« Il faut donner plus de lisibilité au problème de la pollution de l’air, le remettre au centre du débat et au cœur des politiques publiques avec un maître-mot : la transversalité ! »

Publié le 05/01/2020

18 min

Publié le 05/01/2020

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Jean-Luc Fugit, député du Rhône et président du Conseil national de l’air est l’invité du grand entretien de Gaz d’aujourd’hui (janvier-mars 2020). Il revient sur la loi d’orientation des mobilités (LOM), sur la question de la pollution de l’air dans notre pays et sur ses activités de parlementaire liées aux sujets énergétiques.

Propos recueillis par Laura Icart

 

La pollution de l’air est la première cause de mortalité subie en France, responsable de 48 000 décès prématurés chaque année. Il y a urgence, non ?

Oui, il y a urgence ! C’est une question de santé et d’environnement majeure pour nos concitoyens. Le problème de la pollution de l’air ne réside pas uniquement dans les pics de pollution mais bien dans la pollution de fond qui, par sa constance et son ampleur, impacte directement et durablement notre santé, quand les émissions de CO2 impactent principalement notre environnement. Cette situation est connue depuis plusieurs années, et en France sur plusieurs territoires nous observons régulièrement le dépassement des seuils autorisés pour plusieurs polluants de proximité tels que les dioxydes d’azote, les particules fines mais aussi l’ozone. Cette pollution concerne tous les secteurs d’activités (transport, industrie, agriculture, résidentiel…) et donc implicitement nous sommes autant responsables que victimes. Mais parce que le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre avec 30 % des émissions de CO2, le principal émetteur d’oxyde d’azote (plus de 60 %) et une importante source d’émissions de particules fines (20 à 25 %), nous avons souhaité que la loi d’orientation des mobilités (LOM) soit résolument tournée vers l’urgence environnementale et climatique, avec en ligne de mire l’objectif d’envisager de repenser nos déplacements.

La dernière grande loi sur la mobilité datait de 1982. Pourquoi était-il important de légiférer à nouveau sur ce sujet ?

Nous devons être en phase avec la société dans laquelle nous vivons et dans laquelle les questions de mobilité sont centrales. C’est un sujet majeur qui a un effet direct sur la vie des gens, qui impacte leur quotidien, leur santé et leur porte-monnaie. Il était donc essentiel de proposer une nouvelle loi en cohérence avec ces nouveaux usages, ces nouvelles pratiques, afin d’offrir de nouvelles solutions au plus grand nombre. C’est tout l’enjeu de la loi d’orientation des mobilités votée par l’Assemblée nationale le 19 novembre dernier, tournée, entre autres, vers une mobilité plus propre, plus douce et plus active. Cette loi d’orientation, qui découle des assises de la mobilité lancées par Élisabeth Borne [alors ministre des Transports, NDLR] à l’automne 2017, était très attendue par les collectivités, nos concitoyens mais aussi le Parlement si j’en crois le nombre très important d’amendements proposés [3 500 à l’Assemblée nationale, NDLR].

Quels sont les axes forts de cette loi d’orientation des mobilités ?

La transition écologique des mobilités est le cœur de cette loi mais cette transition est aussi sociale et sociétale. Nous avons pensé la LOM autour de quatre enjeux majeurs : apporter à tous et sur l’ensemble de notre territoire des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture, développer l’innovation et les nouvelles solutions de mobilité au service du plus grand nombre, réduire l’empreinte environnementale des transports et bien sûr investir dans l’amélioration des infrastructures, particulièrement dans le secteur ferroviaire avec un cap de priorités revu. Une nécessité complexe à mettre en œuvre lorsque l’on sait que 80 % du pays n’est pas pleinement couvert par une autorité organisatrice de transports, mais la LOM va permettre progressivement d’installer ces nouveaux usages dans le quotidien des Français.

Vous êtes ambassadeur de France Mobilités. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche, lancée en 2018 par Élisabeth Borne ? Concrètement, de quoi s’agit-il ?

C’est une démarche partenariale et collective, née suite aux Assises nationales de la mobilité [à l’automne 2017, NDLR], qui a pour objectif de soutenir l’expérimentation, le développement et la diffusion de solutions de mobilité innovantes et durables dans tous nos territoires. C’est un outil concret, ouvert à tous les acteurs de la mobilité [collectivités, entreprises, start-ups, associations, NDLR]. Un outil essentiel pour répondre à l’enjeu de la mobilité du quotidien, développer et promouvoir des initiatives concrètes telles que le covoiturage, l’autopartage ou encore le transport à la demande dans des territoires peu denses, qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’alternatives à l’usage de la voiture individuelle. Au final, l’idée est de créer et animer une communauté d’acteurs qui jouent un rôle dans les mobilités et le faire en cohérence avec la loi d’orientation des mobilités qui vient d’être promulguée. Pour encourager l’innovation et sa diffusion, France Mobilités a lancé en 2018 l’appel à manifestation d’intérêt porté par l’Ademe « France Mobilités, territoires d’expérimentation de nouvelles mobilités durables » (AMI TenMoD) afin d’accompagner financièrement les porteurs de projets. Une dynamique qui s’installe dans nos territoires où les 53 collectivités lauréates des trois AMI TenMoD précédents mettent déjà en œuvre leurs projets innovants de mobilité. Une dynamique qui va se poursuivre et s’amplifier, j’en suis convaincu, en 2020. Depuis le mois d’octobre dernier, France Mobilités a aussi souhaité s’appuyer sur un réseau d’ambassadeurs (élus de collectivités, députés et sénateurs engagés sur les questions de mobilité). En tant qu’ambassadeur, nous sommes chargés de faire la promotion de cette démarche, de l’expliquer afin qu’elle « embarque » les acteurs de tous les territoires. La promulgation de la LOM, le 24 décembre dernier, et ne l’oublions pas les élections municipales de mars 2020, sont des rendez-vous qui permettront d’accélérer le déploiement de la démarche au service de la mobilité de nos concitoyens et de l’inscription de notre pays dans la transition écologique de ses mobilités. 

Vous présidez depuis juillet 2018 le Conseil national de l’air. Pouvez-vous présenter cette instance et les travaux qui y sont élaborés ?

Crée en 1998, le Conseil national de l’air (CNA) est une autorité de concertation, de consultation et de propositions dans le domaine de la lutte contre la pollution de l’air et l’amélioration de la qualité de l’air. Il rassemble une cinquantaine d’acteurs parties prenantes sur le sujet [représentants de l’État et d’organismes publics, parlementaires, collectivités territoriales, entreprises, salariés, associations notamment environnementales, experts, NDLR] qui se réunissent tous les deux mois. Depuis mon arrivée, ma priorité est de donner plus de lisibilité au problème de la pollution de l’air, de le remettre au centre du débat et au cœur des politiques publiques avec un maître-mot : la transversalité. De nombreuses connexions sont à créer, des passerelles à inventer pour une approche non pas sectorielle mais multiple pour le climat, dans le secteur des transports, de l’agriculture ou encore des bâtiments. La LOM et les nouveaux dispositifs qui en découlent, comme le plan vélo, seront autant d’atouts pour amplifier cette lutte contre la pollution de l’air dans nos territoires. De nombreux travaux sont actuellement en cours ou à venir au sein du CNA sur les émissions de polluants atmosphériques en Méditerranée ou encore pour dresser un premier bilan sur les feuilles de route pour la qualité de l’air établies en 2018 dans une quinzaine de territoires, sur le suivi du plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (Prepa), mais également sur l’harmonisation de la méthodologie des « cartes stratégiques air », un outil très utile pour les collectivités dans leur politique d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Une réflexion autour de l’économie de l’air a aussi été lancée récemment. J’attache également une attention particulière aux travaux que nous menons actuellement sur la pollution de l’air intérieur, notamment pour les publics les plus fragiles.

Le 18 septembre, lors de la 5e Journée nationale de la qualité de l’air, Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé la révision de l’indice officiel de surveillance de la qualité de l’air (indice Atmo), qui n’avait quasiment pas évolué depuis sa création en 2004. C’est une bonne nouvelle ?

Bien sûr. L’indice Atmo [un indicateur journalier, représentatif de la qualité globale de l’air sur l’ensemble d’une agglomération, NDLR], fournit une information synthétique sur la qualité de l’air des agglomérations de 100 000 habitants et plus. Il agrège des données de concentration dans l’air de plusieurs polluants, dioxyde de soufre (SO2), dioxyde d’azote (NO2), ozone (O3) et particules de diamètre inférieur à 10 µm (PM10). Sa révision a été proposée dans le cadre du plan national de surveillance de la qualité de l’air par un groupe de travail piloté par Atmo France et la fédération des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), et a reçu après de longues périodes d’échanges et de co-construction un avis favorable du Conseil national de l’air, le 11 septembre dernier. J’ai présenté cette proposition d’évolution à Élisabeth Borne, qui l’a soutenue et reprise lors de son intervention du 18 septembre dernier à l’occasion de la Journée nationale de la qualité de l’air. Nous souhaitions un indice plus complet, qui prenne en compte les particules fines inférieures à 2,5 microns (PM2,5) qui, étant plus fines, pénètrent plus loin dans notre organisme et impactent notre santé et non plus uniquement celles inférieures à 10 microns (PM10), comme c’est le cas aujourd’hui. La conséquence directe de ce choix d’un indicateur plus précis et plus proche de la réalité est que nous aurons très probablement des pics de pollution plus fréquents. Mais pour pouvoir avancer et travailler concrètement sur la pollution de l’air, il faut que cette réalité soit claire et visible par le plus grand nombre. Ce nouvel indicateur doit également permettre une plus grande lisibilité auprès des décideurs et du grand public et il sera désormais accessible sur tout le territoire. Le nouvel indice sera mis en œuvre au cours de l’année 2020.

Pouvons-nous parler plus spécifiquement du titre III (« Développer des mobilités plus propres et plus actives ») de la loi d’orientation des mobilités, pour lequel vous étiez le rapporteur ?

Nous avons été le premier pays européen à inscrire dans la loi la fin de la vente des véhicules légers neufs utilisant des énergies fossiles à l’horizon 2040. C’est une avancée majeure pour permettre la décarbonation complète du secteur des transports terrestres en 2050, qui s’inscrit dans la continuité du plan climat présenté en juillet 2017 par Nicolas Hulot. S’il ne s’agit pas de diaboliser la voiture, la nécessité d’aller vers des mobilités plus propres et plus actives est une évidence de plus en plus partagée ! Un certain nombre de dispositifs existent déjà pour aider nos concitoyens à acquérir des véhicules moins polluants [prime à la conversion, bonus, NDLR]. La LOM fixe une série de mesures qui engagent notre pays sur une trajectoire de transition progressive, volontariste et réaliste de son parc automobile. Ce sont des choix forts ! À commencer par l’obligation progressive d’introduire, pour les entreprises [au parc auto de plus de 100 véhicules, NDLR], les collectivités et l’État, un taux de véhicules moins polluants dans leurs parcs lors du renouvellement de leurs flottes, et ce dès 2022. Cette mesure est importante et nous espérons que derrière cet effort collectif de nouvelles opportunités naîtront, aussi bien pour les particuliers, avec un nombre plus important de véhicules neufs et d’occasion dits « propres » sur le marché de l’occasion, que pour les constructeurs qui, avec des perspectives de marché mieux établies, pourraient développer une gamme de véhicules propres plus importante. L’instauration d’un « droit à la prise », le déploiement dans les copropriétés et les parkings d’infrastructures de recharge pour véhicules électrifiés, ou le développement du biogaz dans les transports sont autant de mesures importantes inscrites dans la LOM. J’ai souhaité que tous les cinq ans une évaluation sur l’état d’avancement de la trajectoire engagée fasse l’objet d’un débat au Parlement et c’est aujourd’hui inscrit dans la loi.

La mise en place généralisée des zones à faibles émissions (ZFE) inscrites dans la LOM sera-t-elle efficace dans la lutte contre la pollution de proximité ?

Ce dispositif doit permettre la baisse des émissions de polluants, notamment dans les grandes agglomérations. Je pense qu’il est efficace, particulièrement pour réduire les émissions de polluants provenant du trafic routier, la voiture étant l’une des principales sources de pollution en ville. C’est pourquoi nous avons souhaité inscrire dans la LOM le caractère obligatoire des ZFE pour les collectivités situées sur des territoires régulièrement confrontés à des niveaux de pollutions au-dessus des moyennes autorisées. La LOM impose désormais aux collectivités de plus de 100 000 habitants d’étudier la mise en place de ZFE. Actuellement, seules trois agglomérations françaises les ont mises en œuvre (Paris, Grenoble et Strasbourg) alors qu’elles sont près de 231 en Europe. Nous avons encore du chemin à parcourir mais nous sommes sur la bonne voie puisque 23 agglomérations françaises ont déjà engagé une réflexion à ce sujet.

Vous aimez souvent dire que « la mobilité propre n’existe pas »…

J’applique le principe d’Antoine de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! ». Il n’y a pas de source énergétique propre ! On ne produit pas l’énergie, on ne consomme pas d’énergie, en réalité on la transforme, ce qui génère pertes et déchets ! Un véhicule électrique n’est pas un véhicule propre, même s’il est très intéressant sur le plan des émissions à l’échappement : pas de NOx, pas de particules et pas de CO2, mais sa fabrication a un impact environnemental non négligeable comme celle de tout véhicule, c’est en ce sens où l’on ne doit pas parler de véhicule propre ! L’important est d’agir tout à la fois sur les émissions de CO2 – qui ont un impact direct sur notre environnement – mais aussi sur la réduction des polluants de proximité (NOx, particules) qui eux agissent directement sur notre santé. Il n’y pas de solution unique de carburation pour une mobilité dite « propre », les solutions sont en réalité multiples pour permettre progressivement de ne plus avoir besoin d’énergie d’origine fossile ! Et dans ce schéma, le biogaz (bioGNV) a un rôle important à jouer, notamment dans la mobilité lourde.

Pourquoi une démarche en analyse du cycle de vie (ACV) est un enjeu fondamental, notamment pour la reconnaissance du biogaz (bioGNV) ? Une récente étude menée par l’IFP Énergies nouvelles (Ifpen) montre d’ailleurs que le bioGNV est aussi vertueux, voire davantage, que l’électrique dans un mode de calcul ACV.

La démarche ACV doit devenir incontournable dans de nombreux secteurs économiques ! Je l’ai souvent dit à l’Assemblée nationale à l’occasion des débats sur la loi LOM ! Pour évaluer l’impact environnemental réel du biogaz dans le secteur de la mobilité, l’approche ACV est fondamentale ! Actuellement, la définition des véhicules légers à faibles émissions [article L.2247 du code de l’environnement, NDLR] exclut les véhicules roulant au GNV et bioGNV. Un règlement européen du 17 avril 2019 prévoit l’évolution de la réglementation européenne en ACV au plus tard en 2023. Il me semble important que la France, en prévision de l’évolution de cette réglementation, soit un moteur sur ce sujet, appuyée par nos instituts de recherche qui mènent d’ailleurs, je tiens à le souligner, des travaux de grande qualité, souvent plébiscités à l’international. L’étude de l’Ifpen publiée en septembre en est un bon exemple et illustre effectivement la nécessité de faire évoluer la définition actuelle et d’inclure rapidement le bioGNV, important pour valoriser nos déchets ménagers organiques ainsi que nos déchets agricoles, comme l’un des carburants à faible émission selon une approche en ACV. Je suis particulièrement mobilisé sur ce sujet et j’entends dès à présent porter cette approche auprès du ministère de la Transition écologique et solidaire et de la Commission européenne. 

« L’hydrogène apportera sans aucun doute une part importante des réponses pour décarboner et dépolluer nos solutions de mobilité » avait déclaré Élisabeth Borne, alors ministre chargée des Transports, lors de la présentation du plan hydrogène, le 1er juin 2018. Est-ce aussi votre avis ?

Oui, au même titre que les autres carburations précédemment citées, l’hydrogène fait partie des technologies auxquelles je crois beaucoup, sans doute une des plus prometteuses. Un engouement incontestable naît autour de l’hydrogène dans notre pays, en tant que vecteur de la transition énergétique, source d’innovations et d’emplois et avec de sérieux atouts pour lutter contre la pollution de l’air de proximité. Je tiens aussi à souligner que 70 % des publications de recherches à comité de lecture dans le domaine de l’hydrogène sont produites par les chercheurs français ! C’est une fierté ! Il faut investir dans ces filières d’avenir et donner à nos chercheurs les moyens de leurs ambitions ici en France. L’État s’y est engagé et cette volonté doit être amplifiée.  

Vous travaillez actuellement sur une étude sur la production d’énergie dans le secteur agricole en France, lancée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Pouvez-vous en dire quelques mots ?

Avec Roland Courteau [sénateur de l’Aude, NDLR], nous menons depuis le mois d’octobre des auditions auprès des parties prenantes afin de dresser un état des lieux des différents modes de production d’énergie dans le secteur agricole, en distinguant les avantages et les inconvénients. Ce rapport sera présenté courant avril. Notre démarche se structure autour de trois axes : d’abord un axe général dont l’objectif est de comprendre quelle place occupe la production d’énergie dans le secteur agricole, si cette place s’est renforcée ces dernières années et quels en sont les leviers et les freins. Mais nous avons également une approche davantage axée sur les exploitants agricoles eux-mêmes afin d’évaluer leurs besoins, leurs attentes et de comprendre si cette activité de production d’énergie est une activité pérenne pour eux [coût humain et financier, NDLR] et quels dispositifs nous pourrions mettre en place pour favoriser la production de telle ou telle énergie. Enfin, nous travaillons également sur chaque secteur de production d’énergie [biocarburants, biogaz-méthanisation, biomasse chaleur-valorisation thermochimique, petit éolien-grand éolien, photovoltaïque, petite hydroélectricité, géothermie, NDLR], avec en ligne de mire pour chacun la nécessité de comprendre quels sont les leviers et les freins à leur développement et quelle est l’acceptabilité de chacune sur nos territoires.

Crédit : Assemblée nationale.