« Les énergies renouvelables intermittentes en fort développement trouvent dans le gaz un allié indéniable ! »

Publié le 08/11/2018

13 min

Publié le 08/11/2018

Temps de lecture : 13 min 13 min

Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) répond à Gaz d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Laura Icart

Vous avez choisi de mettre en place un comité de prospective il y a un an. Quelles sont les raisons de ce choix ?

Le monde de l’énergie change à grande vitesse, partout dans le monde. L’impulsion de ce changement, sa cause initiale et sa finalité, c’est la nécessité de réduire notre empreinte écologique. L’énergie est un bien vital et c’est la source de la prospérité de nos sociétés. Mais en même temps, l’énergie est responsable du changement climatique, sans parler des pollutions locales qui deviennent insupportables. Aujourd’hui nous voilà lancés dans une bataille contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la planète. Si l’impulsion initiale était la question environnementale, la force motrice du changement c’est la technologie et sa puissance. Nous savons maintenant de façon certaine que les énergies renouvelables et le stockage vont transformer l’énergie à l’échelle mondiale dans les prochaines décennies. Le second changement majeur est que les systèmes énergétiques fonctionneront désormais de façon plus décentralisée et plus horizontale. La production et les outils de flexibilité seront plus distribués. Les consommateurs, les acteurs locaux et les territoires joueront un rôle plus actif. Cette dimension territoriale est essentielle, car au final, l’objectif est bien là : engager nos concitoyens dans la transition énergétique, convaincre, partager avec le plus grand nombre.

Quelles sont les thématiques qui vont être évoquées ces prochains mois par ce comité ?

Les sujets de réflexion que le comité de prospective a confiés aux groupes de travail portent sur le verdissement du gaz et ses usages, les nouvelles organisations locales du système énergétique et les données. L’objectif de ce comité de prospective est d’analyser ces changements et leurs conséquences, mais il doit le faire collectivement. Notre ambition est d’éclairer les acteurs du secteur de l’énergie et au-delà les responsables politiques et économiques

Vous avez dit que la CRE devait investir Bruxelles, en particulier sur le paquet « énergie propre pour tous les Européens ». Quelles sont les actions que vous avez mises en place depuis votre arrivée ?

Alors que certains en France présentent les institutions européennes comme une entité technocratique qui prend des décisions éloignées de la réalité, je m’évertue à rappeler à tous mes interlocuteurs que l’Europe, c’est nous ! Bruxelles n’est pas une entité en soi, mais un cadre où s’exerce un jeu d’influences complexe. Un cadre où les États membres et les eurodéputés négocient les prochaines lois européennes sur la base d’une proposition de la Commission européenne. Tous les représentants d’intérêts tentent à leur manière d’influencer le résultat de cette négociation. Notre expertise et notre connaissance du monde de l’énergie adossées à notre statut d’autorité indépendante nous éloignent de tout débat partisan. Elles sont des atouts conséquents. Elles nous ouvrent les portes aux discussions avec les décideurs européens sur des sujets qui relèvent de notre compétence. Notre positionnement se nourrit de notre histoire. La CRE a été créée en 2000 dans le cadre de la transposition des premières directives relatives aux règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. Notre ADN est donc européen. Dès 2000, la CRE participait à la création du Conseil européen des régulateurs de l’énergie (CEER), association dont l’objectif est de faciliter la mise œuvre d’un marché européen de l’énergie compétitif, efficace et durable. En 2009, le troisième paquet énergie a confirmé le rôle des régulateurs comme courroies de transmission de l’intégration des marchés. L’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (Acer) a été créée à cet effet, basée à Ljubljana. Elle est chargée de la mise en œuvre des « codes de réseau », c’est-à-dire des standards et méthodologies communes pour que l’énergie circule librement en Europe. La CRE consacre l’équivalent de 20 postes sur 150 à ces activités de coopération avec les autres régulateurs afin d’harmoniser le fonctionnement des marchés. Tout ceci au bénéfice des consommateurs français, pour mieux garantir la sécurité d’approvisionnement et diminuer les prix de l’énergie. Cette expertise indiscutable est à mettre à profit. Aussi, la première décision – très prosaïque – que j’ai prise dès mon arrivée, fut de créer une direction des affaires européennes, internationales et de coopération au sein de la CRE et d’augmenter les effectifs sur ces sujets. Et, je m’efforce d’entretenir des contacts quasi hebdomadaires, à haut niveau, avec la Commission européenne, la représentation permanente de la France, les présidents d’autres régulateurs ou le gouvernement français sur les sujets européens. L’Union européenne négocie actuellement le paquet « énergie propre pour tous les européens ». Ses effets agiront en profondeur sur le fonctionnement du marché de l’électricité. Très tôt, la CRE a pris part au débat en identifiant des priorités qu’elle a partagées auprès des autorités françaises et des eurodéputés. Mes équipes se rendent régulièrement à Bruxelles pour suivre les réunions du Conseil de l’UE, du Parlement européen et travaillent en étroite collaboration avec le ministère de la Transition écologique et solidaire pour apporter son éclairage sur les sujets de sa compétence.

À propos de la mise en place de la TRF (trading region France), qui a eu lieu le 1er novembre : quel impact aura-t-elle sur le marché gazier en France ?

Très tôt, la CRE a compris l’intérêt de simplifier le marché gazier français. L’enjeu était de s’atteler à la construction d’un marché efficace de l’énergie et pour cela, uniformiser le prix du gaz sur tout le territoire. Aux côtés des gestionnaires de réseaux de transport, la CRE s’est investie pour mener à bien ce chantier qui nécessitait des investissements importants. Historiquement, la France comptait plusieurs zones tarifaires, correspondant aux zones d’approvisionnement et à l’organisation des infrastructures. Progressivement, le réseau de transport est donc passé de sept zones de marché en 2003 à trois en 2009. Dès 2012, la CRE a fixé l’objectif de la création d’une zone de marché unique, commune aux deux gestionnaires du réseau de transport de gaz naturel français, GRTgaz et Teréga (ex-TIGF). Pour cela, il fallait lever la congestion nord-sud en renforçant le réseau de transport. Ce que la CRE a validé en donnant son feu vert dans sa délibération du 7 mai 2014, aux projets de l’artère Val-de-Saône et de Gascogne-Midi, pour un budget de 823 millions d’euros.  En 2015, il ne restait plus que deux zones, une zone commune à Teréga et à GRTgaz au sud de la France (TRS) et une zone au nord (PEG nord). Les capacités des artères de transport les reliant étaient insuffisantes. Le nord bénéficiait de capacités d’interconnexions significatives avec les réseaux norvégiens, allemands et belges. Or, la capacité à la liaison entre les deux zones ne couvrait pas l’ensemble des besoins du sud approvisionnée en gaz naturel liquéfié (GNL) par les terminaux méthaniers de Fos-sur-Mer. Or, au cours des dernières années, le prix du GNL, soumis aux aléas de la demande mondiale, a été fréquemment plus élevé que celui du gaz gazeux. De ce fait, des écarts de prix entre le PEG nord et la TRS se creusaient, par période, au détriment des consommateurs du sud de la France. Les intérêts d’une zone unique sont très importants et ses effets bénéfiques aux consommateurs particuliers et surtout industriels. Tout d’abord l’instauration d’un prix unique. Fini les écarts de prix entre les deux zones pénalisants les consommateurs du sud et en particulier les industriels. Le marché français gagnera en liquidité et en compétitivité ; il s’agit de rattraper le marché TTF des Pays-Bas, véritable hub gazier européen. Les réseaux français seront mieux arrimés aux réseaux européens grâce à ce marché unique, ce qui renforcera la sécurité d’approvisionnement grâce à la diversification des sources d’approvisionnement. Ce sera également bénéfique à la péninsule ibérique, pour laquelle la France est un important pays de transit gazier.

Quels sont les grands chantiers à venir concernant le secteur gazier ?

En 2019, nous allons entreprendre nos travaux sur les prochains tarifs des infrastructures de gaz (transport, distribution, stockage, terminaux méthaniers). Sur une période de quatre ans, les évolutions du secteur gazier sont notables. Dans cet exercice, il est impératif de les prendre en compte pour accompagner l’activité des opérateurs. L’érosion de la consommation de gaz est à prendre en considération au même titre que les objectifs de l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il est donc important de préserver la compétitivité des infrastructures gazières, dans un contexte également marqué par la fin des souscriptions de long terme. Pour cela, il est impératif de s’assurer que les gestionnaires de ces infrastructures maîtrisent rigoureusement leurs charges, tout en leur permettant de préparer l’avenir. Un autre chantier qui s’inscrit dans les objectifs de la transition énergétique, portera sur le développement du gaz vert. Je suis persuadé que le gaz aura une place dans le mix énergétique de demain, à condition qu’il évolue non seulement dans ses usages mais également dans sa production. La production de biométhane, gaz renouvelable produit localement à partir de déchets, et le développement de la mobilité au gaz, utilisé comme carburant pour les véhicules (GNV) et maritime, à la place des produits pétroliers, donnera au gaz une place indéniable dans la transition énergétique. Je rappelle que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) actuellement en vigueur comporte un objectif de production de 8 TWh de biométhane en 2023. Par ailleurs, les énergies renouvelables intermittentes en fort développement trouvent dans le gaz un allié indéniable. Ainsi, les centrales thermiques au gaz (CCCG et TAC) produisent de l’électricité en complément du solaire et de l’éolien, énergies intermittentes par nature. D’ailleurs, l’une des pistes pour stocker cette énergie renouvelable est le power-to-gas, qui permet de convertir l’électricité produite en hydrogène. Pour permettre au gaz de trouver pleinement sa place dans le mix énergétique, il est nécessaire que les opérateurs de réseaux recherchent ensemble les solutions les plus efficaces pour la collectivité. Cela passe par le choix d’investissements bien dimensionnés, aux bons endroits et aux bons moments. Les modèles économiques du biométhane et des nouveaux usages devront aussi atteindre un équilibre pour se développer à grande échelle tout en restant soutenables. Plus anecdotique mais ayant des conséquences pour l’alimentation en gaz de 1,3 million de foyers au nord de la France, il nous faut travailler avec les gestionnaires de réseaux à unifier deux zones de consommation. En quelques mots, une partie de la région des Hauts-de-France est actuellement alimentée par du gaz naturel à bas pouvoir calorifique (appelé « gaz B »), venant des Pays-Bas dont le contrat de fourniture arrive à échéance en 2029. Le reste du territoire français est alimenté par du gaz à haut pouvoir calorifique (appelé « gaz H »). Or on ne peut pas mélanger ces deux types de gaz, il faut donc adapter les réseaux d’une partie de la région des Hauts de France.

L’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie aux particuliers a fêté l’année dernière ses 10 ans. Quel bilan en faites-vous ?

Depuis janvier 2017, dans le secteur du gaz, le nombre de clients en offres de marché a dépassé celui des tarifs réglementés. Il représente aujourd’hui 58 % du marché résidentiel. On observe depuis 18 mois dans le secteur de l’électricité un intérêt marqué des consommateurs pour les offres de marché, près de 20 % d’entre eux ont rejoint les fournisseurs alternatifs. À quoi est dû le développement de la concurrence ? Je l’expliquerai par la construction même des tarifs réglementés qui permet aux fournisseurs alternatifs de proposer des offres compétitives, grâce à des prix de marché restés relativement bas ces dernières années. On note des offres significativement moins chères, jusqu’à 13 % pour le gaz et 10 % pour l’électricité. Mais, à mon sens, le signal prix n’est pas suffisant. L’arrivée de nouvelles technologies, et parmi elles le comptage évolué, donneront un nouveau souffle aux marchés de l’énergie. De nouveaux acteurs émergent ici et là, proposant des offres avec des services associés innovants et parmi elles des offres vertes adossées à des garanties d’origine issues du biométhane. Ceci dit, comme vous le savez le projet de loi Pacte [plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, NDLR]  prévoit la fin des tarifs réglementés du gaz à l’horizon 2023.

 Jean-François Carenco a été nommé président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) par décret du président de la République du 16 février 2017. Diplômé d’HEC, Jean-François Carenco intègre l’École normale d’administration (promotion Michel de l’Hospital). Une grande partie de sa carrière se déroule dans le corps préfectoral. En 2015, il est nommé préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris et préside l’association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Ancien directeur de cabinet de monsieur Jean-Louis Borloo, ministre d’État de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, Jean-François Carenco a été l’un des principaux artisans de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité. Il a par ailleurs largement contribué au Grenelle de l’environnement qui a fixé les objectifs du développement de la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables.