La loi de programmation énergétique adoptée au Sénat

Politiques énergétiques
09/07/2025
9 min
©Sergey Izotov / Shutterstock

Les sénateurs ont adopté ce 8 juillet en seconde lecture la proposition de loi de programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, dite PLL Gremillet. Un texte « de compromis » estime la droite sénatoriale, actant la relance du nucléaire avec la volonté de trouver « une voie de passage » à l’Assemblée nationale fin septembre, alors que la stratégie énergétique de la France met en exergue des visions politiques opposées et inquiète les filières énergétiques et industrielles qui veulent de la visibilité et de la stabilité.

Par Laura Icart 

Hier, un peu avant minuit, le Sénat a adopté la proposition de loi relative à la programmation énergétique de la France.  Au terme de débats beaucoup moins houleux qu’à la chambre haute, la proposition a été adoptée par 221 voix et 24 contre. Exit les polémiques, du moratoire sur les énergies renouvelables à la réouverture de Fessenheim, les sénateurs sont repartis du texte initial, en conservant néanmoins la ligne adoptée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, notamment le recentrage du texte sur le volet programmatique avec une volonté claire et affichée pour la majorité sénatoriale : aller au bout du processus législatif en donnant toutes les chances au texte de pouvoir aboutir « en évitant le risque d’obstruction à l’Assemblée », souligne la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone (LR, Alpes-Maritimes). « Nous avons obtenu l’assurance que ce texte continuera sa navette parlementaire le 22 et 23 septembre. Avec une CMP [commission mixte paritaire, NDLR] qui interviendra autour de la mi-octobre » ajoute-t-elle.

Une adoption rapide

Quelques heures auront finalement suffi au Sénat pour adopter la PPL en deuxième lecture. Moins de 200 amendements avaient été déposés pour la séance publique et peu ont été retenus in fine. Les deux articles importants du volet programmatique, à savoir l’article 3 sur l’énergie nucléaire, et l’article 5 sur les énergies renouvelables ont été modifiés à la marge. Si l’objectif de 200 TWh d’énergies décarbonées en 2030 a bien été atteint, le Sénat a par exemple souhaité conserver un objectif sectoriel à 50 TWh pour le biogaz, dont 44 TWh injectés et des objectifs de développement pour l’hydrogène renouvelable à 6,5 GW en 2030, soit au-dessus de la stratégie nationale révisée, contre l’avis du gouvernement. « La loi ne devrait pas fixer d’objectifs sectoriels de capacité, car ces capacités peuvent évoluer en fonction des technologies ou des usages. Aussi gardons une certaine souplesse » a plaidé dans l’hémicycle le ministre de l’Industrie et de l’énergie Marc Ferracci. Tous les amendements déposés en seconde lecture visant à réduire les objectifs de production énergétique issue de sources renouvelables ont été rejetés. Le gouvernement a fait adopter un amendement visant à intégrer l’objectif de 2 TWh de froid livrés par les réseaux dans un objectif plus large de chaleur renouvelable et de récupération et de froid. Un amendement visant à intégrer les coûts de transport de l’électricité dans la définition du coût global de l’électricité a également été adopté. Si le rapporteur de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Antoine Armand (EPR-Savoie), souhaitait uniquement une loi programmatique, les sénateurs ont tout de même conservé l’article 24 relatif à la protection des consommateurs. « Nous avons longuement travaillé sur ce sujet avec les acteurs du secteur, nous considérons que cet article qui répond à des besoins concrets doit être maintenu » indique à Gaz d’aujourd’hui l’auteur de la proposition de loi, Daniel Gremillet (LR, Vosges). L’article 21 sur l’hydroélectricité a également été supprimé par le Sénat après l’avoir été par la chambre basse. « Notre mission rendra ses recommandations à la rentrée » précise Daniel Gremillet, alors que celle menée par les députés Marie-Noelle Battistel (PS, Isère) et Philippe Bolo (Modem, Maine-et-Loire) a rendu ses conclusions il y a quelques semaines. « Il n’y a aucune raison de ne pas y arriver », évoquant le règlement du contentieux entre la France et Bruxelles. « Il faut une volonté politique forte » indique l’élu des Vosges.

Exit les polémiques

Lorsqu’un texte de loi revient en deuxième lecture à l’Assemblée ou au Sénat, le dépôt d’amendement est restreint selon une règle : celle dite « de l’entonnoir ». Elle veut qu’aucun amendement ne puisse introduire de nouveaux sujets. Concrètement, tous les articles additionnels ou paragraphes additionnels sont déclarés irrecevables. Tout le monde y est soumis, y compris le rapporteur et le gouvernement. « Une procédure quelque peu inhabituelle ces dernières années » selon Dominique Estrosi Sassone, expliquant que la majorité des textes faisait aujourd’hui l’objet d’une procédure accélérée. Une procédure accélérée qui était souhaitée par les sénateurs en octobre dernier mais qui avait été refusée par le gouvernement d’alors. « Notre souhait est de pouvoir donner un cap énergétique de long terme à la France, souligne Daniel Gremillet, le Sénat a montré que le débat pouvait avoir lieu, l’objectif est atteint » estime-t-il tout en espérant que l’Assemblée nationale « saura en faire de même ». « L’essentiel est d’avoir un chemin, même s’il ne convient pas à tout le monde » a ajouté de son côté le co-rapporteur du texte, Patrick Chauvet (Union centriste, Seine-Maritime), rappelant son attachement « au mix énergétique ». Si la règle de l’entonnoir n’est pas courante, elle a néanmoins permis de ne pas remettre sur la table un certain nombre de propositions qui « présentaient de lourdes difficultés, sur les plans juridique et économique » a indiqué la majorité sénatoriale LR comme les TRVG mais également le moratoire sur les énergies renouvelables éolien et solaire. « Nous n’avons jamais été favorable à ce moratoire » a indiqué Dominique Estrosi Sassone. La nationalisation d’Engie, la transformation d’EDF en Epic ou encore la réouverture de Fessenheim, n’ont pas non plus été réintroduites.

« Aucune contradiction » entre la PPL et la tribune de Bruno Retailleau

Autre polémique que la majorité sénatoriale veut éteindre, celle liée à la tribune publiée la semaine dernière dans Le Figaro par trois figures des Républicains – Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur, François-Xavier Bellamy, député européen, et Julien Aubert, ancien député, qui appelaient à une rupture nette avec la politique énergétique actuelle, en soutenant une ligne : la relance massive du nucléaire et la fin des subventions aux énergies renouvelables. Pour le deuxième co-rapporteur du texte Alain Cadec (LR, Côtes-d’Armor), il n’y a « aucune contradiction » entre la PPL Gremillet et la tribune, arguant que le financement des énergies renouvelables, évoqué dans la tribune, était un sujet de loi de finances alors que cette PPL vient tracer « une trajectoire » et soulignant au passage « une rédaction mieux-disante » que l’Assemblée sur certaines EnR. Néanmoins, si les sénateurs LR réfutent l’idée d’un moratoire, ils ont tout de même fait adopter un amendement visant à « privilégier le renouvellement des installations existantes à l’implantation de nouvelles installations et de tenir compte de la planification territoriale » porté par la commission du développement durable du Sénat. Sur la question des financements, les deux rapporteurs ont fait adopter un amendement pour demander une évaluation économique des objectifs de développement pour chaque énergie, inscrite dans la PPE, sur les finances publiques « notamment les mesures fiscales, budgétaires ou extrabudgétaires mises en œuvre, ainsi que sur le coût et le prix des énergies, en particulier pour les ménages, les entreprises et les collectivités territoriales » indique l’exposé des motifs.

Si la PPL Gremillet va effectivement poursuivre son parcours législatif, pas certain en revanche que le gouvernement attende la fin de la navette parlementaire pour publier le décret de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie, malgré les demandes répétées du Sénat mais aussi de plusieurs groupes politiques à l’Assemblée nationale. À ce jeu de sémantique « avant la fin de l’été », « d’ici à l’été », « avant la rentrée », les paris restent ouverts. Une sortie du décret d’ici la fin du mois de juillet est toujours à l’étude et serait fortement poussée par les filières énergétiques et industrielles. À moins que le texte voté au Sénat hier finisse par convaincre le gouvernement qu’un vote conforme soit possible le 23 septembre prochain amenant un décret publié au début de l’automne  ?

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