Un accord « historique » qui ouvre la voie

Les négociations climatiques de Dubaï de la Cop28 ont abouti à un accord, ce 13 décembre. Un accord où toutes les énergies fossiles sont mentionnées même s'il ne comporte pas explicitement le terme de sortie.

Publié le 13/12/2023

9 min

Publié le 13/12/2023

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Fumée blanche à Dubaï : après d’intenses négociations et alors que peu pariaient sur la possibilité de trouver un accord intégrant l’épineuse question d’une sortie des énergies fossiles, l’accord annoncé ce matin ouvre la voie à un abandon progressif des énergies fossiles et appelle à « effectuer une transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». Huit ans après les accords de Paris, un horizon de sortie des énergies fossiles est enfin mentionné, même si le chemin pour y parvenir promet d’être complexe.

Par Laura Icart,  avec AFP

 

Après d’intenses négociations, la COP se conclut par le consensus des Émirats arabes unis qui engage l’ensemble des 195 parties vers la sortie des énergies fossiles. Et si la sémantique choisie peut être sujette à bien des interprétations, le texte de l’accord appelle pour la première fois à un « éloignement » progressif des énergies fossiles, en corrélation avec la trajectoire des 1,5 degré et les préconisations des scientifiques du Giec. La majorité des États présents à Dubaï se sont réjouis de l’issue de cette COP alors que beaucoup étaient pessimistes lundi lorsque qu’une première version de l’accord avait été proposée par le président de la COP28, Sultan Al-Jaber.

Pèle-mêle des réactions

Dès l’ouverture de la séance plénière de clôture, les délégués ont adopté la décision préparée par les Émirats arabes unis, déclenchant une ovation debout et de longs applaudissements. Il s’agit d’une décision « historique pour accélérer l’action climatique« , a déclaré Sultan Al-Jaber, président de la conférence de l’ONU. « L’accord de la COP28 qui vient d’être adopté est une victoire du multilatérialisme et de la diplomatie climatique », a déclaré la ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher à Dubaï. L’accord « historique » conclu à la COP28 pour le climat à Dubaï « marque le début de l’ère post-fossiles », a déclaré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. « Le monde a entériné les objectifs de l’UE pour 2030 : un triplement des énergies renouvelables et un doublement de l’efficacité énergétique », a-t-elle ajouté dans un message sur X (ex-Twitter), saluant dans une déclaration distincte « une puissante démonstration de la valeur du multilatéralisme pour relever les plus grands défis de notre planète ». Le ministre danois du Climat, Dan Jørgensen, a qualifié d' »historique » le projet d’accord à la COP28 appelant à une transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques quelques minutes avant son adoption. Les petites îles, première victimes des conséquences du réchauffement climatique, saluent une « amélioration » du texte, même si elles restent « inquiètes sur certaines failles » a jugé l’alliance des petits États insulaires (Aosis), qui est en pointe pour réclamer des mesures fortes contre les énergies fossiles. Le texte représente un « pas en avant » mais « ne fournit pas l’équilibre nécessaire pour renforcer l’action mondiale pour corriger le cap sur le changement climatique », juge l’alliance dans un communiqué. L’émissaire américain pour le climat, John Kerry, a salué l’accord obtenu, y voyant « une raison d’être optimiste » dans un monde en conflit. « Je pense que tout le monde sera content que, dans un monde secoué par la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient et tous les autres défis d’une planète qui patauge, il y ait une raison d’être optimiste, d’avoir de la gratitude et de se féliciter tous ensemble ici », a déclaré l’ancien candidat à la présidence américaine. « L’ère des énergies fossiles doit se terminer et elle doit se terminer avec justice et équité », a déclaré le secrétaire général de l’ONU António Guterres. « Je tiens à dire que la sortie des combustibles fossiles est inévitable, qu’ils le veuillent ou non. Espérons qu’elle n’arrive pas trop tard », a souligné le patron de l’ONU dans un communiqué en s’adressant à « ceux qui se sont opposés à une référence claire » sur cette notion d’élimination, dans le texte de la COP28. « Le monde ne peut se permettre des retards, de l’indécision ou des demi-mesures », a-t-il insisté.

« Une victoire » pour le climat ?

« C’est un victoire pour le climat » indique le cabinet de la ministre française Agnès Pannier-Runacher alors que 2023 devrait être, selon Copernicus, l’année la plus chaude jamais enregistrée sur Terre. Mentionner la sortie, même progressive, des énergies fossiles, constituait un sacré défi. Un défi que beaucoup croyaient impossible malgré l’urgence climatique. Notamment depuis que  le représentant du secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a défendu samedi à la tribune de la COP28 son opposition à tout ciblage spécifique des énergies fossiles dans un accord final et alors que l’organisation pétrolière avait explicitement demandé à ses membres de refuser un accord qui mentionnerait une sortie des énergies fossiles. Beaucoup de pays, dont la France et les États-Unis avaient fait part de leur colère. « Je suis stupéfaite de ces déclarations de l’Opep. Et je suis en colère », a déclaré la ministre depuis Dubaï, rappelant que « les énergies fossiles sont responsables de plus de 75 % des émissions de CO₂ » et « qu’il faut en sortir si on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré« . « La position de l’Opep met en péril les pays les plus vulnérables et les populations les plus pauvres qui sont les premières victimes de cette situation« , a-t-elle ajouté. Les pays vulnérables, et parmi eux les États insulaires comme les îles Samoa, avaient dénoncé l’irresponsabilité d’une telle déclaration. « En 2023, mon pays a été frappé par trois cyclones tropicaux« , détruisant écoles et récoltes sur leur chemin, souligne Ralph Regenvanu, ministre du changement climatique du Vanuatu qui mène la délégation Pacifique à Dubai, sans compter la lente montée du niveau des mers qui menace les îles du Pacifique. « Tout ceci se passe à 1,2 °C (de réchauffement). Donc on ne peut même pas imaginer à quoi ressemblerait 1,5°C. » Cet accord comportant explicitement la mention de toutes les énergies fossiles, le pétrole, le charbon et le gaz, allant vers une sortie « ordonnée », est bien une victoire importante. « L’éléphant dans la pièce a été nommé mais il siège toujours ! » a de son côté réagit le réseau Action climat. « En utilisant le terme “transition away”, traduisible par “transition hors des énergies fossiles”, le bilan mondial ne propose qu’un changement progressif et non une transformation. Le signal est là mais il est encore faible » a souligné l’association. Si celle-ci salue l’avancée majeure de l’instauration du fonds « pertes et dommages », « un combat de plus de 30 ans » rappelle-t-elle, elle dénonce « le manque de moyens criants » accordés à la transition et à l’adaptation. Car si oui cette inclusion des énergies fossiles dans l’accord est « historique », elle ne va pas assez loin. En  ne donnant ni objectifs précis de réduction, ni cible, ni contrainte, l’accord n’est pas à la hauteur de l’urgence climatique. Cela dit, au-delà des énergies fossiles, plusieurs annonces « positives » ont été faites pendant cette COP.

Que faut-il retenir ?

D’entrée de jeu, la mise en œuvre effective du fonds sur les « pertes et dommages » des pays vulnérables a lancé la COP28 sur une note d’optimisme. « La France a beaucoup œuvré pour que ce fonds [pertes et préjudices, NDLR] puisse voir le jour » rappelait en fin de semaine Agnès Pannier-Runacher. « C’était essentiel  pour restaurer la confiance entre les pays du Nord et les pays du Sud. » Depuis l’annonce de sa création, 700 millions de dollars de promesses de dons ont été enregistrés. Plus d’une centaine de pays se sont engagés à tripler les capacités d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Le triplement des capacités mondiales de nucléaire à l’initiative de la France est une avancée « importante » indiquait la ministre qui soulignait que « c’est la première fois que le nucléaire et des réunions autour sont instaurés dans une COP ».  C’est également la première fois que le texte de l’accord fait référence de manière claire et à plusieurs reprise au rôle que jouera le nucléaire dans la lutte contre le changement climatique, « une belle victoire pour la France et pour la ministre » estime son entourage alors que Paris est au front depuis plusieurs mois pour défendre le rôle de l’atome dans la transition. De son côté, le président français Emmanuel Macron a salué sur le réseau X « une étape importante » qui « engage le monde dans une transition sans énergies fossiles », tout en appelant à « accélérer » la lutte contre le réchauffement climatique. Il s’est également félicité de la reconnaissance du « rôle-clé du nucléaire« . La « déception », elle, serait du côté du charbon indique à la presse son entourage, « peu de progrès par rapport à Glasgow » reconnaît-il. La France est avec l’OCDE à l’initiative d’une nouvelle alliance sur la sortie du charbon (« coal transition accelerator »). Le texte de l’accord comporte également une trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre,  de 43 % d’ici 2030 et de 60 % en 2035, une ambition qui se fait en cohérence avec les objectifs climatiques du « Fit for 55 ».