« La Caisse des dépôts souhaite soutenir les investissements qui concourent à la transition écologique »

Hélèna CHARRIER CDC 16 décembre 2015

Publié le 13/01/2019

13 min

Publié le 13/01/2019

Temps de lecture : 13 min 13 min

Héléna Charrier est directrice de projets investissement responsable à la Caisse des dépôts (CDD). Elle analyse pour Gaz d’aujourd’hui l’impact du risque climatique sur le secteur financier et revient sur les principales actions mises en place par la CDD pour accompagner et financer la transition énergétique sur nos territoires.

Propos recueillis par Laura Icart

Aujourd’hui, mesurer les impacts environnementaux est crucial pour guider le choix des investisseurs. Quels sont les principaux risques « climatiques » identifiés par les acteurs du secteur pouvant affecter la stabilité financière ?

En juin 2017, la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), mise en place par le conseil de stabilité financière du G20, a rendu ses recommandations sur la publication d’informations relatives aux risques financiers liés au changement climatique. Ce groupe de travail a défini deux principaux types de risques : des risques physiques liés aux changements météorologiques et des risques dits « de transition » liés à une prise de conscience des consommateurs et des législateurs des effets du changement climatique. Les risques physiques recouvrent des risques dits « aigus » liés à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles, ainsi que des risques chroniques, tels que l’élévation du niveau des mers ou des sécheresses prolongées. L’exposition à ces risques physiques, qui dépend beaucoup de la localisation des actifs, peut conduire à une destruction partielle ou totale, ou encore à une baisse de leur productivité ou attractivité. Les actifs agricoles sont principalement concernés, mais ce peut aussi être le cas de certaines infrastructures, notamment de tourisme. Ce risque peut se traduire par des difficultés à assurer ces actifs. Pour les risques de transition, nous sommes sur une logique de risques politiques, légaux ou technologiques affectant l’équilibre économique et les perspectives de développement d’un produit ou d’un processus de production, par exemple sous la forme d’une hausse du prix du carbone, d’une hausse des normes et standards environnementaux. Ce risque de transition porte donc plutôt sur les produits et les actifs réels en lien avec des activités très émettrices et peut se traduire, par exemple, par une diminution de la marge d’exploitation ou une dépréciation d’actifs. Une dernier type de risque a été identifié : le risque de réputation qu’il y aurait à ne pas proposer des produits et des services qui concourent à la lutte contre le changement climatique. C’est un risque à part entière, même s’il est plus difficile à quantifier car il relève du capital immatériel de l’entreprise. Par exemple, les sociétés minières et utilities peuvent être exposées à ce risque d’image, avec des cas régulièrement relayés par les ONG. Pour peu qu’ils ne soient pas correctement évalués et gérés, ces trois types de risques, qui portent sur les actifs des entreprises, voire des ménages, pourraient potentiellement toucher, par contagion, le secteur financier.

Est-on capable de mesurer l’impact financier sur les portefeuilles de crédit et les portefeuilles d’investissement ?

En France, l’article 173 de la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTCVE) publiée en août 2015 a rendu obligatoire un reporting climat pour les investisseurs institutionnels, pour les encourager à expliquer leurs méthodologies d’analyse du risque climatique au travers d’une série de questions. Au niveau international, les recommandations de la TCFD sont du domaine de l’incitatif, des « bonnes pratiques » de reporting financier. Aujourd’hui, ces deux référentiels définissent l’objectif : se doter de politiques et processus d’évaluation du risque financier intégrant les risques climatiques. Cependant, les méthodologies d’analyse doivent encore se développer et se standardiser. Au-delà, la question de l’information publiée par les entreprises reste un enjeu clé. Cette question conduit les régulateurs à travailler simultanément sur les exigences d’évaluation et de publication des risques des institutions financières et sur celles des entreprises.

Y a-t-il des indicateurs définis ?

À ce stade, il n’existe pas de méthodologie standardisée pour mesurer le risque financier lié au changement climatique. La TCFD recommande l’analyse de scenarios, qui permet de refléter les incertitudes inhérentes au changement climatique, mais des exercices plus qualitatifs de cartographie des actifs exposés peuvent aussi être réalisés. Le secteur financier est encore dans une phase de développement de ces différentes méthodologies car ce sont ces exercices difficiles à plusieurs titres. D’une part, le caractère incertain et les horizons de long terme du changement climatique ne sont pas nécessairement bien reflétés par les outils traditionnels de gestion des risques financiers qui s’appuient sur des statistiques portant sur le passé. D’autre part, c’est un risque dont on sent bien qu’il varie en fonction de facteurs qui ne sont pas toujours aisés à évaluer. Les méthodologies et indicateurs qui émergent cherchent ainsi à traduire la perception que la probabilité d’occurrence et la gravité du risque climatique varient en fonction des secteurs, du portefeuille de produits des entreprises, voire aussi de facteurs complexes à analyser comme l’exposition de la chaîne de production. Du côté des financeurs, ce risque dépend aussi de l’horizon de détention des actifs : les manifestations des effets du changement climatiques seront très différentes si l’on détient un actif monétaire sur quelques mois ou un actif d’infrastructures sur une dizaine, voire une vingtaine d’années. Les premières méthodes de quantification du risque crédit ont été produites par les agences de notation financière, et les principales d’entre elles se sont structurées pour enrichir leur analyse de cette dimension et être plus transparentes sur la manière dont elles le font. D’autres types d’acteurs, notamment les banques centrales, travaillent au sein d’un réseau pour établir une méthodologie d’analyse à un niveau de données plus agrégées. Dans un rapport publié en fin d’année, l’autorité européenne des assurances et des fonds de pension met en exergue que 10 à 13 % des actifs détenus par les assureurs européens seraient exposés aux risques de transition. Selon elle, les actifs particulièrement exposés sont les actifs réels [immobilier et infrastructures, NDLR]. Elle estime aussi qu’il y a un potentiel risque de contagion via le secteur financier. Qu’il s’agisse d’analyse sectorielle comme ce rapport ou d’analyse plus spécifique sur des actifs précis, on se rend compte que la gamme d’actifs exposés à ce risque de transition est diverse et que là réside la grande difficulté de développer une méthode commune d’analyse du risque climatique.

Vous avez annoncé, lors du Climate Finance Day fin novembre, vouloir mobiliser 16 milliards d’euros d’ici à 2020 pour soutenir des projets ayant un impact positif sur le climat…

La Caisse des dépôts souhaite soutenir les différents types d’investissements qui concourent à la transition énergétique et écologique. C’est un objectif qui avait été défini une première fois au moment de la COP21, avec une cible de 15 milliards de financements « verts » et qui a été dépassé sur cette période puisque le groupe a réalisé plus de 18 milliards de financements soutenant la transition vers une économie bas carbone. Nous souhaitons poursuivre et accélérer cette dynamique. Cette nouvelle cible combine une gamme de produits de financements [outils de prêts, outils d’investissement en fonds propres, outils de garantie, NDLR] portés par Bpifrance, filiale de la Caisse des dépôts et la Banque des territoires pour accompagner tous nos différents clients – bailleurs sociaux, collectivités, entreprises – dans leur démarche de transition.

Concrètement, comment allez-vous y arriver ? Quels secteurs seront soutenus ?

La Banque des territoires a un rôle majeur à jouer pour accompagner le financement de la transition énergétique et écologique. Nous souhaitons en effet nous inscrire dans une logique de « transition juste » entre et au sein des différents territoires. Ce concept, qui figurait déjà dans le préambule de l’accord de Paris en 2015, a pris tout son sens avec la crise des « gilets jaunes ». Cette dernière traduit le souhait d’accéder, de manière équitable et inclusive, aux moyens de participer à cette transition (par exemple par des transports en communs propres et efficaces, des logements plus économes en énergie) mais aussi à une certaine forme de protection contre les effets socio-économiques des risques climatiques que nous évoquions. La Banque des territoires propose donc un certain nombre de produits financiers pour accompagner ses clients dans leur transition. Le secteur du bâtiment est le principal poste de contribution aux gaz à effet de serre en France et l’un des principaux leviers de la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Nous développons donc des activités de prêt à la réhabilitation thermique des logements, notamment au travers de notre produit phare, l’éco-prêt. L’année dernière, nous avons entre autres développé un produit (prêt Ambre) pour encourager la réhabilitation thermique des bâtiments publics. La Banque des territoires accompagne aussi des projets d’investissement en fonds propres dans les grands secteurs de la transition, notamment les énergies renouvelables (EnR), en ciblant les secteurs un peu moins matures comme l’éolien en mer ou le stockage de l’énergie. Nous accompagnons également des projets de mobilité durable, tels que la transition vers des carburants alternatifs dans les transports en commun, ou encore les usages du numérique au service de la mobilité durable. Enfin, la Caisse des dépôts participe au dispositif de contrats de transition écologique, mis en place par le ministère de la Transition écologique et solidaire, qui vise à accompagner les actions de différents acteurs à l’échelle locale. Les 16 milliards annoncés visent également à appuyer les entreprises. Notre filiale Bpifrance soutient ainsi le développement des éco-technologies et les développeurs EnR, mais aussi les entreprises des autres secteurs « traditionnels » de l’économie dans leurs investissements d’efficacité énergétique.

Quelle est la stratégie mise en place par la Caisse des dépôts pour réduire son empreinte carbone ?

L’objectif premier de la stratégie de décarbonation de nos portefeuilles de placement est de contribuer à la réduction des émissions au sein de l’économie réelle : des entreprises, des bâtiments, des infrastructures. En ce qui concerne les portefeuilles actions et dans une moindre mesure obligataires, nous nous appuyons sur plusieurs outils. Le levier d’action privilégié est le dialogue avec les sociétés que nous finançons pour les encourager à définir et réaliser des objectifs de décarbonation sur une partie significative de leurs activités. Néanmoins, si ce dialogue n’est pas fructueux, alors le groupe peut faire évoluer l’allocation de ses portefeuilles en faveur de titres moins émissifs. Ces leviers nous ont déjà permis de dépasser notre cible initiale [– 20 % de CO2 entre 2014 et 2020, NDLR] puisque nous sommes respectivement à – 37 % sur les portefeuilles actions et – 54 % sur les portefeuilles obligations. Autre portefeuille sur lequel nous avons défini une cible de décarbonation : les investissements immobiliers. Cette cible est exprimée en termes d’efficacité énergétique et alignée sur les politiques publiques [– 38 % à horizon 2030, NDLR]. Le pilotage thermique de ce portefeuille passe par trois leviers : l’acquisition d’actifs immobiliers très performants ou qui peuvent le devenir ; l’intégration d’une réhabilitation thermique dans le programme d’investissement sur le portefeuille ; et enfin la cession des actifs moins performants. Aujourd’hui, la moitié de la cible a été atteinte sur ce portefeuille.  

Vous avez évoqué l’engagement actionnarial sur le climat comme principal levier pour réduire votre empreinte carbone. Le groupe évoque régulièrement la nécessité de le renforcer. En quoi cela consiste-t-il exactement et comment comptez-vous y parvenir ?

Notre groupe est un investisseur de long terme. Lorsque nous accompagnons une entreprise nous avons deux attentes : la résilience climatique et la transparence sur ce sujet. Le dialogue est le principal moyen par lequel nous sensibilisons les entreprises pour les encourager à évaluer le risque climatique au regard de leurs stratégies, à le gérer et à en rendre compte auprès de ses financeurs. Nous ne sommes pas dans une simple logique de collecte de l’information mais dans une discussion engagée avec les sociétés dans lesquelles nous investissons. Nous priorisons pour cela les entreprises de secteurs réputés particulièrement sensibles aux risques climatiques. La résultante de ce dialogue bilatéral est intégrée dans nos décisions d’investissement, notamment en lien avec les objectifs de décarbonation à moyen terme de ces portefeuilles. Comprendre et suivre les pratiques des sociétés en termes de pilotage de leurs propres empreintes carbone nous permet de voir de quelle manière leurs stratégies sont compatibles avec la nôtre et d’ajuster si besoin nos décisions d’investissement. D’autres mécanismes de gouvernance plus formels peuvent aussi être mis en œuvre, notamment le vote en assemblée générale. Enfin, nous pouvons nous engager aux côtés d’autres investisseurs institutionnels français et étrangers afin d’homogénéiser nos demandes d’information auprès des entreprises. En ce sens, nous avons rejoint l’année dernière Climate Action 100+, une initiative collaborative qui vise les 100 principaux émetteurs de gaz à effet de serre pour travailler avec eux à l’amélioration de leurs gouvernances climatiques. Aujourd’hui nous suivons trois entreprises via ce canal.

Vous avez publié en octobre dernier votre premier rapport annuel « Obligation verte ». Quels en sont les principaux enseignements ?

Notre action en faveur de la transition énergétique est une priorité commune à l’ensemble des métiers du groupe. Il est très important pour nous d’être en mesure d’identifier l’impact de nos dispositifs et de le faire en toute transparence vis-à-vis de nos clients. Dans ce rapport, nous sommes attachés à détailler la trentaine de projets financés par cette émission et leur état d’avancement, ainsi que des indicateurs d’impact socio-économiques comme les créations d’emplois. Nous avons aussi pu indiquer que 54 000 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre avaient été évitées grâce aux projets financés par ce « green bond »  de l’établissement public en 2017. C’est la production moyenne d’une petite ville de 5 000 habitants sur une année. L’objectif est de répéter l’exercice l’année prochaine pour répondre aux attentes de transparence des investisseurs sur les actifs financés par cette obligation.