« Sans soutien de l’État, la cogénération n’a plus d’avenir en France »

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Publié le 26/01/2023

8 min

Publié le 26/01/2023

Temps de lecture : 8 min 8 min

L’Association des agriculteurs méthaniseurs bretons (AAMB) organisait le 13 janvier son assemblée générale annuelle. Principalement composée d’éleveurs de porcs et de bovins exploitant une unité de méthanisation en cogénération, les agriculteurs méthaniseurs bretons se disent inquiets de l’avenir de cette filière alors que tous estiment qu’elle est « un des vecteurs de la pérennisation de l’élevage » en Bretagne.

Par Laura Icart

 

Nous avons demandé à Jean-Marc Onno, président de l’AAMB et vice-président de l’Association nationale des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), éleveur de porcs dans le Morbihan, de revenir sur la place de la méthanisation en Bretagne et plus généralement en France, et sur ses inquiétudes dans un contexte économique compliqué avec une rentabilité qui n’est plus au rendez-vous et qui empêche l’émergence de nouveaux projets, notamment chez les jeunes agriculteurs, alors qu’il n’a jamais été autant de question de souveraineté énergétique et de souveraineté alimentaire dans notre pays.

La crise impacte-t-elle le développement de la méthanisation en Bretagne ?

Comme partout en France, la filière de la méthanisation connaît une année compliquée. Le contexte inflationniste qui a renchéri le coût des énergies et des matériaux, la dépréciation du tarif de rachat du biogaz et du biométhane, la difficulté à avoir de la visibilité sur le long terme nous inquiètent profondément. La situation est catastrophique pour la cogénération [production d’électricité et de chaleur à partir de biogaz, NDLR]. En Bretagne, les trois quart des méthaniseurs agricoles fonctionnent en cogénération. Avec un tarif d’achat de l’électricité qui perd en moyenne 0,5 % par trimestre depuis 2017 [19,8 cents le kW en janvier 2023, prime effluent d’levage compris, NDLR] et sans possibilité pour le producteur d’autoconsommer son électricité ou de vendre au-dessus du volume prévu dans le contrat, la situation n’est plus tenable. Nous vendons aujourd’hui notre électricité moins chère que celle que nous achetons. Je suis particulièrement inquiet pour les jeunes qui veulent s’installer ou pour les agriculteurs qui souhaitent se lancer dans la méthanisation en cogénération, avec des projets qui ne sont aujourd’hui plus rentables. Depuis quelques mois, on évoque la résilience, la souveraineté, l’autonomie : ce sont des mots qui ont toujours parlé aux agriculteurs et il serait opportun que les pouvoirs publics en prennent conscience et nous donnent aussi les moyens de faire vivre concrètement ces grands principes sur nos territoires ruraux.

 

« La méthanisation ne concurrence pas l’élevage ! »

 

Vous dites que la méthanisation permet à la Bretagne « de rester une terre d’élevage ». Pourquoi ?

La Bretagne est une terre d’élevage. Nous assurons une fonction nourricière au service de tous les Français [première région agricole française et agro-alimentaire en Europe, NDLR]. La situation de l’élevage est préoccupante partout en France, avec des décapitalisations de cheptels et une production végétale qui est devenue majoritaire [selon les chiffres du recensement agricole 2020, 41 % des exploitations spécialisées en élevage – lait, viande – ont disparu en 10 ans en France métropolitaine, NDLR]. En Bretagne, nous assistons à une végétalisation des paysages agricoles. La méthanisation ne concurrence pas l’élevage ! D’ailleurs, sur tout le territoire breton, elle ne représente que 0,15 % de la surface utile agricole selon un bilan provisoire de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dréal). Elle n’est pas non plus la cause de son déclin. L’élevage pâtit principalement de son manque de rémunération là où la méthanisation apporte des revenus complémentaires. En Bretagne, les effluents d’élevage sont les intrants majoritaires et représentent en moyenne 65 % de tonnage incorporé. Les éleveurs s’y intéressent justement pour apporter davantage de résilience sur leurs exploitations avec des gains énergétiques (récupération de la chaleur), des gains financiers (vente du biogaz ou du biométhane) et surtout des gains agroécologiques (digestat, évolution des pratiques culturales, amélioration du bilan carbone…). La méthanisation, c’est aussi un levier pour mutualiser nos compétences et notre outil de travail pour travailler davantage en collectif. Pérenniser l’élevage, c’est également un enjeu de souveraineté alimentaire alors que la population est appelée à augmenter en Bretagne ces prochaines années, et si nous voulons favoriser les circuits courts, il faudra bien que les productions alimentaires soient locales.

 

« Nous construisons progressivement un cercle vertueux et local de l’énergie mais cette dynamique est aujourd’hui à l’arrêt. »

 

Quelles sont les solutions à court et moyen terme pour maintenir une filière cogénération ? Et plus globalement pour la méthanisation ?

La région compte 222 unités de méthanisation en fonctionnement et 90 % sont des unités à la ferme. La méthanisation agricole, c’est environ 130 sites en cogénération et 60 en injection. Nous produisions chaque année l’équivalent de la consommation électrique de 58 000 foyers [soit la consommation des villes de Vannes et de Lorient réunies, NDLR]. Autre exemple : la ville de Pontivy consomme du gaz vert du 1er janvier au 31 décembre. Nous construisons progressivement un cercle vertueux et local de l’énergie, mais cette dynamique est aujourd’hui à l’arrêt. La filière cogénération est en train de s’éteindre et de fait la Bretagne, terre d’élevage, est la principale concernée. L’évolution tarifaire n’est plus en adéquation avec les réalités du marché, tout comme certaines restrictions : l’impossibilité d’autoconsommer notre électricité [au-delà des seuls auxiliaires de production, NDRL], l’impossibilité d’une double valorisation [biométhane-électricité ou encore électricité-bioGNV, NDLR]. La filière cogénération a besoin d’une véritable écoute et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous demandons des mesures concrètes et immédiates, en premier lieu une révision des tarifs d’achat de l’électricité, la possibilité d’autoconsommer l’électricité produite en surplus et des objectifs ambitieux dans le cadre de la future loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, avec une enveloppe budgétaire à la hauteur du potentiel, car sans soutien de l’État, la cogénération n’a plus d’avenir en France.

 

« La valorisation des biodéchets est un bel exemple de cette boucle vertueuse qui peut se créer sur nos territoires. »

 

Que répondez-vous à ceux qui craignent que la méthanisation ne transforme les agriculteurs en industriels ?

Nous sommes et serons toujours des agriculteurs dont la vocation première est de produire de l’alimentation. La méthanisation, je le répète, est un outil complémentaire pour les agriculteurs au service de la pérennisation de leurs exploitations agricoles. En Bretagne, la majorité des agriculteurs méthaniseurs sont des éleveurs et beaucoup d’entre eux ne seraient plus en activité aujourd’hui si elle n’existait pas. Ce n’est pas la solution mais une partie de la solution. J’ai conscience que cela peut générer de la crainte et parfois des peurs. Notre rôle est aussi de faire la pédagogie, de construire des projets en lien avec le territoire et ses habitants. La valorisation des biodéchets est un bel exemple de cette boucle vertueuse qui peut se créer sur nos territoires. Nous avons aussi un devoir d’exemplarité et de transparence, nous fournissions nos données d’exploitations depuis plusieurs années aux services de l’État qui réalisent des bilans de fonctionnement à l’échelle régionale et départementale. C’est normal de rendre des comptes lorsqu’on utilise de l’argent public. La moyenne de cultures principales dédiées à la méthanisation est à moins de 7 % [la loi autorise 15 % de cultures principales dans le ratio d’un méthaniseur, NDLR]. Il y a beaucoup d’a priori et d’idées fausses qui circulent, y compris chez nos représentants politiques où récemment une députée [Catherine Couturier, députée LFI de la Creuse, NDLR] a insinué que des éleveurs préféraient alimenter leurs méthaniseurs en fourrage et « laisser crever leurs bêtes dans les champs ». C’est inacceptable !