L’UE propose de réduire la demande gazière de 15 % en neuf mois

Ursula von der Leyen, Frans Timmermans, Kadri Simson, Thierry Breton lors de la présentation du plan "UE Gas winter" le 20 juillet.

Publié le 21/07/2022

10 min

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La Commission européenne a présenté mercredi 20 juillet son plan d’urgence pour assurer sa sécurité énergétique l’hiver prochain et plus particulièrement son approvisionnement gazier. L’Union souhaite anticiper une rupture totale du robinet gazier russe en proposant une série de mesures pour réduire la consommation de gaz dans l’UE : limitation du chauffage et de la climatisation, diversification des sources d’énergie et incitations citoyennes. Un plan qui doit être adopté à la majorité qualifiée par le Conseil de l’Union européenne mais dont l’objectif de réduction de la demande imposée par Bruxelles est déjà contesté par plusieurs États.

Par Laura Icart,  avec AFP

 

Pour faire face à de nouvelles coupures de l’approvisionnement en gaz russe, alors que la moitié des États membres sont déjà touchés par une réduction des livraisons et que Moscou accentue sa pression sur l’Union européenne, les annonces faites hier par la Commission doivent selon ses dires  « renforcer sa résilience énergétique » en instaurant un nouvel instrument législatif et un plan européen de réduction de la demande de gaz, afin de diminuer la consommation de gaz en Europe de 15 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années, jusqu’au printemps prochain. Si ce plan doit être discuté le 26 juillet lors d’un Conseil européen, cette mesure chiffrée de réduction de la demande divise déjà les États membres mais aussi les entreprises européennes qui s’inquiètent des répercussions.

Un contexte inédit

La guerre en Ukraine a accéléré les effets d’une crise énergétique présente depuis le milieu de l’année dernière. Ces derniers mois, l’UE a multiplié les annonces notamment via la présentation de son plan REPowerUE mais aussi en adoptant fin juin une nouvelle législation rendant obligatoire le remplissage de ses réservoirs souterrains de gaz à 80 % de leur capacité d’ici au 1er novembre 2022 afin de garantir l’approvisionnement pour l’hiver à venir ou en actant la mise en place effective d’une plateforme énergétique de l’UE, dont l’objectif est d’agréger la demande énergétique au niveau régional et de faciliter les futurs achats conjoints de gaz et d’hydrogène vert. Si sortir de la dépendance au gaz russe est une nécessité pour la Commission, la présidente ayant rappelé que la Russie utilisait « le gaz comme une arme de guerre », l’UE y parvient progressivement. « L’année dernière, 40 % du gaz importé l’a été de Russie. Cette année, déjà en avril, nous étions descendus à 26 %. Cela va donc dans la bonne direction, mais nous devons accélérer» soulignait il y a quelques semaines Ursula Von der Leyen. Une diminution de sa dépendance liée à une augmentation de ses importations de gaz naturel liquéfié au premier semestre de 2022. « Les importations de GNL non russe ont augmenté de 21 milliards de mètres cubes (Mrd m³) par rapport à la même période de l’année dernière » précise la Commission. Dans le même temps, l’UE a également augmenté sa capacité d’importation de gaz par gazoduc, de l’ordre de 14 Mrd m³ en provenance de la Norvège, l’Azerbaïdjan, le Royaume-Uni et l’Afrique du Nord. Aux enjeux de sécurité énergétique et de rupture potentielle de gaz russe, s’ajoute un contexte inédit de prix sur le marché énergétique. Au premier semestre 2022, les prix du gaz en Europe étaient quatre fois plus élevés qu’au premier semestre 2021, les prix du charbon trois fois plus, dopant à leur tour les prix de l’électricité. « Le monde traverse sa première vraie crise énergétique mondiale, alimentée par l’invasion russe de l’Ukraine. Et le secteur de l’électricité en est l’un des plus sévèrement affectés », souligne le directeur de l’AIE pour les marchés et la sécurité énergétiques, Keisuke Sadamori. « C’est particulièrement vrai en Europe », dont les gouvernements « doivent recourir à des mesures d’urgence face aux défis d’approvisionnement immédiats, mais doivent aussi accélérer les investissements dans les énergies propres, réponse la plus efficace et la plus durable à cette crise », insiste-t-il.

Réduire de 15 % la demande gazière en neuf mois

La Commission propose un nouveau règlement du Conseil sur la coordination des mesures de réduction de la demande de gaz.  En somme, il assignerait tous les États membres à un objectif de réduction de la demande de gaz de 15 % entre le 1er août 2022 et le 31 mars 2023. Il donnerait aussi à la Commission « la possibilité de déclarer, après consultation des États membres, une «alerte de l’Union» sur la sécurité de l’approvisionnement, qui imposerait une réduction obligatoire de la demande de gaz » à tous les États membres. En cas de « risque substantiel de grave pénurie ou de demande exceptionnellement élevée« , et si les efforts volontaires ne suffisaient pas, un mécanisme d’alerte pourrait par ailleurs être activé, après consultation des États, afin de fixer des « objectifs contraignants », ce qui permettrait de rendre « contraignant » cet objectif de 15 %. La Commission souhaite que les États membres actualisent leurs plans d’urgence nationaux «  d’ici fin septembre » en fonction de ce nouvel objectif. Elle précise également que les pays qui demanderont du gaz aux États voisins selon le principe de solidarité mis en place par Bruxelles pour accompagner notamment les pays qui ne bénéficient pas de stockage souterrains « seront tenus de faire connaître les mesures qu’ils ont prises pour réduire la demande au niveau national ». Pour accompagner les États membres, la Commission a adopté un plan européen de réduction de la demande de gaz, qui définit une série de règles en vue d’une réduction « coordonnée » de la demande. Ce plan porte selon Bruxelles sur la substitution du gaz par d’autres combustibles, en privilégiant les énergies renouvelables et sur les économies d’énergie globales dans tous les secteurs, notamment la réduction ciblée du chauffage et de la climatisation dans les bâtiments exploités par les pouvoirs publics. Il définit les catégories de consommateurs et d’utilisateurs essentiels comme les ménages ou les hôpitaux mais aussi certaines industries fournissant des biens et des services essentiels au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement de l’UE qui ne seront pas concernés par un éventuel rationnement.

Madrid, Lisbonne, Athènes, Varsovie s’y opposent

À peine annoncé, cet objectif de réduction globale de 15 % de la demande de gaz voulue par l’exécutif Bruxellois fait déjà débat. Plusieurs pays ont déjà exprimé leurs désaccord. Ce fut le cas dès hier soir du gouvernement espagnol qui s’est dit opposé à cette mesure, ne la jugeant pas forcément « juste » ni « efficace ». « L’Espagne n’appuie pas cette proposition », a déclaré lors d’une conférence de presse la ministre de la transition écologique Teresa Ribera, en regrettant que cette mesure n’ait pas fait l’objet d’un débat préalable. « Nous allons nous opposer à l’imposition d’obligations qui sont au-dessus, en termes d’efforts, à ce qui nous correspond », a-t-elle assuré.  « Les familles espagnoles ne subiront pas de coupures de gaz ou d’électricité dans leur logement » et « l’Espagne défendra la position de l’industrie espagnole », a-t-elle promis, même si elle a exprimé sa volonté d’être solidaire des autres États membres. « Nous savons que de nombreux partenaires européens traversent une période difficile et voient l’automne et l’hiver avec une grande inquiétude. Nous voulons aider, en mettant toutes nos infrastructures au service de l’UE« , a-t-elle conclu. Le Portugal a également déclaré qu’il allait s’opposer à cette mesure « disproportionnée » selon Joao Galamba, le secrétaire d’État à l’Environnement et à l’énergie, dans un entretien au quotidien Publico publié aujourd’hui. La proposition de la Commission « n’est pas adaptée pour des pays qui ne sont pas interconnectés » au réseau gazier comme le Portugal, a-t-il expliqué. « Nous utilisons le gaz par nécessité absolue« , a affirmé le ministre portugais, ajoutant en outre que cette mesure serait difficile à mettre en œuvre au Portugal alors que le pays a été contraint « d’augmenter fortement sa consommation de gaz en raison de la sécheresse » exceptionnelle de cette année. La Pologne et la Grèce ont également fait savoir qu’elles étaient contre cette mesure. Si la France n’a pas « de commentaires à faire à ce stade et attend le conseil du 26 juillet » nous indique-t-on du côté du cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, plusieurs pays ont déjà exprimé des réserves. La Hongrie a déjà annoncé qu’elle garderait l’intégralité de son gaz pour ses besoins domestiques et qu’elle n’excluait pas de faire appel à Moscou si besoin.

Un objectif global pour une diversité de situations ?

Est-il vraiment possible d’imposer une norme aussi restrictive alors que l’hétérogénéité des situations et des systèmes énergétiques des pays membres est extrêmement importante ? Un exercice « très compliqué » selon Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Centre global des politiques de l’énergie de l’université de Columbia, qui met en avant plusieurs points :  le poids dans chaque mix national des secteurs consommateurs de gaz (industriel, résidentiel, tertiaire, génération d’électricité à partir de gaz) et les leviers pour agir sur la demande qui seront forcément différents d’un pays à l’autre. « En France, le poids résidentiel-tertiaire est assez important, vu le peu de génération d’électricité à partir de gaz, donc il va falloir agir sur ce secteur. » Autre difficulté et pas des moindres : celle des disparités climatiques, car les écarts de températures entre pays européens sont très importants. Par exemple, si l’hiver a tendance a être plus doux en France, avec des vagues de froid beaucoup moins fréquentes sur cette dernière décennie, il peut être particulièrement rude en Pologne. Dans ce contexte, « est-il raisonnable de demander aux Polonais de réduire leur demande de gaz de 15 % ? » se demande l’experte des marchés mondiaux du gaz. Mais l’une des principales interrogations de cette annonce réside pour Anne-Sophie Corbeau dans le fait que cette demande de Bruxelles de réduire la consommation de gaz ne soit pas être « corrélée à une réduction de la demande directe d’électricité ». « L’un ne va pas sans l’autre » estime-t-elle, surtout que « certains pays font face à des situations compliquées pour leur production d’électricité, avec un secteur hydraulique moins productif ». Diminuer la demande gazière « jouera automatiquement sur les exportations et pourra avoir un impact sur les importateurs d’électricité ». Dans un communiqué publié le 20 juillet, BusinessEurope, organisation représentant le patronat européen, a alerté de son côté sur « des effets économiques désastreux et un impact souvent irréversible ». « Des baisses forcées de production (…) doivent rester une option de tout dernier recours. Il faut d’abord tout faire pour éviter d’en arriver là », notamment en diversifiant les fournisseurs d’énergie et en utilisant « des mécanismes de marché », a estimé Markus Beyrer, directeur général de BusinessEurope.

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