air et cela peut donner lieu à une densification de zones déjà très polluées, la construction d’infrastructures sportives ou scolaires à proximité de sources de pollution, ou encore un manque de végétalisation. Je pense qu’il faut des évolutions en matière d’urbanisme pour rendre nos villes plus respirables. Je propose d’ailleurs dans ma proposition de loi de donner les moyens aux collectivités de mieux protéger leurs concitoyens en intégrant aux documents d’urbanisme des études de l’exposition à la pollution de l’air, qui sont déjà réalisées par les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l’air, les AASQA dont je souhaite rappeler la qualité du travail.

Justement, vous avez déposé le 22 décembre dernier une proposition de loi visant à réduire l’exposition de la population à la pollution de l’air. Pourquoi est-il nécessaire de légiférer sur cette question ?

Cette proposition de loi vise à proposer de nouvelles solutions concrètes pour préserver le « capital souffle » de nos concitoyens. L’idée principale étant de venir renforcer l’action engagée depuis quatre ans pour réduire les émissions de polluants, en intégrant un volet insuffisamment développé à mon sens, celui de la réduction de l’exposition des personnes à la pollution de l’air. Par manque d’informations, de leviers d’action et de cadre juridique, il reste du chemin à parcourir pour une meilleure protection des personnes face à la pollution de l’air. Je propose plusieurs axes d’améliorations pour y parvenir : améliorer les connaissances sur les risques (activités et comportements) mais aussi sur les bonnes pratiques à adopter pour donner à chacune et chacun le pouvoir d’agir sur sa santé, créer des outils  adaptés, notamment au niveau local, pour des politiques de lutte plus efficientes et un cadre juridique fondé sur la science pour construire des solutions qui aient de réels impacts sur notre santé.

Instaurée par la loi d’orientation des mobilités (LOM), renforcée par la loi énergie et climat, les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) semblent être un outil efficace pour réduire l’exposition des populations aux polluants de l’air mais elles constituent aussi un véritable casse-tête social et politique ? 

Le défi est important je vous le concède, mais il est d’autant plus important de le réaliser que nous savons, grâce aux retours d’expérience de plusieurs pays européens (Allemagne, Italie…) qui ont mis en place des dispositifs de restrictions de circulation semblables aux ZFE-m, cela fonctionne. Deux tiers des émissions d’oxydes d’azote et une grande part des particules fines proviennent des transports utilisant des énergies fossiles. Et même si le renouvellement du parc amène sur nos routes des véhicules moins polluants, les habitants des ZFE-m verront la qualité de l’air environnant s’améliorer progressivement. Toutefois, j’ai bien conscience que le déploiement des ZFE-m pose un certain nombre de difficultés, notamment un manque de progressivité dans le calendrier de déploiement, ce qui créé des tensions avec la population, mais aussi des difficultés de trésorerie et un manque d’accompagnement financiers pour les ménages et les entreprises qui souhaitent changer de véhicules. Enfin, le système de contrôle automatique des plaques d’immatriculation [prévu dans la LOM, NDLR] qui doit être mis en place courant 2023, nous permettra de garantir l’efficacité du dispositif à court et long terme.