Souveraineté énergétique : la suppression du volet programmatique inquiète

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Publié le 22/01/2024

7 min

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Depuis sa présentation le 11 janvier, le projet de loi souveraineté énergétique n’en finit pas de faire parler de lui. La suppression du volet programmatique de l’avant-projet de loi avant sa présentation au conseil national de la transition écologique le 19 janvier a encore accentué les craintes de tous ceux, parmi les oppositions mais pas que, qui redoutent d’être privés de débat sur les choix énergétiques des années à venir. Pour le Sénat, ce retrait « prive le Parlement d’un vrai débat démocratique sur la transition énergétique ». Un choix assumé par le ministre de l’Économie en charge désormais de l’énergie, qui estime « qu’il faut davantage de temps pour dialoguer ».

Par Laura Icart

 

« Notre objectif commun, c’est de tenir les objectifs européens qui ont été fixés : réduire de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et la neutralité carbone en 2050 » a rappelé le ministre de l’Économie Bruno Le Maire devant le conseil national de la transition écologique (CNTE) saisi pour avis sur le projet de loi dit « de souveraineté énergétique », appelant au passage à éviter « les débats un peu oiseux sur les questions de périmètre sur Bercy qui serait une espèce de forteresse hostile à la transition climatique ». « Je rappelle que c’est quand même Bercy qui finance la transition climatique et qui s’est engagé totalement pour la transition climatique » a ajouté le ministre. Face aux inquiétudes des acteurs du monde énergétique, associations et filière du renouvelable mais aussi du Sénat, Bruno Le Maire réaffirme son « engagement total pour le climat », arguant « qu’il faut éviter la précipitation ».

La France face à de « multiples défis »

Devant les membres du CNTE, le ministre évoque les défis qui attendent la  France pour réussir la décarbonation de son économie : un défi politique, un défi humain, un défi scientifique et un défi financier « considérable » a-t-il précisé, lui qui a déjà évoqué à maintes reprises ces derniers mois la nécessité d’équilibrer les comptes publics et alors qu’une nouvelle hausse des prix de l’électricité est attendue pour le 1er février. Si le ministre de l’Économie a rappelé son soutien à l’énergie nucléaire, il a néanmoins réaffirmé vouloir s’appuyer sur « toutes les sources d’énergie décarbonée« , se disant « totalement convaincu » que le nucléaire et les renouvelables, « c’est complémentaire et qu’il faut les deux « . « Le col roulé n’est pas uniquement pour faire joli » a souligné Bruno Le Maire, rappelant que les axes sobriété comme efficacité énergétique, qui devraient rester dans le giron du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, sont des « axes fort de la stratégie gouvernementale ». Il a également évoqué la nécessité de mener un combat global sur les économies d’énergie, rappelant au passage que le défi industriel pour la France et l’Europe est aussi celui de davantage valoriser « le contenu local des technologies » dans les appels d’offres ou dans les marchés publics. « Parce que vous ne pouvez pas demander des surcoûts de 20 à 30 % à nos industriels et laisser l’accès libre au marché, à la Chine, aux États-Unis qui ne respecteraient pas les mêmes règles » a indiqué Bruno Le Maire. Autant de raisons pour le nouveau ministre de l’Énergie de retirer le titre I. Un choix qu’il revendique « au nom du temps nécessaire pour dialoguer » donc mais aussi « au nom de la décentralisation pour consulter les élus locaux et consulter des gens sur cette planification qui les regarde directement »  et  » au nom de l’efficacité, parce que nous avons besoin de poursuivre le dialogue « .

Le Sénat sceptique

La loi relative à l’énergie et au climat adoptée en novembre 2019 a créé une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) qui devra fixer les grands objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Fin décembre, on apprenait que cette loi qui avait fait l’objet de 18 mois de consultations aussi bien avec les élus locaux et les parlementaires qu’avec la jeunesse ferait finalement l’objet d’un chapitre dans une loi plus globale dite « de souveraineté ». Mais l’annonce de la suppression de cet article la semaine dernière et son report dans une deuxième loi « discutée plus tard dans l’année » a mis le feu aux poudres, le Sénat notamment jugeant « cette situation inacceptable tout comme la proposition de scinder et de reporter ce volet dans un autre véhicule ». « L’absence de ce volet dans le texte actuellement en consultation remet en question la capacité du Parlement à débattre de questions stratégiques pour notre souveraineté et notre transition énergétique » estime la commission des affaires économiques du Sénat. « Ce volet est non seulement un impératif démocratique mais aussi une nécessité économique » ajoute sa présidente Dominique Estrosi Sassone. « Nous appelons le gouvernement à respecter l’esprit de la loi énergie-climat » souligne de son côté le sénateur Daniel Gremillet. « La définition de nos objectifs énergétiques doit être le fruit d’un processus parlementaire, démocratique et ouvert, et non d’une démarche technocratique, en huis clos » précise-t-il. Pour le député Renaissance de Haute-Savoie Antoine Armand, scinder le texte en deux parties, une partie programmatique, une partie régulation et protection des consommateurs, pourrait même permettre « un débat encore plus clair sur chacun des deux sujets ». Mais l’examen de cette loi « ne peut être une option » indique-t-il à Gaz d’aujourd’hui, arguant un « impératif légal, stratégique et démocratique ».

Aller « vers un dialogue démocratique » 

Patronat, syndicats, parlementaires, ONG, etc., ont dans un avis commun demandé  ce lundi au gouvernement un calendrier de travail et appelé à « un dialogue démocratique » sur les objectifs énergétiques et climatiques de la France, retirés en dernière minute du projet de loi sur la souveraineté énergétique. Dans son avis, le CNTE, dont les membres ont rencontré le ministre vendredi, « regrette une nouvelle fois le retrait tardif du titre programmatif » du projet de loi. Il « sera vigilant à la méthode de concertation, (…) veillera à ce qu’elle permette l’exercice d’un dialogue démocratique sur une loi de programmation » et « demande un calendrier de travail ». Sur un autre pan du projet, le CNTE « prend acte de la réforme du marché de l’électricité, telle qu’envisagée, qui induit une évolution vers un mécanisme fondé sur le marché ».  Le Conseil « s‘interroge sur l’impact financier pour le consommateur (y compris les entreprises de toutes tailles et tous les contribuables) de la réforme du marché de l’électricité et des investissements nécessaires à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ». Il « attire l’attention sur le risque que la non-maîtrise des coûts d’investissements, dus à des retards pris inhérents aux risques industriels, soit endossée systématiquement par les consommateurs ». Enfin, sur le volet « protection du consommateur », il « souhaite que la gouvernance de la Commission de régulation de l’énergie (CRE, gendarme français de l’énergie, NDLR) intègre une représentation des salariés, désignée par » les syndicats.