Les États-Unis vont fournir plus de GNL à l’UE en 2022

Publié le 25/03/2022

9 min

Publié le 25/03/2022

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Les États-Unis et l’Union européenne ont annoncé le 25 mars la création d’un groupe de travail visant à réduire la dépendance de l’Europe envers les énergies fossiles russes, en raison de la guerre menée par Moscou en Ukraine. Les États-Unis se sont notamment engagés à fournir davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) cette année et à augmenter chaque année ce volume jusqu’en 2030. Au-delà de l’effet d’annonce, l’Europe a-t-elle les moyens de capter et d’attirer davantage de GNL ? Décryptage. 

Par Laura Icart, avec AFP

 

Depuis plusieurs semaines, alors que les annonces se multiplient, l’UE cherche à réduire sa dépendance au gaz russe mais à très court terme elle veut avant tout sécuriser l’approvisionnement gazier pour l’hiver prochain. Ce matin, dans le cadre d’un sommet européen à Bruxelles réunissant l’ensemble des chefs d’État, le président américain Joe Biden et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont annoncé les prémices d’un « nouveau chapitre pour la coopération énergétique entre l’UE et les États-Unis » alors que l’UE est pressée par Kiev et par certains États membres, dont les pays baltes et la Pologne, d’adopter des sanctions drastiques pour stopper les importations d’hydrocarbures russes, afin de priver le régime de Vladimir Poutine de sa principale ressource économique. Washington a déjà imposé un embargo sur le gaz et le pétrole le 8 mars.

Diminuer des deux tiers les importations européennes de gaz russe

Washington « salue l’ambitieux engagement de l’UE à réduire sa dépendance au gaz russe, et nous nous sommes entendus sur un plan d’actions commun pour contribuer à cet objectif, tout en accélérant nos progrès » vers une décarbonation de l’économie, a ajouté Joe Biden. La Commission européenne cherche à diminuer des deux tiers les importations européennes de gaz russe dès cette année, un constat également partagée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), et à s’en affranchir complètement « bien avant 2030« , grâce à des obligations de remplissage des réserves, des économies d’énergie, des achats groupés de gaz et une diversification des fournisseurs comme elle l’a annoncé dans son plan REPowerEU dévoilé le 8 mars. Pour y parvenir, il s’agira aussi de réduire la demande de gaz. Si la date de 2027 a été évoquée par la Commission, elle ne fait pas consensus, notamment dans les pays fortement dépendants du gaz russe mais aussi dans lesquels le gaz représente une part important du mix énergétique national. C’est notamment le cas de l’Allemagne qui a annoncé récemment qu’elle était prête « à court terme à renoncer au pétrole mais pas au gaz russe ».  

15 milliards de mètres cubes de GNL supplémentaires en 2022

Les États-Unis s’efforceront – en coopération avec « des partenaires internationaux« ‘ – de fournir à l’Europe 15 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz naturel liquéfié (GNL) en 2022 a souligné Joe Biden ce matin. 14 à 15 milliards de mètres cubes de GNL, c’est justement ce que fournit chaque année Moscou à l’UE. À cela s’ajoute tout de même 140 milliards de mètres cubes fournis par la Russie à l’UE par gazoduc. Et si États-Unis ne représentent que 6,3 % des importations européennes totales de gaz, ils sont déjà le plus grand fournisseur de gaz naturel liquéfié à l’UE (22 milliards de mètres cubes en 2021) et le plus grand producteur au monde. « Nous avons été capables de prendre cette décision (d’un embargo), alors que d’autres ne le pouvaient pas, parce que nous sommes un exportateur net d’énergie, avec un secteur puissant (dans les hydrocarbures) », a souligné Joe Biden devant la presse vendredi. Cette annonce de volumes additionnels livrés par les États-Unis en 2022 n’est pas une surprise, l’UE ayant entamé depuis plusieurs semaines des discussions avec les principaux pays producteurs comme la Norvège, l’Algérie ou le Qatar. Dans le cadre du groupe de travail annoncé vendredi, l’exécutif européen travaillera avec les États membres « dans le but de garantir, au moins jusqu’en 2030, une demande stable » d’environ 50 milliards de mètres cubes par an de GNL américain supplémentaire. « La formule de calcul du prix des livraisons de GNL à l’UE devrait tenir compte des indicateurs à long terme du marché, ainsi que d’une coopération stable entre l’offre et la demande. Cet accroissement doit être compatible avec nos objectifs communs de zéro émission nette » précise le communiqué. Sous-entendu : l’UE (ré)ouvrirait-elle la voie à des contrats à moyen et long terme pour ne plus être soumise au marché spot et sécuriser son approvisionnement énergétique ? La question se pose clairement.

L’Europe est-elle en capacité de recevoir ce GNL supplémentaire ?

Pour Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’université de Columbia, si la possibilité d’augmenter à court terme la production de gaz et le transport par gazoduc permettant dès cette année de fournir 10 milliards de mètres cubes supplémentaires conformément aux attentes de l’AIE et de la Commission s’avère « réalisable », avec notamment une augmentation de 3 milliards de mètres cubes en Norvège, une autorisation des Pays-Bas pour produire deux fois plus de gaz à Groningue (7,6 milliards de mètres cubes au lieu de 3,9 milliards) et une augmentation d’exportation de l’Azerbaïdjan vers l’UE (2 milliards de mètres cubes supplémentaires) via son gazoduc TAP, la capacité de l’Europe à pouvoir absorber rapidement de telles quantités de GNL s’avère beaucoup plus « complexe ». En 2021, selon les chiffres de l’EIA, l’Europe a importé environ 80 milliards de mètres cubes de GNL. Si elle est effectivement en mesure d’en prendre davantage pour réduire sa dépendance à la Russie, la quantité disponible qu’elle pourrait absorber irait de 20 milliards de mètres cubes selon l’analyse de l’AIE à 50 milliards selon celle de la Commission. Pour que l’UE atteigne un niveau d’importation de 130 milliards de mètres cubes (80 mmc + 50 mmc), cela nécessiterait, outre un « alignement des planètes » pour Anne-Sophie Corbeau, d’être en mesure de pouvoir « détourner vers l’Europe une grande quantité de GNL », notamment pour remplacer les importations de GNL russe, mais aussi de « résoudre les limites imposées par les terminaux GNL européens ».  

L’Europe est-elle en mesure de capter 50 milliards de mètres cubes?

Le commerce mondial de GNL devrait augmenter d’environ 20 milliards de mètres cubes en 2022 en raison de la mise en service de plusieurs usines de GNL aux États-Unis (Calcasieu, Sabine Pass Train 6) et du redémarrage de l’installation de Snøhvit. Cependant, outre le fait que cette nouvelle capacité est probablement déjà en partie souscrite, la capacité de l’Europe à la capter dépend selon l’experte « de la possibilité pour certains pays de continuer à importer du GNL russe. S’il leur est interdit de le faire, le plan de la CE est irréalisable » estime-t-elle. Et c’est ensuite que « le plus difficile commence » : attirer les 30 milliards de mètres cubes en provenance d’Asie et d’autres régions importatrices, ce qui, à moins d’avoir des prix du gaz très élevés freinant la demande, signifiera selon Anne-Sophie Corbeau que l’Europe devra « surenchérir sur les autres régions pendant toute l’année et au-delà », sans oublier que le Qatar a déjà indiqué que la plupart des volumes étant souscrits dans le cadre de contra long terme, la capacité disponible ne pourrait excéder 15 %. L’experte note en revanche qu’entre 8 et 10 milliards de mètres cubes pourraient être détournés du marché sud-américain, qui a consommé l’année dernière bien davantage que sa consommation habituelle, en premier lieu à cause d’un déficit de production hydroélectrique au Brésil.  

Les infrastructures de GNL sont-elles suffisantes ?

Selon le Groupe international des importateurs de gaz naturel liquéfié (GIIGNL), la capacité de regazéification de l’UE s’élève à 170 milliards de mètres cubes, dont elle pourrait théoriquement importer 130 milliards de mètres cubes de GNL en 2022. Sauf que la réalité est plus complexe, rappelle Anne-Sophie Corbeau : près de « 75 milliards de mètres cubes de cette capacité sont situés dans la péninsule ibérique, qui n’importe qu’environ 25 milliards de mètres cubes ». L’experte estime que pour augmenter rapidement ses importations de GNL de 50 milliards de mètres cubes, la péninsule ibérique devra « devenir un pont d’importation de GNL vers le reste de l’Europe », que l’Algérie devra privilégier l’envoi de gaz par gazoduc à l’Italie, permettant à l’Espagne d’importer plus de GNL. Enfin, elle estime que l’UE doit entamer un dialogue stratégique avec le Royaume qui a l’avantage de disposer d’« une capacité de GNL largement sous-utilisée et de grandes connexions par gazoduc avec l’Europe continentale ». Quoi qu’il en soit conclut-elle, si « l’Europe veut importer durablement de grandes quantités de GNL, elle devra construire de nouveaux terminaux d’importation de GNL ». En moyenne, il faut entre deux et trois ans pour construire un terminal méthanier.

Et si l’objectif est bien d’assurer la sécurité du prochain hiver, l’enjeu pour l’Europe ne doit pas être de transformer une dépendance par une autre mais bien d’accélérer sur la décarbonation de nos usages énergétiques. Pour cela l’UE ne doit pas oublier qu’investir aujourd’hui dans des politiques d’efficacité énergétique et dans les énergies renouvelables notamment dans la production de biogaz, c’est aussi s’offrir pour demain les clés d’une plus grande indépendante énergétique. 

Crédit : European Union, 2022.