La France rejette une hausse des objectifs renouvelables 2040 sans garanties pour le nucléaire

Publié le 16/05/2025

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La France refuse que le plan de décarbonation 2040 de l’UE rehausse l’objectif de déploiement des énergies renouvelables, adopté en 2023 dans une directive que Paris souhaite voir remplacée par un texte traitant le nucléaire à l’égal de l’éolien et du solaire, selon une note consultée le 15 mai par l’AFP. Paris se bat depuis plusieurs années à Bruxelles pour faire reconnaître le caractère décarboné de son mix électrique, l’un des plus décarbonés du Vieux Continent.

Par la rédaction, avec AFP

 

La position de la France est motivée par plusieurs facteurs, rappelait l’entourage du ministre de l’Industrie et de l’énergie il y a quelques jours : le rôle clé du nucléaire dans la décarbonation de son propre mix énergétique, le besoin de garantir une politique énergétique européenne cohérente et stable et la nécessité de renforcer les investissements dans le nucléaire de nouvelle génération pour répondre aux objectifs climatiques européens. Paris est donc fermement déterminée à obtenir l’assurance que le nucléaire sera pleinement intégré dans la future stratégie de décarbonation de l’UE avant de soutenir une nouvelle directive sur les énergies renouvelables pour 2040.

La maraude de la France

Fin avril, Paris a adressé à Bruxelles une liste de conditions qu’elle veut voir respecter avant de se prononcer sur l’objectif de la Commission de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 90 % en 2040 par rapport à 1990. Cet objectif 2040 fait l’objet de tractations très sensibles entre les 27 pays et la Commission, qui a dû repousser la présentation de sa feuille de route, désormais attendue « avant l’été« . De son adoption dépend la feuille de route climatique que l’UE doit soumettre à l’ONU avant la COP30 de Belem (Brésil) en novembre. Pour la France, entre autres conditions, « l’objectif 2040 doit s’accompagner d’un objectif de réduction de l’intensité carbone de l’énergie finale consommée en lieu et place d’un objectif EnR (énergies renouvelables) européen« . « Seule la proposition d’une directive énergie décarbonée, ayant vocation à se substituer à la directive sur les énergies renouvelables et à toute nouvelle proposition d’objectif EnR européen, permettrait de garantir l’atteinte de nos objectifs climatiques ambitieux pour 2040« , écrivent les autorités françaises dans cette note consultée par l’AFP et dévoilée par Les Échos, confirmant une position défendue par la France depuis plusieurs années, alors que notre pays est en infraction régulière sur la part des énergies renouvelables dans sa consommation, ayant atteint en 2024 les objectifs fixés pour 2020.

La « neutralité technologique » : condition essentielle selon Paris

La France se trouve dans une position particulière au sein de l’UE, car elle dépend encore fortement du nucléaire pour garantir sa souveraineté énergétique. Elle est d’ailleurs à l’origine de l’Alliance nucléaire qui se réunit à chaque sommet informel de l’énergie, comme ce fut le cas en début de semaine à Varsovie. Si la Commission européenne ne reconnaît pas pleinement le rôle du nucléaire, cela pourrait créer un déséquilibre entre les États membres, certains étant plus avancés sur les énergies renouvelables (comme les pays nordiques), tandis que d’autres (comme la France) comptent sur une combinaison d’EnR et de nucléaire. De plus, la France craint que sans un soutien clair de Bruxelles, les investissements dans le secteur nucléaire européen, déjà insuffisants, soient découragés, ce qui pourrait entraîner une dépendance accrue de l’UE aux combustibles fossiles ou une précipitation dans l’adoption de technologies moins matures pour remplacer le nucléaire. La « neutralité technologique« , prévue dans les traités européens et qui implique de ne pas privilégier une technologie sur une autre, est « condition sine qua non du rehaussement de notre ambition climatique« , martèle le gouvernement français. Lors de la réunion de l’Alliance du nucléaire le 13 mai, les États membres ont été amenés à prendre position sur le nouveau cadre d’aide d’État proposé par la Commission, dont la compatibilité avec l’engagement de neutralité carbone qu’a pris la Commission n’est pas garantie à ce jour, selon Paris.

Paris pousse une directive bas carbone 

La directive sur les EnR, adoptée en octobre 2023, fixe un objectif contraignant de 42,5 % de renouvelables dans la consommation européenne d’ici 2030 et si possible de 45 %. La France, qui affiche l’un des gisements d’Europe les plus importants en termes de potentiel de production, doit atteindre 44 % en 2030 selon RED III. Si la Commission était tentée de réviser ce chiffre à la hausse pour alimenter son ambition pour 2040, il faudrait en passer par une adoption à l’unanimité, souligne la France dans sa note. En juillet, la France a remis à Bruxelles son plan national intégré énergie climat (Pniec). Un plan qui se refuse toujours à parler en part de renouvelables dans la consommation finale d’énergie brute d’ici à 2030. Un point sur lequel Paris ne veut pas transiger, évoquant la place du nucléaire et sa capacité à atteindre 58 % « d’énergies décarbonées » en 2030.

La France, pays le plus nucléarisé au monde par habitant (56 réacteurs pour 68 millions d’habitants), est devenue le fer de lance européen de la relance de l’atome, à la tête d’une « alliance européenne du nucléaire » d’une douzaine de pays. Mais leurs ambitions se heurtent aux réticences d’autres pays, dont l’Allemagne.