« Osons la vision globale en intégrant l’ensemble des externalités positives de la filière méthanisation dans les objectifs tarifaires ! »

Publié le 29/07/2019

14 min

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Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) depuis 2017, est l’invitée du grand entretien de Gaz d’aujourd’hui. Elle revient sur le rôle du monde agricole face au réchauffement climatique, les opportunités et les innovations qui se présentent, notamment en matière de méthanisation.

Propos recueillis par Laura Icart

« Osons la vision globale en intégrant l’ensemble des externalités positives de la filière méthanisation dans les objectifs tarifaires ! »

Comment l’agriculture contribue-t-elle aux objectifs nationaux de transition énergétique et à la lutte contre le réchauffement climatique ?

L’agriculture est à la fois victime, cause et solution de la lutte contre le changement climatique. Elle permet de capter du carbone dans les sols agricoles et de produire des énergies et matériaux en substitution aux produits fossiles. Ces énergies produites sont ancrées dans les territoires et apportent un revenu supplémentaire aux agriculteurs. Dans le cadre des défis ambitieux de la transition énergétique que la France s’est fixés, l’agriculture représente un acteur essentiel au travers de ses sols, de sa biomasse (biogaz issu de la méthanisation, biocarburants), du photovoltaïque et de l’éolien. Ces projets s’inscrivent dans une logique de renforcement de la compétitivité des exploitations agricoles. Aujourd’hui, la contribution de l’agriculture à la production d’énergies renouvelables en France est de 20 % : preuve que notre secteur a été pionnier dans la transition énergétique et écologique. Cela représente un chiffre d’affaires direct pour le secteur agricole de 1,4 milliard d’euros. Le potentiel agricole ne s’arrête pas là puisque l’Ademe prévoit même que le secteur pourrait doubler sa production d’énergies renouvelables en 2030 et la tripler d’ici à 2050.

Le plan « Énergie méthanisation autonomie azote » (Emaa) vise la création de 1 000 installations de méthanisation agricole d’ici 2020. La France en compte aujourd’hui près de 450, principalement en cogénération. Cet objectif vous semble-t-il toujours atteignable ?

600 projets de méthanisation en injection sont en cours de mise en place ou en attente dans les demandes d’injection. Tous ne seront bien évidemment pas en fonctionnement pour 2020, mais cela montre que cette dynamique s’intensifie sur l’ensemble de nos territoires, alors que la filière est encore très récente. Cependant, les dernières annonces de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de baisse brutale des tarifs du biogaz ont lancé un vent de panique dans les campagnes et ont marqué un coup d’arrêt à cette dynamique. Nous espérons que le gouvernement écoutera nos demandes afin d’obtenir une bonne visibilité pour la filière, critère essentiel pour l’atteinte des objectifs du plan « Emaa ».

Sur les 90 sites injectant du biométhane dans les réseaux de gaz naturel, 60 injectent à la ferme. Comment la FNSEA se mobilise-t-elle pour accompagner le développement de cette filière, lorsque l’on sait que 90 % du gisement est d’origine agricole ?

Mettre en place un projet d’énergie renouvelable sur son exploitation reste aujourd’hui un vrai parcours du combattant pour un agriculteur. C’est pourquoi la FNSEA, aux côtés de l’ensemble des organisations professionnelles agricoles, est présente dans chaque négociation politique pour faire entendre les problématiques locales afin de conduire à de nouvelles simplifications réglementaires, tarifaires et de trouver de nouvelles solutions de financement des projets. Les agriculteurs ont besoin d’accompagnement pour adapter leurs projets de méthanisation en fonction des réalités de leur système d’exploitation, de leur territoire, de leurs besoins, de leurs capacités d’investissements. Plus généralement, la FNSEA travaille à la structuration de cette filière jeune et demande que les pouvoirs publics accompagnent son développement en cohérence avec les objectifs ambitieux fixés dans la nouvelle PPE.

Nous sommes le premier pays d’Europe en termes de surfaces agricoles et nous sommes pourtant en retard sur la production de biométhane. Quels sont selon vous les freins et les effets de leviers pour accélérer le développement de la méthanisation sur nos territoires ?

Le discours dominant n’invite que trop peu à considérer le biométhane et le secteur agricole dans son ensemble comme stratégique pour le pays et pour la transition écologique. Le retard pris en France résulte de plusieurs problématiques. D’abord, le choix qu’à fait la France de bâtir son propre modèle de méthanisation agricole sur l’économie circulaire et le recyclage des effluents d’élevage, à l’inverse du modèle allemand basé sur l’usage de cultures dédiées, qui a montré ses limites. De plus, la lourdeur administrative, ajoutée aux problématiques de financement des projets de méthanisation, ralentissent fortement les projets. Même si le temps moyen de mise en route d’un projet s’est raccourci, celui-ci est encore trop long : trois à cinq ans pour un projet de méthanisation en injection. Enfin, l’acceptation locale des projets commence également à poser problème sur le terrain. Il est essentiel que le gouvernement admette que le biogaz doit avoir une place de choix dans le mix énergétique. De plus, un accompagnement structuré et adapté aux territoires doit être maintenu et déployé afin d’accélérer la mise en route des projets. La concertation entre les agriculteurs, les collectivités territoriales et les professionnels de l’énergie devra demain être la norme. La méthanisation agricole est aussi plurielle que l’agriculture française, son essor se fera en lien avec nos filières et nos territoires.

La PPE a revu à la baisse les ambitions du biométhane dans la consommation de gaz en France inscrites dans la loi de transition énergétique de 2015 (10 % à 7 %) et a diminué les tarifs de rachat de biométhane au producteur, de 95 euros le mégawatt actuellement à 67 euros en 2023 et 60 euros en 2028. Que voudriez-vous dire au gouvernement, sachant que le mécanisme des appels d’offres n’est pas adapté aux projets agricoles, souvent de petite taille et risque de freiner l’essor de la méthanisation à la ferme ?

Cette trajectoire est strictement impossible à tenir et ne laissera aucune chance aux projets agricoles et territoriaux de se développer durablement. Nous déplorons un tel manque d’ambition pour la transition énergétique qui ne peut se réduire à une approche budgétaire. La FNSEA faisait d’ailleurs partie des 42 signataires de la tribune « Make our PPE great again ». Alors qu’en plein débat national, le président de la République prônait l’importance de la méthanisation agricole dans les territoires ruraux, la cohérence des messages qu’il porte est plus que jamais nécessaire. Telle qu’elle est envisagée, cette nouvelle programmation ne permettra pas le développement d’une méthanisation agricole et territoriale. Or, il s’agit de la seule énergie qui parvient à répondre aux problématiques d’aménagement du territoire, environnementales, agricoles, agroécologiques et énergétiques ! Osons la vision globale en intégrant l’ensemble des externalités positives de la filière méthanisation dans les objectifs tarifaires ! Donnons la possibilité aux agriculteurs de créer de la valeur sur leurs exploitations en participant activement à la transition énergétique de notre pays tout en dynamisant nos territoires.

La question du financement des projets de méthanisation est essentielle dans notre pays. Beaucoup d’agriculteurs ne peuvent installer de méthanisateurs sur leurs exploitations faute de financements. Quelles sont vos attentes ? Le lancement de nouveau prêt sans garantie de Bpifrance, il y a quelques mois, est-elle une mesure suffisante ?

L’investissement pour un méthaniseur agricole peut varier de 2 à 8 millions d’euros. Une somme colossale pour des agriculteurs, même regroupés autour d’un seul projet. Les subventions de l’Ademe étant désormais pratiquement taries, nous cherchons de nouveaux modes de financement permettant de pallier le manque de fonds propres des agriculteurs. Selon nous, il est essentiel d’orienter les financements vers cette filière d’avenir. Mais pour faire en sorte que les agriculteurs perçoivent un retour sur la valeur ajoutée, il faut travailler sur des modes de financement spécifiques au monde agricole. Le nouveau prêt sans garantie de Bpifrance est une belle initiative attendue depuis longtemps. Il est en effet alimenté par une partie du grand plan d’investissement pour le secteur agricole. Cependant, nous attendons en réalité sa mise en œuvre car les taux proposés par la Banque publique d’investissement sont encore jugés trop élevés et si les critères d’éligibilité sont trop complexes, ce prêt ne sera pas efficace. Mais avant tout, il faut un tarif adapté à notre modèle de méthanisation agricole français. Il doit être cohérent avec l’ambition du gouvernement pour le développement de la filière biogaz d’une part, et encourager notre modèle de méthanisation agricole qui promeut le recyclage des effluents agricoles d’autre part.

L’acceptabilité des projets de méthanisation sur nos territoires est également un enjeu clé. La communication et la pédagogie autour de cette question est-elle suffisante aujourd’hui ?

Les projets de construction d’unité de méthanisation agricole font trop souvent l’objet de recours qui sont la plupart du temps dus à une méconnaissance du sujet. Parfois un dialogue mis en place suffisamment en amont par les porteurs de projets peut également aider un projet à être accepté. On voit ici également le rôle essentiel des conseillers et formateurs des chambres d’agriculture qui accompagnent les agriculteurs tout au long de leur projet et les aident à le faire accepter. Cette communication et cette pédagogie ne peuvent que se faire localement. L’agriculteur porteur de projet a parfois besoin d’accompagnement pour mettre en place cette communication. Dans nos communes, le lien est parfois distendu entre les agriculteurs et les riverains. Recréer ce lien est un défi du quotidien que tentent de relever nos fédérations départementales ainsi que les chambres d’agriculture.

Travaillez-vous avec vos homologues européens pour l’essor de la méthanisation agricole, en sachant que le modèle français de méthanisation repose sur la co-digestion de déchets et de coproduits agricoles plutôt que d’utiliser des cultures dédiées (maïs) comme en Allemagne ?

La FNSEA siège aux côtés de 65 syndicats agricoles européens au sein du Copa Cogeca (Comité des organisations professionnelles agricoles). Le sujet de la méthanisation fait partie des sujets importants abordés au sein de ses diverses commissions. De plus, nous travaillons avec l’Office franco-allemand pour la transition énergétique. Nous voyons que les allemands sont désormais intéressés par le modèle français basé sur l’économie circulaire, et c’est désormais chez nous qu’ils viennent s’informer pour la transition de leur modèle. La politique agricole commune n’a pas pour objectif de financer directement l’énergie, mais bien de permettre aux agriculteurs de poursuivre leur fonction principale de production alimentaire. Le verdissement de la PAC et l’intégration de plus en plus importante des enjeux climatiques fait que la méthanisation et le développement des Cive (cultures intermédiaires à valorisation énergétique) pourraient trouver leur place dans la PAC sur des mécanismes d’incitations aux projets.

La formation est également un enjeu crucial pour développer la méthanisation. Comment votre syndicat accompagne-t-il la professionnalisation de cette filière ?

Les agriculteurs d’hier deviennent des énergiculteurs de demain. C’est parfois un tout nouveau métier pour l’agriculteur. Il y a donc un enjeu de transition de la vision du métier d’agriculteur ! Nous accompagnons, aux côtés des chambres d’agriculture, l’ensemble des démarches professionnalisantes de producteur d’énergie permettant de dynamiser les territoires. Nous avons participé aux côtés du ministère de l’Éducation et du ministère de l’Agriculture à la mise en place d’une certification d’aptitude pour les salariés des unités de méthanisation. Mais cela ne s’arrête pas là. Nous souhaiterions que les lycées agricoles intègrent dans leur programme le sujet de la méthanisation.

La production d’un digestat riche en azote minéral offre vraisemblablement une alternative intéressante aux fertilisants et engrais de synthèse utilisés par le monde agricole. Quelle est la position de la FNSEA sur cette question ?  

La méthanisation est l’exemple du cercle vertueux de l’économie circulaire créatrice de valeur. D’un point de vue agronomique, la méthanisation permet une meilleure gestion de l’azote en tant qu’engrais ainsi qu’une diminution de la dépendance aux achats d’engrais minéraux. Elle permet à de nombreuses exploitations agricoles d’engager leur transition vers l’agriculture biologique ou vers d’autres systèmes agroécologiques. Cependant, le projet d’arrêté approuvant deux nouveaux cahiers des charges de digestat agricole a relancé le débat sur l’utilisation de déchets non agricoles au sein des méthaniseurs. La FNSEA n’est pas opposée à la valorisation agricole des déchets mais cela doit se faire sous certaines conditions. Les déchets ou produits à base de déchets valorisés doivent avoir une utilité agronomique ou méthanogène. Leur innocuité doit être garantie, ils doivent être traçables en cas de pollution potentielle à n’importe quel moment de la vie du sol. Enfin, la responsabilité doit être clairement définie : en cas de pollution, la responsabilité incombe aux producteurs de déchets ou produits à base de déchets. En outre, n’oublions pas que ces produits agricoles sont destinés à la consommation : il est donc impensable de s’engager dans cette voie sans l’accord de la société et des industries agroalimentaires. Aussi, il est essentiel selon nous qu’il y ait un engagement collectif (politiques, agriculteurs, ONG, industries agroalimentaires, consommateurs) qui soit pris au sein du « pacte de confiance » pour continuer à épandre boues, déchets et produits à base de déchets, sous quelque forme que ce soit.

 

Bio express : Christaine Lambert

Née dans le Cantal en 1961, de parents agriculteurs et militants à la Jeunesse agricole catholique (JAC), Christiane Lambert a très tôt choisi le métier d’agricultrice : à 19 ans, après un BTS agricole, elle s’installe sur une exploitation laitière et porcine. Présidente du Centre cantonal des jeunes agriculteurs (CCJA) de Massiac (1981-1984) puis vice-présidente du CDJA du Cantal (départemental, 1982-1988), elle a été la première présidente du CRJA Auvergne en 1986. Christiane et son époux, Thierry, qui ont trois enfants, sont aujourd’hui agriculteurs en GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun) avec 106 ha de cultures (maïs, blé, orge, triticale, pois et colza) destinés à un élevage de porcs « naisseur engraisseur » de 230 truies, avec trois salariés. Première femme présidente du CNJA (1994-1998), son action a été marquée par la charte nationale pour l’installation, déclinée ensuite dans les départements, la concrétisation de la multifonctionnalité et l’ouverture aux préoccupations territoriales et environnementales. Elle a été présidente de la FDSEA du Maine-et-Loire de 2001 à 2011, secrétaire générale de la FRSEA des Pays de Loire de 2001 à 2014 et membre du bureau chambre d’agriculture depuis 2001. Administratrice de la FNSEA depuis mars 2002, membre du bureau depuis 2005, elle est première vice-présidente depuis décembre 2010, vice-présidente de la commission environnement, présidente de la commission chaîne alimentaire et responsable du pôle croissance durable et société. En avril 2017, elle est la première femme élue présidente de la FNSEA.