« La reconnaissance du biopropane dans la PPE est une première étape »

Interview
26/11/2025
10 min

En France, environ 11 000 millions de foyers et 200 000 industriels utilisent quotidiennement les gaz liquides, principalement en zones rurales. Une énergie particulièrement visible dans les territoires pourtant « peu considérée » dans les politiques publiques énergétiques estime Aurélien Barbé, le président du  principal syndicat des gaz et biogaz liquides en France, France gaz liquides. Rencontre.

Par Laura Icart

« Je suis à moitié rural, à moitié parisien, et ça change beaucoup ma façon de regarder la transition énergétique » nous confie d’emblée Aurélien Barbé, directeur général de Butagaz, qui a également pris la tête en juin dernier de France gaz liquides. à 44 ans, ce natif des Alpes-de-Haute-Provence, arrivé à Paris il y a 20 ans pour entamer des études dans une école d’ingénieur puis dans la prestigieuse école de commerce HEC, a gardé de son enfance dans les gorges du Verdon « le goût de la proximité » et « le pragmatisme d’un territoire où l’énergie est visible », notamment via les bouteilles de gaz achetées à la superette du village. Une double casquette bien utile au moment où la filière des gaz liquides cherche sa place dans le débat énergétique français, tiraillée entre impératifs de décarbonation, réalités rurales et manque persistant de reconnaissance politique.

« Remettre les zones rurales au cœur de la transition énergétique »

Pour ce dirigeant, fils d’un garde forestier et d’une secrétaire de mairie qui revendique son ancrage territorial autant que son parcours dans les grands groupes du CAC 40, Danone, Amazon, arrivé il y a huit ans chez Butagaz, entreprise française créée en 1931, détenue par le groupe DCC Energy depuis 2015, la transition énergétique dans la ruralité ne doit pas être la « grande oubliée » du débat public français. « Je viens d’un territoire très rural, très peu dense, une vraie terre de propane. Il y a moins d’habitants dans ce département que dans le 15e arrondissement de Paris. » La question énergétique y est concrète, presque physique, avec un vrai sujet d’accès à l’énergie. « Dans la ruralité, l’énergie du quotidien, c’est la bouteille de gaz qu’on va chercher. Ou le camion qui livre le fioul ou le propane. À Paris, on appuie sur un bouton. » Il évoque une réalité trop « souvent absente » selon lui des discours nationaux. « Les maisons sont mal isolées, grandes, et les habitants ont souvent moins de moyens », dit-il, insistant sur le fait que « même avec des subventions, isoler complètement ces maisons et installer une PAC, c’est très cher ».

11 millions de foyers utilisent encore le gaz liquide

« Nous avons 11 millions de foyers utilisateurs, dont la moitié en ruralité pour la cuisson. C’est loin d’être marginal. » Sans compter « 200 000 clients industriels qui utilisent le propane pour leur process ». En 2023, une étude des Mines Paris Tech pour FGL avait mis le doigt sur une réalité concrète. En zone rurale, les logements sont en moyenne plus anciens, plus grands et plus énergivores que dans les villes. Selon les données de l’étude, 52 % des logements de ces territoires utilisent encore des sources de chaleur comme le bois, le fioul ou les gaz liquides (butane, propane), soit une part bien plus élevée que dans les zones urbaines où l’électricité et le gaz naturel dominent. Ces ménages, majoritairement propriétaires (70 %), subissent de plein fouet la hausse des coûts énergétiques : leurs dépenses en énergie sont 30 % supérieures à la moyenne nationale et jusqu’à 60 % plus élevées que celles des ménages de l’agglomération parisienne. Une situation aggravée par le fait que 22 % de ces foyers sont en situation de précarité énergétique. « Dans les territoires ruraux, la transition tout-électrique ne peut pas fonctionner partout, et sûrement pas tout de suite » souligne Aurélien Barbé.

« La PPE est un début de reconnaissance, mais ce n’est qu’une première étape »

La future PPE 3, toujours en attente de publication, mentionne dans la dernière version mise en consultation explicitement les gaz liquides comme énergie essentielle pour les zones non raccordées.  « C’est un début de reconnaissance important car jusqu’ici nous étions sous les radars. Réellement hors du champ politique », néanmoins le président de FGL estime que ce n’est qu’une première étape puisque la filière réclame l’inscription d’un objectif de 10 % de biogaz liquide en 2033. Même si, à ce stade, la rédaction de la PPE « ne devrait pas évoluer sur cette rédaction » nous confie un membre de l’administration. « Si la PPE nous reconnaît, les industriels pourront enfin investir » souligne Aurélie Barbé, évoquant l’importance d’avoir de la visibilité pour créer de la demande. Aujourd’hui, personne ne produit exclusivement du biopropane, « ce sont les bioraffineries qui arbitrent ». Car pour la filière des gaz liquides, la difficulté est bien là : au-delà se faire connaitre, le bioproprane est arrivé sur le marché français depuis moins de sept ans sur un marché où le gaz liquide ne représente que 1,5 % du mix énergétique ; la filière espère aussi obtenir de l’administration française un mécanisme de soutien à l’image, à l’image de ce qui a été mis en place en France au début des années 2000 pour le développement du biogaz et du biométhane. 

« Les industriels veulent décarboner, mais pas à n’importe quel prix »

 « Les industriels ont un vrai besoin de décarboner et, souvent, ils ne peuvent pas passer à l’électricité. Leur process ne s’y prête pas. » Il cite les sécheurs, les torréfacteurs industriels, les fours, le verre, la brique, les rotations mécaniques… « Dès que vous avez quelque chose qui chauffe, physiquement, il faut de la combustion. Le propane se prête très bien à ça, avec une bonne efficacité énergétique. » Mais l’équation économique reste brutale : « Ils veulent du biopropane, mais pas à n’importe quel prix. Un client me disait : “D’accord, c’est vert, mais si ça coûte + 120 %, je fais comment ?” » Aurélien Barbé constate une forme d’engagement malgré tout : « beaucoup de clients se sont fixés des trajectoires carbones dès 2019, parfois avant même qu’on parle de PPE. Ils n’ont pas attendu l’État pour commencer à décarboner. »

Un mécanisme de soutien dédié à la spécificité du biopropane ?

« Nous opérons un service d’intérêt rural, sans aucune subvention publique depuis un siècle » souligne Aurélien Barbé. En effet, le réseau du propane et du butane en France — sites, stockages, camions, logistique — est intégralement financé par les propaniers. « Le secteur est dominé par d’autres énergies toutes subventionnées : le biogaz, l’hydrogène, l’électrique. Quand vous n’avez pas de soutien public, vous êtes invisibles. » Encore une fois, l’enjeu est politique selon lui. « Le problème n’est pas technique. Il est réglementaire. Pour exister il faut être dans les textes, dans les quotas, dans les mécanismes d’aides. Nous n’y sommes pas. » Pour le président de FGL, il y a une vraie difficulté structurelle à surmonter : « celle du périmètre ». « Il faut trouver la bonne formule, le bon mécanisme de soutien, c’est dans cet objectif que nous dialoguons régulièrement avec l’administration. » Une bonne nouvelle néanmoins, la baisse du facteur d’émission du biopropane désormais évalué à moins de 43 gCO₂e/kWh sur la base « Empreinte » de l’Ademe contre 74 gCO₂e/kWh en 2020. En effet, les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées au biopropane issu du procédé HVO (hydrotreated vegetable oils). En cause : un bouleversement du mix d’intrants utilisé pour produire le biopropane, qui substitue désormais massivement les déchets organiques aux huiles végétales agricoles.

De nouveaux débouchés à trouver

Il insiste sur un mouvement majeur, souvent mal compris : « On ne s’en rend pas compte, mais les bioraffineries françaises sont en train de pivoter massivement vers les biocarburants. » Autrement dit, il y aura plus de biodiesel et donc plus de biopropane en coproduit. « Quand vous augmentez la production de HVO (biocarburant), vous augmentez mécaniquement la production de biopropane puisqu’il s’agit d’un résidu. Le risque, c’est qu’on se retrouve avec plus de biopropane disponible… mais pas nécessairement en France. Les producteurs peuvent arbitrer vers les marchés où les prix sont les plus élevés. » D’où l’importance de la reconnaissance, selon lui. « S’il n’y a pas un marché clair, lisible, et un cadre français structuré, la molécule ira ailleurs. » Mais dans l’industrie des biogaz liquides, il n’y a pas que le biopropane, il y a aussi le rDME, un gaz liquide produit à partir de diverses matières premières telles que les déchets résiduels ou le biogaz et par différentes voies, notamment la gazéification et le power-to-X. « Le rDME, c’est la grande promesse. Mais ça reste une promesse aujourd’hui » reconnaît Aurélien Barbé qui nous confie que, du côté de Butagaz, la technologie doit « faire ses preuves avant 2030 » sinon « cette piste sera vraisemblablement abandonnée ». En Europe, plusieurs expérimentations sont en cours, mais le modèle économique reste à trouver.


« La France a besoin d’un mix. Et le gaz liquide fait partie du mix. C’est une réalité physique et territoriale, pas une position idéologique. »
Car un pays qui mise « tout sur une seule énergie s’expose aux aléas climatiques, aux réseaux, aux prix, aux tensions géopolitiques » conclut Aurélien Barbé.

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