« La diversité des usages, des territoires et des réalités sociales impose un mix énergétique »

Interview
12/06/2025
6 min

Natacha Cambriels, présidente de Butagaz France, a repris ce jeudi la présidence de France gaz liquides. Pour Gaz d’aujourd’hui, elle revient sur les actualités du moment et l’importance de défendre la pluralité du mix énergétique français et la diversité des territoires.

Propos recueillis par Laura Icart

Vous reprenez la présidence de France gaz liquides, quel cap souhaitez-vous fixer ?

Ma présidence s’inscrit dans la continuité de la précédente. Aujourd’hui, notre enjeu est double : faire reconnaître la spécificité de la ruralité dans les politiques énergétiques nationales et affirmer que les gaz liquides – notamment renouvelables – ont un rôle central à jouer dans la transition, notamment là où l’électrification est techniquement ou économiquement impossible. Nous allons poursuivre le verdissement, bien sûr, mais aussi créer des alliances. On veut élargir le cercle : travailler avec les associations de consommateurs, les industriels, les producteurs. Faire en sorte que ce ne soit pas seulement les propaniers qui portent la voix de la ruralité, mais tout un écosystème. On veut aussi renforcer notre action territoriale, car c’est à ce niveau là que se jouent les véritables choix énergétiques.

L’électrification seule ne suffira pas à décarboner la ruralité.


Justement, pensez-vous que le contexte actuel a fait évoluer la perception des décideurs publics sur cette pluralité du mix énergétique ?

Oui, je le crois. Les élus sont de plus en plus sensibles aux réalités territoriales. L’étude que nous avons publiée en partenariat avec l’école des Mines de Paris en 2023 et les différentes actions que nous menons dans les territoires démontrent à quel point la ruralité accumule les défis : habitat ancien, précarité énergétique, manque d’infrastructures. L’électrification seule ne suffira pas à décarboner la ruralité. Il y a une vraie prise de conscience, mais il faut encore la traduire en actes concrets.

Vous évoquez souvent la notion de mix énergétique. Pourquoi est-elle si importante à vos yeux ?

Parce que c’est une réalité physique. Tous les usages ne sont pas électrifiables et il faut préserver la compétitivité de notre industrie, y compris en milieu rural. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises comme de foyers n’ont pas les moyens d’une conversion 100 % électrique. Les gaz liquides, surtout lorsqu’ils sont renouvelables, apportent une réponse immédiate, disponible et moins coûteuse. Ce n’est pas une opposition à l’électrique, mais une complémentarité indispensable.

Le biopropane est au cœur de votre stratégie de décarbonation. Où en est-on concrètement ?

Le biopropane est un coproduit de la production de biocarburants. Aujourd’hui, il est majoritairement réutilisé dans les procédés industriels eux-mêmes, ce qui limite son usage en tant qu’énergie pour le chauffage ou les usages professionnels. Notre objectif est de montrer que cette énergie a toute sa place dans la transition de la ruralité. Il faut créer les conditions d’un business model viable pour les producteurs. Et cela passe aussi par une meilleure traçabilité – ce que permettent déjà des systèmes comme l’ISCC – pour rassurer à la fois les pouvoirs publics et les consommateurs.

Ce qu’il nous faut maintenant, c’est de la visibilité. L’instabilité réglementaire actuelle freine les investissements.


Votre objectif de 10 % de biopropane d’ici 2033 est-il atteignable ?

Oui, à condition de combiner deux leviers : l’augmentation de la production, notamment en France, et la sobriété énergétique. Une étude récente de Liquid Gas Europe montre que si tous les projets européens en cours aboutissent, les volumes disponibles seront suffisants pour atteindre nos cibles. En France, nous avons la capacité industrielle et le réseau logistique. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est de la visibilité. L’instabilité réglementaire actuelle freine les investissements. On sent une volonté politique très forte de pousser l’électrification et nous n’y sommes absolument pas opposés mais nous souhaitons que le gouvernement étudie toutes les options et solutions alors que nous entrons dans une période de contraintes budgétaires. L’énergie, ce n’est pas seulement une ligne comptable, c’est une question de faisabilité technique, d’acceptabilité sociale et de souveraineté. Si l’on ne prend pas en compte la diversité des situations, on risque d’exclure des territoires entiers de la transition.

L’énergie, ce n’est pas seulement une ligne comptable : c’est une question de faisabilité technique, d’acceptabilité sociale et de souveraineté.


Vous parlez de souveraineté. Le biogaz liquide peut-il réellement contribuer à cet enjeu ?

Absolument. Il s’agit d’une ressource locale, distribuée par des acteurs déjà implantés dans les territoires, avec des infrastructures existantes. C’est une solution immédiatement mobilisable, sans besoins d’investissements massifs. Et elle permet de sécuriser des approvisionnements en énergie décarbonée pour l’industrie comme pour les particuliers. On ne peut pas se permettre de tout miser sur une seule technologie. Si on veut réussir cette transition, il faut sortir des dogmes. L’électrification est essentielle, mais ce n’est pas la seule solution. La diversité des usages, des territoires et des réalités sociales impose un mix énergétique. Et surtout, une transition juste, qui n’oublie personne.

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