La méthanisation agricole n’est pas « assez soutenue par les pouvoirs publics et par nos élus »

Publié le 14/02/2023

8 min

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L’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) s’inquiète de la perte de dynamisme de la filière pour le monde agricole. Aujourd’hui, en France, plus de 85 % des unités de méthanisation sont exploitées par des agriculteurs, mais le contexte économique morose de l’année 2022, associé à des freins réglementaires importants, risquent de créer « un arrêt brutal » de la filière dès 2024 souligne l’AAMF, alors que les questions de souveraineté énergétique et d’économie circulaire n’ont jamais été aussi prégnantes dans la parole publique.

Par Laura Icart

 

« Nous sommes écoutés mais nous ne sommes pas entendus » souligne Mauritz Quaak, vice-président de l’AAMF installé sur une exploitation en polyculture élevage en Seine-et-Marne avec son frère et exploitant d’une unité de méthanisation en injection depuis 2013. « Nous sommes inquiets pour cette filière alors que sur le papier nous cochons de nombreuses cases de l’économie circulaire » ajoute Adeline Canac, éleveuse de brebis dans l’Aveyron, exploitante d’une unité en cogénération depuis 2018. Car si la dynamique est réelle aujourd’hui avec des mises en service qui se multiplient, elle ne reflète pas la vitalité de la filière qui est en réalité à l’arrêt en termes de développement des projets.

« Un décalage entre les paroles et les actes »

Plus de 1 400 sites de méthanisation sont opérationnels en France selon le ministère de la Transition énergétique au 1er janvier 2023, dont plus de 1 200 installés à la ferme. Plus de 440 sites, soit 85 % des sites en injection, produisent du biométhane issu de monde agricole. Si le développement du biogaz et du biométhane est aujourd’hui affiché comme un vecteur de souveraineté et a été cité plusieurs fois ces derniers mois par le gouvernement, « le décalage entre le paroles et les actes » inquiète les agriculteurs réunis au sein de l’AAMF, qui espèrent que le rôle majeur de la méthanisation agricole dans la transition énergétique sera davantage reconnu au cours d’une année 2023 qui va voir se succéder des textes majeurs (stratégie française énergie climat, loi de programmation pluriannuelle de l’énergie), pour l’avenir énergétique de notre pays.

Inquiétude à tous les étages

S’il y a une vraie inquiétude de tous les acteurs de la filière, elle n’est pas forcément visible sur les chiffres puisque les années 2022 comme 2023 affichent une dynamique positive, « mais il y a une vraie crainte pour la suite » souligne Mauritz Quaak. « Aujourd’hui, il n’ y a presque plus de projets déposés, car la rentabilité n’est plus là. » Une situation encore pire pour la cogénération où « deux ,projets ont été déposés en 2022 » précise Adeline Canac. Pourtant ils n’ont eu de cesse de le répéter aux pouvoir publics ces derniers mois : « L’agriculteur et l’agriculture ont un vrai rôle à jouer dans cette transition énergétique» mais « il faut de la visibilité et du bon sens ». Alors que les discussions sur la PPE sont en cours entre les services du ministère de la Transition énergétique et les acteurs de la méthanisation, ils espèrent une ambition réhaussée à la hauteur du potentiel de la filière qui évoque près de 60 TWh de biométhane (injection) et de biogaz (cogénération) combinés, contre environ 12 TWh aujourd’hui. « L’impact du tarif 2020 va créer une véritable rupture en 2024 si rien n’y fait » insiste Mauritz Quaak, alors que les capacités inscrites au registre de capacité ont été divisées par quatre entre 2019 et 2022. Aux projets qui ne sont pas déposés, il faut aussi ajouter ceux qui sont abandonnés : près de 1,9 TWh de capacités ont été retirées du registre l’année dernière par rapport à celles enregistrées à fin 2021.

Un fossé entré la théorie et la pratique

Pour l’AAMF, la méthanisation agricole fait face à plusieurs difficultés et à des freins importants. Si le gouvernement a envoyé plusieurs signaux positifs au dernier trimestre 2022, avec deux mesures réglementaires permettant d’augmenter la capacité de production du biométhane en France et a permis quelques avancées législatives dans la loi accélération des énergies renouvelables, avec notamment l’harmonisation entre le code rural et le code de l’urbanisme, sur le terrain l’inquiétude monte, particulièrement chez les agriculteurs en cogénération. « Avec un tarif d’achat de l’électricité qui perd en moyenne 0,5 % par trimestre depuis 2017 et sans possibilité pour le producteur d’auto-consommer son électricité ou de vendre au-dessus du volume prévu dans le contrat, la situation n’est plus tenable. Nous vendons aujourd’hui notre électricité moins chère que celle que nous achetons » expliquait à Gaz d’aujourd’hui Jean-Marc Onno, agriculteur méthaniseur en Bretagne, il y a moins d’un mois. Pire, « plus l’agriculteur produit de l’électricité, moins le tarif est intéressant » ajoute Adeline Canac. Un comble lorsque l’on sait que la France a craint pendant plusieurs semaines une pénurie d’électricité… Même constat chez les agriculteurs en injection qui, s’ils bénéficient d’un meilleur rendement que ceux en cogénération, sont également confrontés à une baisse dégressive du tarif depuis 2020 dans un contexte fortement inflationniste. Et si  le tarif a été réindexé en novembre 2022, « cela compense tout juste l’augmentation de l’électricité » dans un contexte « où tout a augmenté » précise Mauritz Quaak. Un méthaniseur injectant en moyenne 150 normo mètre cubes par heure qui a consommé 100 000 euros d’électricité en 2022 verra sa facture « a minima doubler en 2023 » indique le vice-président de l’AAMF, et cela même si l’agriculteur bénéfice de l’amortisseur d’électricité mis en place depuis le 1er janvier par le gouvernement. « Des charges tellement fortes qu’elles dépassent pour certains la rentabilité même du projet, pénalisant l’émergence de nouvelles unités » précisent les représentants de l’AAMF. Les demandes normatives et réglementaires, parfois en contradiction, ne « sont pas toujours adaptées aux réalités du terrain » souligne Adeline Canac en évoquant les verrous réglementaires encore nombreux à lever : la non annualisation du Cmax, la mise en place des normes ICPE 2023 et 2025 ou encore l’entrée en application de RED II avec des contraintes qui seront lourdes pour les agriculteurs concernés. France gaz renouvelables a annoncé la mise en place d’une plateforme la semaine dernière pour les accompagner dans leurs démarches.

Un plus grand portage politique

« Nous souhaiterions que la méthanisation soit davantage portée par nos élus pour tout ce qu’elle amène de positif pour le monde agricole et pour le territoire en général » insistent les deux représentants de l’AAMF. Au-delà des bénéfices pour les exploitations agricoles (mise aux normes d’effluents d’élevages évités, baisse de charges liées à l’achat d’amendements chimiques), c’est aussi des « bénéfices sociétaux », comme la réduction des émissions de méthane, et des bénéfices pour les territoires (mobilité, valorisation des biodéchets), que les agriculteurs méthaniseurs souhaitent mettre en avant. En 2022, l’unité de méthanisation d’Adeline Canac, également vice-président de la chambre d’agriculture de l’Aveyron, en valorisant les déchets de laiterie de la ville de Roquefort, a permis d’éviter à la ville près de 31 200 kilomètres de trajets vers Agen, pour aller jeter ces déchets. « Nos décideurs ne connaissent pas suffisamment cette filière et ils n’en voient donc pas tout le potentiel » estime-t-elle, alors que la filière biométhane a été excédentaire pour le budget de l’État en 2022, comme la plupart des énergies renouvelables. Autre atout important ,  elle « attire la jeunesse » explique l’éleveuse de brebis qui a elle-même installé deux jeunes agriculteurs sur son exploitation. Une donnée non négligeable dans un contexte où la France a perdu en une décennie près de 100 000 fermes selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, principalement des élevages laitiers, et où 6 agriculteurs sur 10 ont plus de 50 ans.