Guerre en Ukraine : l’UE renforce ses sanctions mais reste divisée

Publié le 13/04/2022

7 min

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Le 8 avril, l’Union européenne a annoncé une nouvelle série de sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine : un embargo sur le charbon russe et la fermeture des ports européens aux navires russes. Mais le débat sur la diversification des importations d’énergie reste un sujet brûlant dans l’Union, alors que de nombreux pays restent divisés, notamment sur l’arrêt des achats de pétrole et de gaz qui mettrait certains pays membres dans une tension énergétique et économique très conséquente. L’économie allemande « plongerait dans la récession en cas d’arrêt du gaz russe » ont averti ce matin les principaux instituts allemands de prévisions économiques.

Par la rédaction, avec AFP

 

Vendredi, le Conseil de l’Union européenne a adopté un nouveau train de sanctions contre la Russie, dont l’interdiction d’acheter, d’importer ou de transférer du charbon et d’autres combustibles fossiles solides produits en Russie ou exportés de Russie vers l’UE, à compter d’août 2022. Depuis le début de la guerre en Ukraine fin février, le Kremlin a engrangé 27,3 milliards de dollars avec les achats de pétrole, gaz et charbon de l’UE, selon Velina Tchakarova, directrice de l’Institut autrichien pour l’Europe et la politique de sécurité (AIES) – l’achat de charbon ne constitue qu’une petite part des recettes de la Russie. L’UE reste particulièrement divisée sur la question du gaz et du pétrole qui constituent pour certains « une ligne rouge » pour leur sécurité énergétique.

Fin de l’import de charbon russe en août

C’est la première fois que les Européens frappent le secteur énergétique russe, dont ils sont très dépendants, en particulier pour le gaz. L’UE importe 45 % de son charbon de Russie, pour une valeur de 8 milliards d’euros par an. Les sanctions comprennent également des interdictions d’exportation supplémentaires (y compris les carburéacteurs) d’une valeur de 10 milliards d’euros et de nouvelles interdictions d’importation (notamment sur le bois et le ciment) d’une valeur de 5,5 milliards d’euros afin de stopper le financement de l’effort de guerre de Moscou. Entre temps, le Japon a approuvé une interdiction des importations de charbon en provenance de Russie, rejoignant ainsi les États-Unis et l’UE dans les sanctions contre la Russie. En 2021, la Russie représentait 11 % des importations totales de charbon du Japon et était son cinquième fournisseur de brut et de GNL.

Les pays d’Europe centrales « déchirés »

Le 12 avril, les pays d’Europe centrale se sont déchirés à Prague sur la manière de sortir de leur forte dépendance énergétique à l’égard de la Russie, lors d’une réunion de leurs ministres des Affaires étrangères. La République tchèque et la Slovaquie se sont engagées à réduire leur dépendance au gaz et au pétrole russe, héritage de quatre décennies de régime communiste sous la coupe de Moscou. Mais la Hongrie, dont le Premier ministre Viktor Orban vient de remporter son quatrième mandat consécutif, reste prudente. « Nous avons une ligne rouge nette, à savoir la sécurité énergétique de la Hongrie« , a déclaré son chef de la diplomatie Peter Szijjarto, après avoir rencontré ses homologues autrichien, slovaque et slovène dans un château près de Prague. « Nous ne pouvons adhérer aux sanctions sur le pétrole et le gaz », a-t-il dit, tout en soulignant que Budapest avait, jusqu’à présent, soutenu toutes les séries de sanctions imposées par l’UE à la Russie. M. Szijjarto a également affirmé que le gouvernement hongrois continuerait à promouvoir la diversification des approvisionnements du pays en énergie. Le ministre slovaque des Affaires étrangères, Ivan Korcok, a quant à lui déclaré que son pays était prêt à mettre fin à sa dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz russes, mais que cela prendrait du temps. « La réalité, c’est que nous ne pouvons pas le faire du jour au lendemain« , a-t-il reconnu. Son homologue tchèque, Jan Lipavsky, a promis d’intensifier cet effort lorsque son pays prendrait la présidence tournante de l’UE en juillet, car « les revenus russes du commerce avec l’UE doivent être minimisés ». La Pologne, qui n’a pas participé à la réunion, espère s’affranchir du gaz russe d’ici à l’année prochaine et éventuellement du pétrole également.

L’UE organise sa diversification

L’Union européenne a lancé une nouvelle plateforme volontaire permettant aux pays membres d’acheter conjointement du gaz non russe, du GNL et de l’hydrogène, afin de bénéficier de prix stables et de faire tampon en cas d’éventuelles ruptures d’approvisionnement en gaz. Le bloc régional, qui s’est engagé à abandonner les combustibles russes d’ici 2027, présentera un plan détaillé en mai 2022. Les pays de l’UE envisagent une nouvelle loi obligeant les opérateurs de stockage de gaz à remplir les réservoirs à au moins 80 % de leur capacité d’ici le 1er novembre 2022 et à au moins 90 % d’ici le 1er novembre de chaque année à partir de 2023. Actuellement, selon le GIE, les réservoirs de l’UE sont remplis à 26 %.

L’Allemagne et le spectre de la récession

L’Allemagne plongerait dans la récession en 2023 en cas d’arrêt immédiat des approvisionnements en gaz russe décidé dans le sillage de la guerre en Ukraine, ont affirmé mercredi les principaux instituts allemands de prévisions économiques. En 2023, le produit intérieur brut de la première économie européenne reculerait de 2,2 % en cas d’arrêt des livraisons de gaz, dont l’Allemagne est particulièrement dépendante, affirment ces six organisations influentes (DIW, IFO, IFW, IWH et RWI). La perte de PIB cumulée sur 2022 et 2023 s’élèverait à environ 220 milliards d’euros, ou 6,5 % de la richesse annuelle, précisent-ils. « Si l’approvisionnement en gaz est arrêté, l’économie allemande est menacée d’une forte récession », commente Stefan Kooths, vice-président du IFW, dans un communiqué. La chute du PIB serait notamment de 5 % au deuxième trimestre de 2023, avant que l’économie ne se reprenne en fin d’année. Les conséquences d’un tel arrêt et la capacité de l’Allemagne à trouver des sources alternatives d’énergie à court terme fait l’objet de débats parmi les économistes. Dans une tribune publiée début mars dans Gaz d’aujourd’hui, le cabinet allemand Enervis, spécialiste des questions énergétiques, expliquait que l’Allemagne, en cas d’embargo total sur le gaz russe, « pourrait faire face environ deux mois mais guère plus, voir moins dans les scénarios froids ». Pourtant Berlin, qui se fournissait avant la guerre à plus de 55 % auprès de la Russie, a déjà réduit cette part à 40 % et multiplie les démarches pour trouver d’autres fournisseurs. L’Allemagne n’envisage pas pouvoir se passer de gaz russe avant mi-2024 et a activé fin mars le premier niveau de son plan d’urgence pour garantir l’approvisionnement en gaz naturel face à la menace d’un arrêt des livraisons russes. Les instituts relèvent globalement que l’économie allemande « traverse des eaux difficiles » et ce au moment où la levée des restrictions liées à la pandémie a pu donner un coup de fouet à l’activité. Les chaînes d’approvisionnement « sont toujours sous tension » alors que des restrictions nouvelles frappent la Chine notamment, et les « ondes de choc » de la guerre en Ukraine « ont un impact négatif sur l’économie, tant du côté de l’offre que de la demande ». Les conséquences de la guerre en Ukraine amènent ces six instituts à tailler dans leurs prévisions de croissance pour 2022, désormais attendue à 2,7 %, contre une estimation à 4,8 % en octobre. Cela se traduit également dans un taux d’inflation attendu de 6,1 % cette année et même 7,3 % en cas d’arrêt des livraisons de gaz, soit « la valeur la plus élevée depuis la fondation de la République fédérale« . En 2023, le taux serait encore de 5 % sans les livraisons et 2,8 % si elles sont maintenues.

Crédit : Shutterstock.