« Le stop-and-go est le plus grand frein au développement des filières énergétiques »

©Julien Cregut

Publié le 10/06/2024

7 min

Publié le 10/06/2024

Temps de lecture : 7 min 7 min

Après plusieurs années à la présidence France gaz, Jean-Marc Leroy passera la main à la fin du mois. Un mandat marqué par un contexte géopolitique et énergétique particulièrement mouvementé qui a vu se succéder une crise des prix de l’énergie, une crise énergétique et une guerre sur le sol européen qui ont redessiné la géopolitique de l’énergie au niveau européen, mettant en lumière les forces mais aussi les faiblesses du Vieux Continent. « Ces crises successives ont montré l’incroyable résilience du système gazier européen » confie à Gaz d’aujourd’hui Jean-Marc Leroy qui fut également président de Gas Infrastructure Europe.  

Par Laura Icart

 

«  Si l’industrie gazière française en diversifiant ses sources et ses routes a été particulièrement visionnaire, la vitesse à laquelle l’industrie [gazière] européenne a su s’adapter à cette nouvelle donne est à saluer » nous précise Jean-Marc Leroy alors qu’en  février 2022 près de 40 % du gaz consommé dans l’UE provenait de Russie – et certains pays comme l’Allemagne et l’Italie dépassaient les 60%. En moins de trois ans, l’Union a fortement réduit sa dépendance au gaz russe. La Russie ne représentait que 20 % de son approvisionnement en gaz (majoritairement du GNL) selon Eurostat, et a entamé une petite révolution en modifiant en profondeur le système gazier communautaire (réduction de la demande, obligation de stockage, plateforme d’enchères…) et créant les infrastructures nécessaires à sa résilience. Rien qu’en 2023, six nouveaux terminaux d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) ont été mis en service en Europe et une nouvelle unité flottante de regazéification et de stockage (FSRU) a été installée au Havre. Au total, l’Europe s’est dotée de 36,5 milliards de m(Gm3) de nouvelles capacités d’importation par an de GNL depuis début 2022. « Ces crises nous amènent à avoir davantage de lucidité sur les échéances à venir » souligne Jean-Marc Leroy. « Les décisions qui sont prises aujourd’hui vont entraîner de profondes transformations sans que nous en mesurions vraiment les impacts. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait  systématiser les études d’impacts sur des questions aussi majeures que les perspectives énergétiques nationales. »

« L’énergie, ce n’est pas une religion ! »

Pour le président de France gaz, la crise énergétique a mis en lumière les risques d’une vision « trop linéaire », « trop dogmatique » des technologies et des énergies qui feront la transition. « L’énergie, ce n’est pas une religion ! Nous voulons bâtir le monde de 2050 avec ce que l’on sait de 2030. » La neutralité technologique n’est pas seulement « nécessaire, elle est indispensable » pour répondre aux enjeux de la transition « en ayant une approche inclusive ». En clair, pour Jean-Marc Leroy, « une vision trop linéaire de l’énergie crée les conditions du stop-and-go si préjudiciable au développement et l’industrialisation des filières énergétiques ». Sa crainte : de faire avec l’écosystème industriel des gaz verts, véritable vitrine technologique d’un savoir faire made in France, ce qu’on a fait il y a quelques années pour le solaire ou l’éolien, domaines où la quasi intégralité composantes sont fabriquées en dehors de l’Europe. « Nous avons loupé le train pour un certain nombre d’innovations dans le domaine de l’électricité [les panneaux, les pales, les batteries, NDLR], ne faisons pas la même erreur pour les gaz renouvelables où  toute  la valeur se trouve en France et Europe.» Dans le secteur de la mobilité comme dans le bâtiment, « il faut laisser le choix aux consommateurs, surtout quand certaines solutions montrent leurs limites ».

Capitaliser sur un écosystème industriel

Aujourd’hui, plus de 500 entreprises ont un lien direct ou indirect avec le biogaz. Certaines sont devenues au fil des années de véritables pépites françaises, à la renommée internationale, comme Waga Energy ou Prodeval. « Nous avons créée en France en une décennie une filière d’excellence », une « filière qui contribuera pleinement à la réindustrialisation de la France » et à « son prestige à l’international » souligne Jean-Marc Leroy, inquiet d’un manque soutien politique et de politiques publiques qui affichent volontiers « une certain forme de dogmatisme » et un « prisme électrique » qui « nuit au potentiel innovant » de la France, évoquant « la difficulté » d’atteindre nos objectifs climatiques, sans utiliser l’ensemble des solutions existantes permettant la décarbonation de notre économie. Outre la méthanisation, la pyrogazéification et la gazéification hydrothermale dont un appel à manifestation d’intérêt a été lancé le 4 juin, « seront de nouvelles voies pour augmenter la production de gaz renouvelables tout en répondant à des problématiques locales ». « Ne pas en tenir compte dans nos politiques publiques, c’est se fermer des portes que d’autres pays, d’autres acteurs ouvriront, nous laissant sur la touche. Il n’ y a pas de performance économique à l’avenir sans innovation. »

 

Avoir le « goût du risque »

« On a pendant longtemps faire croire que la transition énergétique ne coûterait rien », mais son coût social et économique « sera très important », d’autant plus dans une Europe « en décrochage économique » par rapport à la Chine ou aux États-Unis. Autre marotte : la simplification. « Simplifier c’est urgent dans un pays où l’inflation normative devient limitante » souligne Jean-Marc Leroy, évoquant l’absurdité de certaines situations comme les 150 données à remonter tous les ans par une unité de méthanisation vers différents organismes, dont près de 40 sont redondantes et peuvent être demandées entre deux à six fois par différents organismes. « Il faut des normes sur l’essentiel. Il faut aussi avoir le goût du risque, de l’initiative pour pouvoir libérer le potentiel, quitte à échouer quelques fois pour réussir demain. »

 Ecomondo

 

Un vivier technologique

« De nombreux pays souhaitent travailler avec nous » souligne Jean-Marc Leroy. France gaz a signé des partenariats avec le Japon et l’Égypte. D’autres sont intéressés, comme la Colombie et la Malaisie. « Nous sommes un vivier technologique aussi innovant que l’énergie électrique même si l’administration a tendance à l’oublier. » Jean-Marc Leroy regrette parfois « des fonctionnaires trop militants, biaisant le discours et entravant les solutions ».

 

Les chantiers à venir

À l’heure de la transmission, le président de France gaz voit plusieurs chantiers importants à poursuivre. Les territoires joueront une « place prépondérante » dans la construction d’un système énergétique décarboné. « Il faut une territorialisation des potentiels en fonction des opportunités et des gisements. » Autre chantier : celui de l’équité fiscale. « Un combat » que la filière gazière devra continuer de mener. Enfin, il faudra « continuer de pousser l’innovation » qui transformera peu à peu l’industrie gazière tout en continuant à garantir la sécurité d’approvisionnement.