Le gaz vert, futur roi du Québec libre ?

Publié le 09/11/2019

6 min

Publié le 09/11/2019

Temps de lecture : 6 min 6 min

Engagé sur la voie de la transition énergétique, le Québec croit beaucoup au potentiel du gaz naturel renouvelable, appelé plus communément GNR dans la province. Le gouvernement mise sur cette énergie verte et locale pour diversifier son mix. Si une étude récente a confirmé son potentiel, sur le terrain tout reste à construire, ou presque.

Par Laura Icart

 

Transformer les déchets en ressources, verdir et diversifier son mix énergétique, produire une énergie locale : c’est l’ambition du Québec et du principal distributeur de gaz naturel dans la province, Énergir, qui s’active pour accroître les quantités de gaz naturel renouvelable dans son réseau gazier et pour en proposer à ses clients, qui souhaitent eux aussi verdir leurs consommations.

Si Énergir est particulièrement convaincue du potentiel du GNR et l’a placé au cœur de sa stratégie, il faut à présent développer sa production. Le 20 mars dernier, le Québec a adopté un règlement stipulant la quantité de GNR qui devra être injectée dans le réseau : la proportion minimale est établie à 1 % en 2020 et sera ensuite progressive pour atteindre 2 % à compter de 2023 et 5 % à compter de 2025. Des ambitions en adéquation avec un potentiel existant puisque le biogaz pourrait représenter en 2030 les deux tiers du gaz naturel distribué au Québec, selon une étude publiée en janvier 2019.

Un potentiel indéniable

Nos cousins québécois ne sont pas en avance mais ont un potentiel important qui pourrait leur permettre de le rattraper rapidement. Après une première étude en 2018 du cabinet WSP Deloitte intitulée « Production québécoise de gaz naturel renouvelable, un levier pour la transition énergétique », un rapport commandé par Énergir publié en janvier dernier dresse un panorama complet du potentiel du GNR dans la province canadienne. Selon ce rapport réalisé par Aviseo Conseil, le gaz naturel renouvelable (ou biogaz) pourrait représenter d’ici 2030 les deux tiers du gaz naturel distribué, soit 3,9 milliards de mètres cubes. Cet objectif participerait à la politique énergétique 2030 du Québec, qui prévoit d’ici cette date une augmentation de 50 % de la production de bioénergie et de 25 % de la production totale d’énergie renouvelable, par rapport à 2013. La province canadienne s’est par ailleurs engagée à diminuer ses gaz à effet de serre de 37,5 % d’ici 2030, par rapport à 1990.

Un gisement majoritairement forestier

La matière première disponible est principalement forestière (80 %), agricole (11 %) et en provenance des résidus municipaux et industriels. Pour ces deux dernières sources, Énergir rappelle que la biométhanisation et le captage de carbone restent les modes de production privilégiés. Par contre, la pyrogazéification, encore peu développée, est une technique plus adaptée aux déchets forestiers.

À chaque région administrative sa spécialité : Sagueney-Lac-Saint-Jean représente par exemple 37 % du potentiel forestier, quand la Montérégie, « le garde-manger du Québec » située entre le fleuve Saint-Laurent et la frontière des États-Unis, produit 70 % des déchets agricoles. Et c’est bien entendu Montréal qui est la principale pourvoyeuse de déchets municipaux et industriels.

La première ville à avoir injecté du biogaz, Saint-Hyacinthe, l’a fait en 2017 dans le cadre du programme de traitement des matières organiques par biométhanisation et compostage (PTMOBC). Et si le projet aboutit, la région de Warwick devrait accueillir le premier biodigesteur agricole, géré sous forme de coopérative. Si, en 2017, moins de 1 % du gaz injecté dans le réseau était issu de la biométhanisation, 2020 devrait voir l’entrée sur le réseau de deux autres unités et ainsi répondre à la première exigence environnementale fixée par le règlement.

Une rentabilité pas encore évidente

Et pour cause. Le rapport commandé par Énergir rappelle les obstacles actuels au développement de la production de GNR. Par exemple, jusqu’à présent les études d’installation de biodigesteurs à la ferme n’ont pas été concluantes en termes de rentabilité. Au Québec, l’énergie étant peu chère, il est plus rentable pour les exploitants agricoles d’acheter leur gaz naturel et leur électricité aux grands distributeurs que d’investir dans des usines autonomes. Le projet de Warwick, qui propose de mutualiser les moyens de plusieurs producteurs, pourrait améliorer la rentabilité. Mais surtout Énergir estime qu’il faut un environnement financier favorable, comprenant notamment un prix d’achat du biogaz attractif et des contrats d’achat de longue durée.

Outre les avantages environnementaux bien connus, les retombées économiques ne sont pas négligeables. L’investissement total est évalué à 19,8 milliards de dollars. Et si le Québec exploite tout son potentiel, la production de gaz naturel renouvelable pourrait rapporter 1,6 milliard de dollars supplémentaires par an au produit intérieur brut. Pendant la construction des divers projets, l’étude prévoit 900 millions de dollars de retombées fiscales. Ce serait quelque 15 000 emplois créés pour leur bon fonctionnement et 88 000 emplois directs et indirects nécessaires durant la phase d’investissement.

Saint-Hyacinthe : la pionnière

La petite ville de Saint-Hyacinthe et ses 60 000 habitants cherchaient depuis longtemps une solution plus responsable et durable pour gérer et traiter les matières résiduelles organiques et les boues d’épuration de la région. C’est chose faite depuis décembre 2017, puisqu’elle est devenue la première municipalité de la province à méthaniser ses déchets pour produire du GNR injecté dans le réseau d’Énergir. L’usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe produit chaque année 13 millions de mètres cubes de GNR, soit la consommation en chauffage d’environ 5 600 foyers. Le projet est censé permettre de valoriser près de 200 000 tonnes de résidus organiques provenant de 25 municipalités, ce qui entraînera une réduction d’émission de 49 000 tonnes de gaz à effet de serre (GES) chaque année. L’Oréal Canada est devenu le premier client d’Énergir à acheter ce gaz produit à Saint-Hyacinthe. L’entreprise évitera de son côté l’émission de plus de 2 100 tonnes de GES par an.

Si la méthanisation débute à peine, le potentiel existant semble bien réel reste encore à en définir la rentabilité pour les producteurs de GNR, les retombées économiques pour les territoires. L’avenir du GNR semble bel et bien tourné vers la méthanisation des biodéchets. Dans la Belle Province, un québecois produit en moyenne 187 kilos de déchets organiques par an… qui pourraient être épurés en GNR dans les prochaines années.

Crédit : DR.