Le défi vert des ports

Publié le 26/07/2019

10 min

Publié le 26/07/2019

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Portes d’entrée maritimes de la France, bassins industriels et plateformes logistiques de premier ordre, les ports français occupent une place prépondérante dans le paysage industriel de notre pays. À l’heure de la transition énergétique, portés par des intérêts environnementaux et économiques, ils doivent se réinventer pour construire l’avenir. Enjeux et défis.

Par Laura Icart

 

La France compte aujourd’hui 66 ports de commerce et dispose du deuxième domaine maritime le plus grand au monde derrière les États-Unis et grâce à l’outre-mer. Les trois façades maritimes métropolitaines – Manche-mer du Nord, Atlantique et mer Méditerranée – sont bordées par sept grands ports maritimes (GPM), les territoires ultramarins en abritant également quatre, ainsi qu’un port d’intérêt national. Les places portuaires maritimes et fluviales sont au cœur de nombreux enjeux industriels, économiques et environnementaux et constituent un réseau structurant au service du commerce extérieur français. L’économie portuaire représente près de 180 000 emplois directs et indirects et 15 milliards d’euros de richesses produites annuellement.

Les écosystèmes portuaires

« Les grands ports maritimes créent une richesse et des emplois qui dépassent très largement l’enceinte de la place portuaire : les ports d’État de l’axe Nord (Dunkerque), de l’axe Seine (Le Havre, Rouen, Paris) et de la façade méditerranéenne (Marseille) orientée vers l’axe Rhône-Saône produisent une valeur ajoutée estimée de 13 milliards d’euros, associée à 130 000 emplois directs » indique l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) dans un rapport publié en novembre 2018. Les sept GPM et Calais concentraient en 2018 plus de 87 % du trafic portuaire français (75 % pour les GPM seuls). Chaque port français possède une spécificité qui lui est propre : certains figurent dans le top 5 des ports européens les plus importants – c’est le cas du Havre (cinquième port à conteneurs) ; Marseille-Fos est le deuxième port de Méditerranée en tonnage, quant à Rouen, c’est le premier port céréalier d’Europe ; le port de Dunkerque est, lui, un spécialiste continental des vracs solides.

Quelles solutions pour rester attractifs ?

Dans ce même rapport intitulé « La transformation du modèle économique des grands ports maritimes », daté de novembre 2018, l’IGF et le CGEDD établissent une série de transformations auxquelles sont confrontés les ports français. En premier lieu, une transformation des activités : les plus porteuses à l’heure actuelle sont les trafics de conteneurs et de gaz naturel liquéfié (GNL), ainsi que les énergies renouvelables, notamment marines. Une transformation également économique, en particulier pour le transport maritime de conteneurs qui connaît une dynamique de concentration très poussée des armateurs, associée à l’accroissement important et rapide de la taille des navires porte-conteneurs. Ces évolutions ravivent la concurrence interportuaire et limitent les marges de manœuvre tarifaires des ports. Une transformation aussi bien sûr énergétique : la nécessité d’aller vers une économie décarbonée impose aux ports de diversifier leurs activités en repensant leurs sources de revenus traditionnelles. « 50 % des trafics totaux des GPM sont encore constitués d’hydrocarbures et de charbon » indique le rapport. Une transformation qui passe aussi par des opportunités de développement liées à l’économie circulaire pour intégrer les enjeux environnementaux autour des zones portuaires, notamment la préservation de la biodiversité environnante.

Le GNL peut-il contribuer à l’attractivité des ports français ?

La transition écologique et énergétique des ports constitue un objectif de politique publique majeur, ainsi qu’une priorité économique. En effet, elle peut s’accompagner de nouveaux trafics et de nouvelles activités pour les places portuaires. À ce titre, le GNL – et son écosystème industriel associé – semble constituer un axe de développement intéressant pour les GPM parce qu’il peut générer un trafic supplémentaire et présente plusieurs activités potentielles à développer (transbordement, avitaillement des navires…). Ainsi, les services autour de l’avitaillement en GNL pourraient rendre les ports français plus attractifs, boostés par le fait que les GPM possèdent tous dans leurs sillages des terminaux méthaniers. Cependant, ces investissements stratégiques de long terme doivent être accompagnés par L’État via une réglementation adaptée. Pour les auteurs du rapport, c’est donc une stratégie de filière GNL qui doit être mise en place, dans le cadre de la stratégie nationale portuaire qui devrait voir le jour d’ici la fin de l’année, pour donner de la visibilité aux ports et permettre des investissements adéquats. Une stratégie coordonnée pour chaque filière qui concerne également les énergies renouvelables marines (EMR).

Les GPM doivent répondre à l’immense défi de la pollution de l’air

Les GPM français ont une grande responsabilité à jouer en termes de transition écologique et énergétique. Tous sont impliqués dans des programmes de préservation de la biodiversité environnante via des plans de gestion et la plupart ont également mis en place un système de classement des bateaux selon leurs émissions – les moins polluants se voyant offrir des remises sur les droits de port.

De nombreux projets et réalisations sont ou se mettent en place pour répondre aux enjeux actuels, notamment des projets de captation et de recyclage du carbone comme c’est le cas avec le GPM de Marseille, impliqué dans le programme de recherche appliquée « Vasco2 » qui promet le recyclage biologique du CO2. Les premiers résultats, publiés début juillet après trois ans d’expérimentations, semblent valider l’efficacité du procédé en matière de bio-assimilation du CO2. Le système optimisé a permis de capter dans la biomasse 60 % du CO2 injecté. Dans le port du Havre, on recycle aussi le CO2 depuis 2013, via l’usine Sedibex qui traite les déchets de 450 industries situées aux alentours. À Dunkerque, un consortium de 11 acteurs européens a lancé le 28 mai un projet (« 3D ») de démonstration d’un procédé de captage de CO2 d’origine industrielle sur le site d’Arcelor Mittal.

Développer les services d’avitaillement du GNL

Avec le durcissement de la réglementation internationale sur les rejets atmosphériques à partir du 1er janvier 2020, de nombreuses compagnies envisagent une conversion au GNL. Les annonces de plusieurs compagnies de croisières (Aida, Costa, P&O Cruises et Carnival Cruise Lines) de lancer des paquebots au GNL ou celle de CMA CGM l’année dernière à propos de son premier porte-conteneurs propulsé au GNL, ainsi que les réflexions des compagnies de ferry pour aller vers ce mode de propulsion incitent fortement les ports à revoir leur copie, même si le manque de visibilité sur les volumes attendus les freine à engager de coûteuses dépenses en termes d’infrastructures. En France, aucun port ne propose une structure d’avitaillement dédiée. Quelques-uns procèdent à de l’avitaillement des bateaux par des camions GNL : c’est le cas au Havre, à Dunkerque et surtout à Marseille (40 escales avec deux paquebots propulsés au GNL en 2019). Le GPMM affiche sa volonté développer un service d’avitaillement de GNL dans sa ville, étape de nombreuses croisières en Méditerranée. Si, à l’heure actuelle, aucun croisiériste n’a conclu un contrat de fourniture de GNL à Marseille, la compagnie MSC Cruises pourrait choisir une solution de soutage dans la cité phocéenne. Mais le gros potentiel pour le GPMM réside évidemment dans le trafic des ferries. Les principaux armateurs opérant dans le port de Marseille ont des projets de conversion de ferry au GNL, et en première ligne Corsica Linea. La compagnie corse a annoncé, le 25 juillet 2019, la construction de son premier navire neuf propulsé au GNL avec une livraison en 2022. Dunkerque, troisième port français en termes de trafic (51,6 millions de tonnes en 2018) est partie prenante dans la mise en place de la chaîne logistique qui permettra d’alimenter très prochainement le Honfleur (Brittany Ferries). Le port réfléchit activement au développement d’un service de soutage comme celui proposé à Zeebrugge, via le Engie Zeebrugge. Le port s’intéresse aussi fortement au développement du transport fluvial. De son côté, le port du Havre a participé au projet de remotorisation de la drague aspiratrice en marche Samuel de Champlain menée par GIE Dragages Ports pour passer d’une motorisation classique au gazole à une motorisation dite « dual-fuel » (gazole et GNL). La drague a repris du service en juin dernier, et c’est Primagaz qui assurera son avitaillement en GNL dans les ports du Havre et de Nantes Saint-Nazaire où il travaille. Au port de Rouen, la réflexion autour d’une offre en avitaillement GNL est lancée, bien qu’à ce stade le port attend toujours de voir vers quelles carburations iront les armateurs.

Électrifier les quais : un système innovant

En 2015, le GPM de Marseille-Fos a été le premier port français à installer un branchement électrique des navires à quai pour le trafic de passagers, un dispositif qui permet de supprimer les émissions lorsque les navires sont dans le port. La Méridionale a investi plus de 2 millions d’euros pour l’équipement de ses trois postes à quai, permettant à ses ferries de s’y connecter depuis début 2017, soit environ 400 escales par an. Ce système permet aux navires d’être branchés à quai 30 minutes après le débarquement des passagers et débranchés 2 heures avant l’appareillage. D’autres armateurs ont opté pour cette solution : la Corsica Linea vient d’équiper un de ses navires du fameux système de branchement électrique à quai, le Paglia Orba. D’ici quelques semaines, deux autres, le Pascal Paoli et le Jean Nicoli seront aussi équipés. « On va équiper tous les quais passagers d’ici 2025 et également les quais terminaux croisières. Nous aimerions que d’autres ports développent ce système pour que les armateurs équipent leurs bateaux », nous précise-t-on du côté du GPMM. Le port de Marseille discute entre autres avec la compagnie tunisienne de navigation dont les ferries opèrent entre Marseille et Tunis pour les convaincre d’équiper leurs navires. « Notre intérêt et celui des armateurs est bien sûr que le port de Tunis puisse proposer le branchement à quai » précise le GPMM. Le Port de Dunkerque, réputé comme port de grands vracs destinés à ses nombreuses implantations industrielles, proposera très prochainement un service d’alimentation électrique à quai sur le terminal à conteneurs. Il sera alors le seul port de France a proposer ce service pour les conteneurs. De son côté, Haropa, l’alliance des grands ports maritimes du Havre, de Rouen et du port autonome de Paris créée en 2012, a installé via sa politique « green port » avec Voie navigable de France, neuf bornes d’alimentation électrique et eau potable (« borne & eau ») fin 2018 afin de réduire les pollutions atmosphériques liées à l’usage des groupes électrogènes lorsque les bateaux sont à quai. Cela permettra selon Haropa « une économie de 68 tonnes d’équivalent carbone par an et par borne ». Cinq autres seront installées d’ici la fin de l’été. Si cette expérimentation ne concerne que le transport fluvial, le port du Havre a lancé une série d’études techniques visant à mettre en œuvre des raccordements électriques de navires à quai : terminal de Grande-Bretagne, BGV/Roulier, pointe de Floride, quai de l’Atlantique, quai de l’Amérique et Port 2000 sont concernés.