La précarité énergétique, reflet d’une France qui se paupérise

En 2022, 5,6 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique en France, soit près d’un Français sur cinq selon les données de l’ONPE. © Shutterstock

Publié le 28/11/2023

6 min

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En France, la précarité énergétique touche 12 millions de personnes. Cette année, la 3e édition de la journée de lutte contre la précarité énergétique a rappelé une réalité sociale importante : la France a davantage froid qu’il y a 10 ans et les Français sont de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir régler leurs factures d’énergie. Une réalité qui n’épargne pas non plus nos voisins européens.

Par Laura Icart

 

Selon l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), avant même le début de la crise énergétique près de 20 % des ménages en France étaient déjà considérés comme des précaires énergétiques. Depuis, la hausse des coûts de l’énergie et des loyers et le manque de rénovation globale des logements « aggravent le phénomène » estime le collectif de 24 associations réunies sous l’emblème de la Journée de lutte contre la précarité énergétique qui avait lieu le 24 novembre.

La pauvreté s’accentue en France

Les associations se disent inquiètes pour l’hiver à venir. En 2022, la forte inflation sur  l’alimentation (+ 6,8 % en 2022) et l’énergie (+ 23,1 %) a accentué la pauvreté dans notre pays. Le Secours catholique estime que de plus en plus de Français qui se présentent à eux ne peuvent plus payer leurs factures d’énergie, avec un risque accru de voir basculer des milliers de personnes supplémentaires dans la pauvreté. « Quand l’équilibre du budget tient à 10 euros près, aucune marge n’existe » notait l’association dans son rapport statistique annuel « État de la pauvreté en France 2023 » publié le 14 novembre, alors que la pauvreté de manière générale continuait de s’aggraver en France. 58 % des Français craignent de basculer à court terme dans la précarité. Les femmes seules avec ou sans enfants en sont les principales victimes. Aux conséquences sociales s’ajoutent des conséquences sanitaires, avec des pathologies souvent respiratoires liées au froid, à l’humidité et à la propagation de la moisissure.

La France a davantage froid qu’il y a 10 ans

La précarité énergétique est un défi de société majeur. Elle touche 12 millions de Français et plusieurs dizaine de millions d’Européens. En 2022, 5,6 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique en France, soit près d’un Français sur cinq selon les données de l’ONPE. Quasiment 12 % des ménages sont en situation de précarité énergétique. Pour rappel, ils étaient 3,5 millions en 2019. « La précarité énergétique, c’est d’abord une réalité humaine » souligne le Secours catholique qui estimait en 2020 que sur les 1,5 million de personnes qu’elle accompagne, 38,2 % des impayés concernent les factures d’énergie : c’est presque 10 % de plus en 2022. L’année dernière, 46 % des impayés concernaient les factures de gaz et d’électricité, soit plus que les impayés liés aux logements. En 2022,  « 36,6 % des femmes adultes de nationalité française rencontrées en milieu rural à habitat dispersé expriment une demande relative au loyer, aux factures, à l’énergie ou à l’eau » indique le Secours catholique. C’est d’ailleurs le deuxième poste d’aide financière octroyée par l’association. Au cours de l’hiver dernier, 26 % déclaraient avoir souffert du froid au moins 24h, un chiffre en constante augmentation depuis trois ans (en 2020, ils étaient « seulement » 20 %). Fait notable, « la part de ceux qui restreignent systématiquement le chauffage a augmenté de 10 % en un an » pour s’établir à 79 % indiquait récemment le médiateur national de l’énergie, avec un taux plus élevé chez les moins de 35 ans, les locataires et les employés.

Une politique de rénovation insuffisante ?

Selon le bilan annuel de l’Observatoire national de la rénovation énergétique publié le 27 novembre, le nombre de logements considérés comme des passoires énergétiques en France a baissé de 7%. Notre pays compte désormais 6,6 millions de passoires énergétiques. Néanmoins pour de nombreuses associations et organismes qui les accompagnent au quotidien, les rénovations globales et performantes ne sont pas suffisantes et les outils d’accompagnement financier sont insuffisamment calibrés pour faire face aux difficultés toujours plus grandes des ménages. Si la rénovation énergétique demeure un enjeu majeur du quinquennat et que le gouvernement évoque 650 000 rénovations en 2022, grâce notamment au succès non démenti de Ma prime rénov’, il n’empêche que le rythme des rénovations globales, les seules à être vraiment efficaces tant sur le porte-monnaie que sur le climat est plus modeste : 66 000 enregistrées l’année dernière. Pour atteindre les 200 000 rénovations performantes en 2024 fixées dans le cadre de la planification écologique, des moyens supplémentaires sont octroyés, dont 1,6 milliard supplémentaires sur l’année 2024. Le gouvernement a dévoilé en octobre le nouveau parcours « unique » proposé en 2024, entièrement piloté par l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et ouvert à tous, sans conditions de ressources, même s’il entend cibler prioritairement les passoires thermiques. « Massifier les rénovations énergétiques relève de l’urgence » estime le collectif d’associations qui souligne que la non remis en cause du calendrier d’interdiction progressive de location des logements « passoires thermiques » dont le DPE est classé G, F puis E inscrite dans la loi climat et résilience est « une bonne chose ». « Il faut garder le cap » selon elles, car ces interdictions progressives constituent « un moyen concret pour protéger les locataires en situation de précarité énergétique qui se trouvaient jusqu’alors souvent démunis ». Le 24 novembre, une proposition de loi transpartisane a été présentée à l’Assemblée nationale, reprenant les principales mesures demandées depuis plusieurs années par les  associations luttant contre la précarité énergétique : augmentation du chèque énergie, massification de la politique de rénovation allant vers un reste à charge pour les plus modestes ou encore interdiction des coupures. 

9,3 % des Européens en incapacité de se chauffer décemment

En 2022, plus de 40 millions d’Européens n’avaient pas les moyens de chauffer convenablement leur logement, soit environ 9,3 % des ménages de l’UE contre 6,9%. Cela équivaut à la population réunie de la République tchèque, de la Hongrie, de la Suède et de l’Autriche. Une moyenne qui a stagné pendant plusieurs années mais qui a beaucoup augmenté entre 2021 et 2022, principalement du fait de la crise énergétique et de la hausse des coûts de l’énergie. Selon Eurostat, l’organisme de statistiques de l’Union européenne, c’est en Bulgarie et à Chypre que la part des foyers ayant des difficultés à se chauffer est la plus grande, respectivement 22,5 % et 19,2 % et c’est a contrario en Finlande (1,7 %) et dans les pays nordiques que les taux sont les plus faibles. En France, cette part a beaucoup augmenté puisqu’elle s’élevait à 6 % en 2021 et qu’il est passé à 10,7% en 2022, soit un taux supérieur à la moyenne européenne.