Mutualiser les risques climatiques : refonder la solidarité à l’épreuve des catastrophes ?

Assurances
15/06/2025
6 min
Entre 1995 et 2023, les inondations ont coûté en moyenne 1 milliard d’euros par an en France, selon la Caisse Centrale de Réassurance. Certaines crues marquantes, comme celles de l’Aude en 2018 (225 millions €) ou de la Seine en 2016 (plus de 1 milliard €), témoignent de l’intensification des épisodes extrêmes. ©Shutterstock

Face à la multiplication des événements climatiques extrêmes, un rapport du Haut-commissariat à la stratégie et au plan publié le 12 juin propose de refonder notre système de solidarité. Trois scénarios sont avancés, entre adaptation du régime actuel et création d’une nouvelle Sécurité sociale climatique. En 2024, selon France Assureurs, la sinistralité climatique pourrait atteindre 6 à 8 milliards d’euros par an d’ici 2050, en l’absence de mesures fortes. Point d’orgue de ce rapport : l’assurance habitation qui doit « s’adapter à l’évolution des risques climatiques ».

Par la rédaction avec AFP

Inondations, cyclones, sécheresses… Les récents « événements d’ampleur exceptionnelle » amènent à s’interroger sur « la capacité du système assurantiel à prendre en charge les dommages » indique le rapport « Repenser la mutualisation des risques climatiques », qui estime donc qu’il faut ouvrir le débat sur le système d’assurance des logements des Français face à l’évolution des risques climatiques. « C’est une question qu’on se posera à chaque catastrophe naturelle, donc c’est un débat qu’on doit avoir dès maintenant » a déclaré Mathilde Viennot, l’une de ses autrices, lors d’un point presse.

De 4 à 4,5 milliards d’euros par an

« Le coût de l’inaction est très supérieur au coût de l’action », avertit Clément Beaune, haut-commissaire à la stratégie et au plan. Le rapport publié le 12 juin dresse un constat sévère : le système actuel, fondé sur l’assurance privée complétée par le régime « cat nat », ne suffira pas à absorber les chocs à venir. Alors que la sinistralité liée aux événements naturels a atteint en moyenne 4 à 4,5 milliards d’euros par an entre 2019 et 2023 – soit 10 à 20 % de plus que la moyenne historique –, la vulnérabilité des ménages s’aggrave, et l’État, tout comme les assureurs, voient leur marge de manœuvre se réduire. Au niveau mondial, les assurances ont été mobilisées à hauteur de 140 milliards de dollars en 2024 selon réassureur bavarois Munich Re.

Une solidarité inadaptée à l’intensification du changement climatique

Le régime français peut se targuer d’une certaine solidarité, avec un mécanisme mutualisé où les assurés financent collectivement une partie des dommages liés aux catastrophes naturelles. Mais ce modèle montre aujourd’hui ses limites : inégalités territoriales marquées, couverture incertaine de certains risques (comme la sécheresse ou le recul du trait de côte) et prévention encore trop peu intégrée aux mécanismes d’indemnisation. « L’actuel système est efficace pour les sinistres passés, mais inadapté aux trajectoires climatiques futures », résume Marine de Montaignac, co-autrice du rapport. La sécheresse de 2022, estimée entre 3 et 3,5 milliards d’euros, incarne cette nouvelle donne. Elle touche particulièrement les maisons individuelles construites sur des sols argileux, soit près de la moitié du parc résidentiel français.

Des fractures sociales et territoriales aggravées

Tous les ménages ne sont pas égaux face au risque climatique. Les classes moyennes propriétaires voient leur patrimoine exposé, tandis que les locataires les plus modestes restent vulnérables aux conséquences « élargies » des sinistres : relogement, perte d’emploi ou mobilité contrainte. Sur le plan territorial, certaines régions comme les littoraux ou les vallées fluviales concentrent des expositions très élevées, quand d’autres sont relativement épargnées. Or, le système actuel repose sur une tarification uniforme. « Une logique qui a ses vertus – elle évite une sélection des risques – mais elle ne corrige que partiellement les déséquilibres croissants » estime le rapport. Pire, la segmentation du risque permise par l’analyse fine des données d’assurance risque de creuser davantage l’écart entre assurables et non-assurables.

L’assurance habitation doit s’adapter à l’évolution des risques climatiques, selon un rapport

Pour le régime « catastrophes naturelles », le coût cumulé des sinistres a oscillé entre 1,8 et 2,3 milliards d’euros par an en moyenne entre 2019 et 2023, et pourrait atteindre jusqu’à 4 milliards d’euros par an en 2050. Dans ce dispositif, qui couvre les inondations, les sécheresses et les ouragans, l’État prend en charge la moitié des dommages, alors que ceux liés aux tempêtes, à la grêle et à la neige sont couverts par les assureurs. Ce système d’indemnisation, même s’il est globalement protecteur et solidaire, recouvre cependant des disparités territoriales (avec une faible couverture dans les territoires ultramarins) et des inégalités de prise en charge. Ce rapport propose donc trois scénarios pour faire évoluer l’assurance habitation, « des pistes que nous mettons dans le débat public », a déclaré Alice Robinet, seconde autrice du rapport, lors du point presse.

Trois scénarios proposés

« Dans le premier scénario, l’État va jouer un rôle de régulateur du marché de l’assurance. » Ce scénario est celui de l’ajustement prudent, sans bouleversement du modèle existant. Dans le second, il est garant de l’ensemble des risques climatiques. Il s’accompagne également d’une politique d’adaptation plus volontariste, incluant subventions à la prévention et incitations au retrait des zones à haut risque. Et dans le troisième, qui prévoit la socialisation des risques climatiques, il est assureur. Cette dernière proposition correspond à une « Sécurité sociale climatique », avec une « branche sécheresse » et une « branche météo », comme la Sécurité sociale comporte déjà une branche retraite et une branche famille. « Il s’agirait d’une assurance collective contre les aléas du climat, à l’image de ce que 1945 a été pour la santé et la vieillesse », souligne Alice Robinet. Par rapport à la situation actuelle, le surcoût du premier scénario s’élève à 2 milliards d’euros et celui des deux autres à 5 milliards chacun.

Ce rapport permet de « poser la question de l’adaptation du système et du bon curseur entre privé et public » a résumé le haut-commissaire Clément Beaune. Selon France Assurances, la sinistralité climatique annuelle atteint en moyenne 5,6 milliards d’euros depuis 2000 alors qu’il était de 2,7 milliards entre 1990 et 2009.

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