Vers une nouvelle réforme du diagnostic de performance énergétique ?

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Publié le 14/02/2024

8 min

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Le 12 février, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a annoncé dans le Parisien  un « choc de simplification » pour les locataires et les propriétaires. Alors que le secteur de l’immobilier est en pleine crise, le gouvernement a annoncé une série de mesures pour faciliter l’accès à la location et notamment une modification du diagnostic de performance énergétique (DPE) pour corriger « un biais de calcul » spécifique aux logements de moins de 40 mètres carrés. Le même jour, le ministre de l’Économie et de de l’énergie Bruno Le Maire a annoncé vouloir sortir « des centaines de milliers de logements » du statut de passoire thermique en envisageant une évolution du coefficient de conversion énergétique.

Par la rédaction, avec AFP

 

Le nombre de logements considérés comme des passoires énergétiques en France est estimé à 6,6 millions au total contre 7,1 millions en 2022 selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique, avec une forte concentration en Île-de- France, une région également soumise à une forte pression immobilière où la demande excède très largement l’offre. « Nous lançons un choc de la simplification du logement et nous commençons avec les étiquettes DPE. Il y a un biais de calcul que je vous annonce corriger par un arrêté dont nous lançons la consultation cette semaine » a souligné le ministre de la Transition écologique au Parisien.

Une simplification du DPE

« On s’est rendu compte que plus la surface d’un logement est petite, plus la part de l’eau chaude sanitaire pèse sur son classement, sans lien réel avec le nombre d’occupants. Cela aboutit à ce que plus de 27 % des très petits biens, ceux de moins de 40 , sont considérés comme des passoires, ce qui ne reflète pas la réalité » explique Christophe Béchu dans les colonnes du Parisien, en soulignant qu’avec cette mesure ce sont près de 140 000 logements des catégories F et G qui sortiraient du statut de passoires thermiques. En vigueur depuis plus de 16 ans, le diagnostic de performance énergétique (DPE) permet d’évaluer la consommation en énergie du bâtiment et de lui attribuer une étiquette énergétique et une étiquette climat sur une échelle de A à G, selon sa performance et son niveau d’émission de gaz à effet de serre. Pour accompagner cette bascule, l’Agence de la transition écologique (Ademe) a mis en un simulateur pour permettra à tous ceux qui pourrait être concernés par cette mesure de vérifier leur nouvelle classe et le cas échéant d’obtenir une nouvelle attestation s’ils sont éligibles à un changement d’étiquette. « Ce n’est pas la première fois qu’on constate des biais, et de plus on sait que les diagnostiqueurs ne font pas toujours leur travail aussi sérieusement qu’il le faudrait » souligne Françoise Thiebault, secrétaire générale des Associations familiales laïques de Paris. « S’il y a effectivement une anomalie liée à la taille du ballon d’eau chaude, qui en est responsable ? Le diagnostiqueur qui n’a pas su moduler son appréciation ? Le logiciel dont il dispose qui ne le permet pas ? Ou la conception elle-même du diagnostic ? » indique-t-elle, estimant que les mesures proposées sont davantage faites pour « limiter la grogne du monde de l’immobilier ».

Deux nouvelles mesures de « bon sens » selon Christophe Béchu

« On ne touche pas au calendrier et à l’ambition, mais on va clarifier certaines règles qui s’appliquent au 1er janvier prochain » a toutefois précisé le ministre qui a également annoncé deux nouvelles mesures « de souplesse » proposées par voie d’amendement par le nouveau ministre du Logement Guillaume Kasbarian dans le cadre de l’étude au Sénat du projet de loi sur les copropriétés dégradées. La première viserait à préciser que l’obligation de rénover son appartement au 1er janvier prochain n’est valable qu’en cas de changement ou de renouvellement de bail et elle pourrait même exonérer de travaux les propriétaires si les locataires ne souhaitent pas quitter l’appartement le temps des travaux. La deuxième viserait à ne pas interdire à un copropriétaire de louer son appartement au 1er janvier si la copropriété s’est engagée dans un programme de travaux de rénovation énergétique. Pour Françoise Thiebault, la première mesure va « surtout retarder l’élimination de ces passoires. La seule solution serait de rendre obligatoire la rénovation globale, au minimum lorsque le logement est vacant avec les bons prêts et types de prêts pour le reste à charge, selon les ressources ».

Bruno Le Maire souhaite rouvrir le dossier du coefficient de conversion énergétique

Mais le ministre de l’Économie et de l’énergie semble vouloir poursuivre l’évolution de la méthodologie du DPE, notamment sur le volet coefficient de conversion énergétique, « qui désavantage l’électricité et avantage le gaz ». La modification de ce volet pourrait « faire sortir des centaines de milliers de logements du statut de passoire thermique. La méthodologie actuelle incite à rester au chauffage gaz : aujourd’hui, un logement au gaz qui passe à l’électricité peut basculer en passoire à cause de cette méthodologie, alors qu’il divise ses émissions de GES par trois ». Le ministre souhaite donc rouvrir l’épineux dossier du coefficient de conversion qui avait fait couler tant d’encre lors de débats autour de la RE2020 et la réforme du DPE. « C’est une belle orientation qui permettra de faire sortir des passoires thermiques les logements chauffés à l’électricité alors que l’électricité est décarbonée à 92 % », a salué Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier, après le souhait exprimé par Bruno Le Maire. « Ce qui est un scandale c’est de dire qu’en changeant le thermomètre on va résoudre le problème », a au contraire dénoncé Danyel Dubreuil, coordinateur « efficacité énergétique » au Cler, association membre de Réseau action climat. « Les intentions de Bruno Le Maire ne sont pas de rénover les logements et de faire baisser les consommations d’énergie, mais de faire baisser artificiellement le nombre de passoires parce que ce nombre est un problème politique qui génère des obligations pour les bailleurs », a-t-il ajouté, estimant que cette décision allait « aggraver le risque de précarité énergétique. » « On milite tous pour fiabiliser et stabiliser le DPE. Avec une modification de modification de modification, les propriétaires vont de moins en moins s’y retrouver », a abondé Jean-Christophe Protais, président de Sidiane, le syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier. « Sous la pression du lobby nucléaire, Bercy veut revenir sur le calcul du DPE des logements chauffés à l’électricité, ce qui revient à déroger à la directive européenne qui parle d’énergie primaire et non d’énergie finale », a-t-il ajouté, rappelant que « certes l’énergie électrique émet moins de gaz à effet de serre, mais il faut produire 2,3 kilowattheures pour apporter 1 kilowatt heure électrique à son point d’utilisation », ce qui n’est pas le cas du gaz. Le président de Coénove, Jean-Charles Colas-Roy, a appelé de son côté à la vigilance « pour ne pas favoriser l’effet joule » en abandonnant « la performance énergétique et en exposant les Français à une plus grande précarité énergétique ». « La méthode est vraiment déplorable. C’est le concours de celui qui va le mieux détricoter la loi et Bruno Le Maire se positionne vraiment avec l’envie de l’affaiblir », a regretté Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, qui plaide pour une « concertation ».

« À ce stade, il n’y a pas de projet sur la table de modification de la méthodologie du DPE et la correction ne concerne pas ce coefficient de conversion énergétique », a cependant répondu le cabinet du ministre de la Transition écologique. Mais il s’agit bien d’un souhait de Bruno Le Maire, qui doit encore être arbitré, a souligné de son côté Bercy.