Biométhane : le cap stratégique de 28 milliards d’euros d’investissements dépassé

Investissements
02/07/2025
9 min
Près de treize pays européens affichent des volumes d’investissements dépassant le milliard d’euros dans le secteur du biométhane ©Shutterstock

Plus de 28 milliards d’euros d’investissements seront alloués d’ici 2030 au secteur du biométhane, selon une analyse de l’Association européenne du biogaz (EBA) publiée le 26 juin. Des investissements « massifs » et une capacité de production qui a atteint 7 milliards de mètres cubes (Gm³) par an à la fin du premier trimestre 2025, qui « ne suffisent pas cependant » pour l’EBA qui estime que la croissance pourrait « ralentir malgré le potentiel » si des signaux politiques et réglementaires ne sont pas donnés pour accélérer le développement du biométhane en Europe. La France est désormais le premier producteur de biométhane en Europe, ayant dépassé l’Allemagne avec une part de production supérieure de 21 % et un nombre d’installations trois fois plus élevé.

Par Laura Icart

En 2023, la production européenne de biogaz et de biométhane atteint les 234 TWh, soit 7 % de la consommation de gaz naturel de l’Union européenne cette même année. La filière du biométhane connaît une croissance importante dans toute l’Europe, avec une production qui s’élevait à la fin de l’année 2023 à plus de 52 TWh et une dynamique soutenue puisque 27 pays produisent désormais du biométhane. Dans son nouveau rapport « Biomethane Investment Outlook 2025 », le lobby européen des gaz renouvelables indique que 28,4 milliards d’euros d’investissements totaux sont prévus d’ici à 2030, voire un peu au-delà pour massifier la production de biométhane en Europe, mais « l’ambition ne suffira pas si un cadre politique clair n’est pas fixé ».

Biométhane : une production et un potentiel en hausse

Deux ans et demi après l’adoption du plan REPowerEU, en réponse à l’insécurité énergétique et à l’extrême volatilité des prix, la filière européenne du biométhane continue d’avancer, avec un objectif : atteindre 35 milliards de m3 de biométhane d’ici à 2030. La production potentielle de gaz renouvelable calculée par l’Association européenne du biogaz pour 2050, « entre 95 et 167 milliards de m³ », représente entre 38 % et 52 % de la consommation de gaz de l’Union européenne (350 milliards de m3 en 2022). Elle pourrait couvrir jusqu’à 60 % de la demande de gaz si celle-ci était réduite à 271 milliards de m3. En 2023, la production combinée de biogaz et de biométhane a continué d’augmenter en Europe, portée notamment par la dynamique de la filière biométhane dont la production a crû de quasi 20 % en une année, « une très bonne nouvelle » pour l’EBA alors que les objectifs climatiques de l’UE et la sécurité énergétique rendent nécessaire la défossilisation du gaz. 

Avant que « l’élan ne s’essouffle »

Le secteur européen du biométhane est en croissance, « mais pas assez rapide » selon l’EBA. Si la capacité de production installée a atteint 7 milliards de mètres cubes par an à la fin du premier trimestre 2025, soit une hausse de 9 % par rapport à 2024, la croissance commence à ralentir, bien que l’intérêt des investisseurs soit constant, avec un total de 28,4 milliards d’euros alloués à l’investissement dans la production de biométhane. Cela représente une augmentation d’un milliard d’euros par rapport aux investissements identifiés un an auparavant. Les investissements recensés par l’EBA, sur la base des réponses de 28 développeurs de projets et investisseurs, doivent permettre de porter la capacité annuelle de production à 7,3 milliards de m³ d’ici 2030, dont 6,7 milliards exclusivement en Europe. « Ce rapport montre que les industriels sont prêts. Mais sans vision politique claire, les financements ne suffiront pas à atteindre les objectifs de REPowerEU », souligne le directeur général de l’EBA, Harmen Dekker qui met en avant la « lenteur des procédures », « l’instabilité réglementaire » et « le manque de priorisation politique qui freine encore la concrétisation des projets ».

Plus de 26 milliards investis d’ici à 2030

Environ « 26 milliards seront investis en Europe d’ici à 2030 »note l’EBA, dont « 7,5 milliards pour la période 2025-2026 et 17,7 milliards pour la période 2027-2030 ». Le restant sera investi en dehors de l’Europe mais permettra « d’optimiser la production européenne » précise l’association. Si la France (22 milliards de mpar an) comme l’Allemagne (22 milliards de mpar an) et l’Espagne (20 milliards de mpar an) figurent parmi les pays ayant le plus grand potentiel de production de biométhane en 2050, d’autres pays affichent également leur ambition avec des volumes d’investissements particulièrement élevés. C’est le cas du Danemark (3,1 milliards d’euros) ou du Royaume-Uni (2,4 milliards d’euros). L’Espagne devrait investir près de 4,8 milliards d’euros pour atteindre une capacité annuelle de 17,3 TWh par an quand la France devrait bénéficier d’investissements à hauteur d’1,7 milliard d’euros. Des pays comme l’Italie, la Pologne, la Suède ou la Finlande suivent avec plus d’un milliard d’euros chacun, tandis que l’Allemagne, longtemps leader, ne prévoit que 200 millions d’euros d’investissement, soit moins que la Belgique. « Le cas allemand est symptomatique. L’incertitude réglementaire bloque les décisions alors que la capacité technique existe », estime un acteur de la méthanisation en Allemagne. Au Danemark, la part du biométhane dans le réseau de gaz avoisine déjà les 50 % et le pays vise 100 % en 2030. En France, la filière estime qu’elle a la capacité d’atteindre 20 % de gaz vert dans la consommation nationale en 2030.

La France, premier producteur européen de biométhane

La France est désormais le premier producteur de biométhane en Europe, ayant dépassé l’Allemagne avec une part de production supérieure de 21 % et un nombre d’installations trois fois plus élevé. En revanche, le Royaume-Uni et l’Allemagne connaissent une quasi-stagnation, principalement en raison de l’incertitude réglementaire. Des pays comme l’Italie, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède, bien que contributeurs importants, affichent une croissance annuelle plus lente comparée à d’autres grands producteurs. La taille moyenne d’une installation de biométhane en Europe est de 483 Nm³ par heure, bien que de grandes disparités existent à travers le continent. La France, malgré son leadership en nombre d’installations, exploite des unités plus petites, avec une moyenne de 251 Nm³ par heure. À l’inverse, l’Italie (727 Nm³ par heure) et l’Allemagne (605 Nm³par heure)) disposent d’installations plus grandes, contribuant davantage à la capacité totale. Le Danemark (1 468 Nm³ par heure) présente également un nombre réduit mais des installations nettement plus grandes. Plus de 85 % des installations sont connectées au réseau gazier, avec 47 % injectant dans les réseaux de distribution et 8 % dans les infrastructures de transport.

85 % des fonds dédiés à de nouveaux projets

Près de 85 % des investissements visent des projets “greenfield”, c’est-à-dire la construction de nouvelles unités. Cela représente 24,2 milliards d’euros. À l’inverse, seulement 700 millions sont consacrés à la reconversion de sites existants (« brownfield ») et 100 millions à des opérations de fusion-acquisition. Entre 2023 et 2024, 345 millions d’euros ont déjà été investis, conduisant à la mise en service de plusieurs dizaines de sites pour une capacité de 834 GWh. Près de 900 nouvelles installations sont prévues dans les cinq prochaines années. Tout n’est cependant pas si idyllique. Plus de 100 millions d’euros de projets ont été annulés ou suspendus en 2024, souvent en raison de retards administratifs ou de changements réglementaires. « Les porteurs de projets doivent jongler entre autorisations environnementales, raccordements au réseau et incertitudes tarifaires. Cela freine considérablement les ambitions », explique un responsable de projet dans le sud de l’Italie. L’EBA note aussi que 1,3 milliard d’euros ont été fléchés vers les infrastructures, en particulier pour développer les réseaux de pipelines, produire du bio-GNL pour le transport, ou capturer du bio CO₂, un débouché encore sous-exploité.

« Avec un potentiel à long terme d’au moins 150 Gm³ de biogaz, 177 millions de tonnes (Mt) de fertilisants organiques et 120 Mt de CO₂ biogénique d’ici 2050, les biogaz offrent une solution circulaire et locale pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’Europe » estime l’EBA qui rappelle que « chaque euro investi dans les biogaz restera dans l’Union européenne et apportera une valeur ajoutée de près de 50 %« . Mais pour passer à l’échelle, il faudra plus que des milliards. Des objectifs contraignants, une simplification des démarches et une stabilité réglementaire sont les leviers clés pour libérer tout le potentiel du biométhane européen.

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