La filière méthanisation veut aussi son « choc » de simplification

La filière de la méthanisation agricole demande au gouvernement des mesures de simplification pour ne pas freiner la dynamique de la filière en France. ©Shutterstock

Publié le 27/02/2024

8 min

Publié le 27/02/2024

Temps de lecture : 8 min 8 min

Le 26 février, l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France, les chambres d’agriculture et France gaz renouvelables ont demandé au gouvernement un soutien politique affirmé et des mesures de simplification pour la méthanisation, une filière qui repose essentiellement sur le monde agricole et qui devrait connaître un ralentissement ces deux prochaines années, alors que le nombre de projets déposés a beaucoup diminué en 2023.

Par Laura Icart

 

Particulièrement dynamique en France ces dernières années, la filière méthanisation devrait voir son développement ralenti au cours de deux prochaines années, malgré l’atteinte des objectifs de production fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, avec 9 TWh injecté dans les réseaux gaziers et 600 MW d’électricité produite en 2023. L’injection va ralentir alors que la cogénération est quasi à l’arrêt, conséquence d’un contexte économique morose, d’une inflation sur les matériaux et les prix de l’énergie, conséquence aussi d’un contexte administratif et réglementaire français qui « pèsent lourdement » sur les agriculteurs en renchérissant les coûts et complexifiant le développement des projets tout au long de la chaîne de valeurs.

Fixer « une ambition politique forte »

« Il faut une trajectoire politique claire et mettre sur la table le sujet de la normalisation des énergies renouvelables dans le monde agricole » souligne Olivier Dauger, co-président de France gaz renouvelables, président de la chambre d’agriculture des Hauts-de-France et référent climat-énergie à la FNSEA. Un avis partagé par Jean-François Delaitre, président des Agriculteurs méthaniseurs de France. « La méthanisation permet de défossiliser le gaz  et participer à la décarbonation de l’agriculture », c’est une « réponse concrète à apporter aux territoires » explique le président de l’AAMF dont l’association regroupe près de 550 agriculteurs. « Il faut une ambition politique forte et des élus qui portent le développement des projets au niveau local. » Un plus grand portage politique, une volonté portée de longue date par l’AAMF qui soulignait déjà il y a un an le décalage entre les textes ministériels et les réalités du terrain. « Il faut une loi de souveraineté énergétique et une PPE ambitieuse, ajoute Olivier Dauger, en adéquation avec le potentiel de la filière », soit plus 70 TWh à horizon 2030 estiment les acteurs de la filière, même si le projet initial du gouvernement ne prévoit à ce stade que 50 TWh en 2030 et que le volet programmatique de la loi de souveraineté semble errer dans les couloirs de Bercy. Autre dispositif particulièrement attendu par les acteurs de la filière : les certificats de production de biogaz dont la publication du décret est attendue depuis plusieurs mois après son passage en septembre au Conseil supérieur de l’énergie, et qui semble lui aussi attendre l’aval de son nouveau ministère de tutelle.

Simplifier, le maître-mot

Si le mot résilience s’était taillé la part du lion après trois années de crise sanitaire et énergétique, la simplification est désormais le grand chantier ministériel, mis en lumière par la colère d’un monde agricole noyé sous les contraintes normatives et réglementaires qui demande davantage de bon sens dans la pratique d’un métier difficile mais essentiel à notre souveraineté alimentaire. « Nous sommes prêts et engagés pour le changement mais il doit être fait avec pragmatisme et bon sens au service du monde paysan »  nous confiait récemment Francis Claudepierre, président de Trame et agriculteur en Moselle. Cet après-midi, France gaz renouvelables, l’AAMF et les chambres d’agriculture ont formulé plusieurs demandes concrètes : faciliter l’octroi des délais, rationaliser l’exploitation et simplifier la transmission des données de contrôle et renforcer la cohérence réglementaire. « Aujourd’hui il faut cinq ans en moyenne pour développer un projet de méthanisation, c’est trop long » souligne Christophe Hillairet, président de la chambre d’agriculture d’Île-de-France, lui-même agriculteur méthaniseur en Seine-et Marne. « Entre les délais d’instruction et les délais de recours, de plus en plus de porteurs de projets se voient attribuer une fin de non-recevoir faute de visibilité financière. »

Un dédale administratif à la française 

Pour Jean-François Delaitre « ce n’est pas d’être contrôlé qui pose problème », lui qui rappelle que l’ensemble des 200 méthaniseurs français concernés par  la directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, dite « RED II », ont obtenu leur certification de durabilité, « c’est la cohérence des demandes et la multiplication des documents à fournir, parfois identiques, à de multiples interlocuteurs ». En moyenne, le président de l’AAMF estime que la charge administrative uniquement pour son méthaniseur représente « plus d’un mois et demi de travail par an ». Une moyenne qui serait plus conséquente selon d’autres agriculteurs méthaniseurs présents lors de l’échange avec la presse. « La lourdeur administrative est pointée du doigt par tous les producteurs et le respect de l’ensemble des obligations administratives et réglementaires peuvent représenter jusqu’à un demi-ETP par an » indique le communiqué. Des obstacles réglementaires et administratifs « qui freinent » le développement de la méthanisation en France alors qu’elle rend pourtant de « nombreux services aux territoires et à la transition agricole » indique Jean-François Delaître, évoquant le traitement des déchets, la diversification du revenu agricole, la réduction de la dépendance aux engrais de synthèse et une production énergétique locale.

Des propositions « ancrées dans la réalité »

Les propositions de simplification sont « issues du terrain, ancrées dans la réalité agricole » souligne Christophe Hillairet. Pour donner une vision à long terme aux porteurs de projets, les trois associations demandent une réduction des délais d’instruction des recours (tribunal administratif) et d’appels (cours d’appel), invoquant « des délais imprévisibles pouvant aller de 10 mois à trois ans », de sanctionner davantage les recours abusifs ou encore de limiter la rétroactivité des nouvelles prescriptions pour les installations en fonctionnement « parfois impossible à réaliser ». « Nous aimerions une logique d’accompagnement plutôt qu’une logique de sanction » souligne le président de l’AAMF. « Le coût lié aux audits et contrôles sur 15 ans (phase projet, chantier, exploitation) est de l’ordre de 500 000 euros, dont les deux tiers en phase projet, ou dans les cinq premières années, sans certitude que le projet voit le jour » précise le communiqué qui indique également qu’il y a de fortes disparités départementales dans l’instruction des projets ou l’application des textes « installations classées pour la protection de l’environnement » (ICPE). Mieux rationaliser, c’est aussi davantage s’adapter aux spécificités du territoire, sortir des standards « pour cultiver une intelligence contextuelle ». Pour cela, la filière de la méthanisation réclame davantage d’ingénierie humaine pour un meilleur accompagnement. Autre demande, de « bon sens » selon Christophe Hillairet : centraliser les données demandées aux agriculteurs, « créer un coffre-fort » numérique où les administrations pourraient venir récupérer elles-mêmes les données. Environ 150 données sont à remonter tous les ans par l’exploitant vers différents organismes, dont près de 40 sont redondantes et peuvent être demandées de deux à six fois par différents organismes. « On marche sur la tête » conclut-il, reprenant un slogan désormais bien connu du monde agricole.

Pour lever les freins et pérenniser la méthanisation agricole, la filière demande également davantage de cohérence réglementaire et de synergies dans les politiques publiques décidées et au sein même des ministères qui affichent parfois des visions silotées et prennent des décisions à rebours les une des autres. En France, la production de biométhane injecté s’élève au cours de l’année 2023 à plus de 9 TWh, soit 3 % de la consommation nationale de gaz, et la production d’électricité à partir de biogaz s’élève à 3 TWh au cours de l’année 2023, soit 0,7 % de la consommation électrique française selon dernières données fournies par le ministère de la transition écologique.