Valoriser la spontanéité énergétique de nos décharges

Publié le 08/11/2019

9 min

Publié le 08/11/2019

Temps de lecture : 9 min 9 min

Dans le monde, les déchets enfouis font partie des sources de méthane les plus importantes générées par l’homme. Intercepter ces gaz pour en faire une énergie, c’est le pari de la jeune start-up iséroise Waga Energy qui a fait du gaz de décharge sa spécialité, se payant au passage le luxe d’une première mondiale en inaugurant en avril 2017 une unité capable de produire un biométhane purifié, directement injectable dans le réseau de gaz naturel. Explications.

Par Laura Icart

 

C’est un fait : nos décharges produisent spontanément du gaz lors de la décomposition progressive des déchets organiques, libèrent entre autres du méthane dans l’atmosphère et contribuent fortement au réchauffement climatique. À l’échelle de la planète, les déchets sont responsables d’environ 5 % des émissions de GES selon la Banque mondiale. Rien d’étonnant lorsque l’on sait que l’humanité produit 3 milliards de tonnes de déchets chaque année.

Késaco le gaz de décharge ?

Le gaz de décharge est riche en méthane (entre 35 et 55 %), en dioxyde de carbone (entre 35 et  50%) et en azote (entre 5 et 25 %). Plusieurs facteurs influencent la formation des gaz : la composition des déchets, la densité du stockage de la décharge ou encore les conditions atmosphériques. En France, les décharges ou sites d’enfouissement, baptisés « installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND) » sont au nombre de 238. Elles seraient près de 20 000 dans le monde. Avec une valeur calorifique importante, ce gaz constitue une manne très intéressante pour la production d’énergie.

La cogé, outil principal de valorisation

La solution la plus courante pour valoriser le biogaz des sites d’enfouissement consiste à l’installation d’une cogénération pour produire de l’électricité et de la chaleur. La récupération du biogaz produit par les installations de stockage débute aux États-Unis dans les années 70. En Europe, elle démarre au début des années 80. La majeure partie de ce biogaz est valorisé en électricité, avec quelques applications thermiques, bien que souvent limitées. C’est au Maroc, en 2015, que la première centrale bioélectrique du continent africain alimentée par du biogaz de décharges a été mise en service, participant ainsi à l’éclairage de la ville de Fès (30 %). En France, les décharges où le dégazage est volumineux sont équipées pour la plupart d’une cogénération. Cependant, le rendement énergétique s’avère limité si l’on tient compte de la perdition d’énergie (un tiers) et du fait que la plupart des sites d’enfouissement sont éloignés des centres urbains, rendant impossible l’exploitation de la chaleur. Certains pays — dont la France — obligent les opérateurs à capter le biogaz pour le brûler en torchère.

Purifier le biogaz de décharge 

Présenté par ses fondateurs Mathieu Lefebvre, Nicolas Paget et Guénaël Prince, comme une technologie de rupture pour la valorisation du biogaz produit par les installations de stockage de déchets non dangereux, Wagabox n’est pas seulement l’aboutissement d’une technologie de haute voltige, fruit de dix années de recherche et développement commencé chez Air Liquide (où ils travaillaient tous les trois) puis finalisé au sein de la société Waga Energy, créée en 2015. Elle est aussi l’illustration de la conviction de ses concepteurs qui se définissent eux même comme « des militants du gaz vert ». « Nous sommes convaincus que le gaz renouvelable est un pilier de la transition énergétique et un atout dans la lutte comme le réchauffement climatique », explique Mathieu Lefebvre,  PDG de Waga Energy. De cette certitude est née la Wagabox, une unité « clé en main » qui produit, selon la start-up, « du biométhane pur à 98 % », compatible avec les critères d’injection des opérateurs de réseau.

Tripler le rendement énergétique

La Wagabox valorise 90 % du méthane contenu dans le biogaz des déchets, garantissant un rendement énergétique trois fois supérieur aux solutions de cogénération. Cette technologie combine deux procédés d’épuration : la filtration par membrane et la distillation cryogénique. La filtration par membrane extrait le dioxyde de carbone (CO2) et les impuretés contenues dans le biogaz des déchets. Le gaz est ensuite refroidi à température cryogénique pour séparer le méthane (CH4) de l’oxygène (O2) et de l’azote (N2). « Un biométhane facilement stockable et transportable grâce aux infrastructures gazières existantes » souligne Mathieu Lefebvre avec « aucun gaspillage énergétique à la clé » précise-t-il.

L’industrialisation de ce procédé réunissant deux technologies connues et éprouvées a été brevetée au niveau mondial et lauréat notamment du Grand prix de la lutte contre le changement climatique 2016 de l’Ademe et du ministère de la Transition écologique et solidaire et tout récemment du premier prix dans la catégorie « énergie durable » du South Summit de Madrid, un événement dédié à l’innovation.

La philosophie Waga

« Chez Waga, on transforme une pollution en énergie ! Notre Wagabox permet d’aller capter ce gaz de décharge, de l’épurer pour le substituer au gaz fossile et de le réinjecter dans le réseau gazier, dans une pure démarche d’économie circulaire », explique Mathieu Lefebvre qui défend également une production d’énergie territorialisée.  Il faut dire que ce biogaz de décharge, en plus d’être immédiatement disponible, a un autre intérêt : il est deux à trois moins cher à produire et peut être revendu sur le marché à un prix hautement compétitif. « Nous produisons aujourd’hui le biométhane le moins cher du marché » précise-t-il. Une réalité rendue possible par des politiques incitatives. La publication en 2017 de l’arrêté supprimant la pénalité financière pour les installations pratiquant une double valorisation (cogénération et injection) ne doit pas y être étrangère non plus.

Autre caractéristique de ce biogaz de décharge : sa production peut continuer des années après la fermeture du site. Plus concrètement, on estime qu’une petite décharge enfouissant 100 000 tonnes par an de déchets peut produire du biogaz pendant dix ans après l’arrêt de son exploitation. Une grande décharge (1 million de tonnes) a une capacité de production équivalente à plusieurs décennies. Autre chiffre parlant : une tonne de déchets enfouis peut fournir du biogaz pendant quinze ans.

Fondé sur un business model particulier

Pour limiter l’impact environnemental des ISDND et maximiser leur potentiel énergétique, Waga Energy a bâti un business model différent de beaucoup d’entreprises du secteur. Elle ne vend pas sa technologie, elle achète le gaz de décharge et commercialise le biométhane produit. Elle partage ensuite les revenus de cette vente avec l’opérateur du site d’enfouissement. « La négociation des contrats est souvent plus longue que la fabrication des usines », explique Mathieu Lefebvre. La faute à la grande complexité réglementaire et financière inhérent à ce type de projets. L’ensemble des machines composant la Wagabox est fabriqué en France, dans la région de Grenoble. Il faut compter environ un an, après la signature du contrat, pour sa mise en service, après la construction (six à sept mois), l’assemblage sur site (deux à trois mois) et la phase de tests (trois mois).

Sept Wagabox installées dans notre pays

C’est le 14 février 2017 que la start-up, basée à Grenoble, a commencé à injecter dans le réseau du biogaz issu d’une décharge de déchets ménagers exploitée par Coved. La Wagabox installée sur le site d’enfouissement de Saint-Florentin (Yonne), puis raccordée au réseau de GRDF, produit chaque année 20 GWh, soit la consommation annuelle de 3 000 foyers ou d’une flotte d’une centaine de bus. Cette première unité a été financée en grande partie par l’Ademe (avance remboursable) et l’apport d’investisseurs privés tels Air liquide ou l’Oriv (Observatoire régional de l’intégration et de la ville), aujourd’hui actionnaires minoritaires de Waga Energy. Aujourd’hui, six Wagabox sont en exploitation en France. La dernière a été mise en service dans le Loiret, en mars 2019, représentant une capacité installée de 100 GWh par an injectée sur le réseau de GRDF. « Une autre sera mise en service en novembre et quatre autres sont d’ores et déjà prévues pour l’année 2020 » souligne le PDG de Waga Energy. En France, l’entreprise travaille principalement avec deux grands acteurs privés du monde des déchets que sont Suez et Veolia. Sur les 238 ISDND, Waga Energy estime qu’entre 50 et 100 peuvent potentiellement être équipés de la Wagabox, ont le potentiel nécessaire en volume de gaz produit et sont à proximité des réseaux.

Des envies d’international

L’Amérique du Nord, dotée d’un grand nombre de sites d’enfouissement combiné à une infrastructure gazière solide, représente un terrain de chasse idéal pour Waga Energy, qui a déjà créé une filiale aux États-Unis au printemps dernier. Une filiale canadienne devrait voir le jour d’ici la fin de l’année. Pourtant, il semblerait que ce soit sur notre Vieux Continent, probablement en Europe du Nord ou en Espagne, que les premières Wagabox made in France devraient être installées, au cours du premier semestre 2020. « Avec notre Wagabox, nous ouvrons la voie à l’exploitation d’un nouveau gisement de gaz renouvelable, mobilisable très rapidement » conclut Mathieu Lefebvre, avec en tête les prévisions de l’Ademe qui souligne que les sites d’enfouissement français pourront fournir 2,4 TWh de biométhane par an dès 2023, soit la consommation de gaz d’une ville comme Lyon. La start-up, dont le chiffre d’affaires avoisinait les 7,5 millions d’euros en 2018, vient d’annoncer une levée de fonds de 10 millions d’euros pour son développement et ambitionne d’équiper d’ici cinq ans une centaine de sites dans le monde.

(c)Waga Energy.