Minerais critiques : une alliance pour contrer la suprématie chinoise

Minerais critiques
01/11/2025
7 min
De l’éolien à l’hydrogène, du photovoltaïque aux batteries, les technologies au cœur de la décarbonation reposent sur des matériaux dits « critiques » – lithium, cobalt, nickel, terres rares, graphite. Or, la Chine contrôle aujourd’hui plus de 70 % de leur raffinage mondial et plus de 80 % de la production des composants clean tech essentiels.©Shutterstock

En marge de leur réunion à Toronto, les ministres de l’Énergie du G7 ont annoncé la création d’une alliance sur la production de minéraux critiques, un projet ambitieux visant à diversifier les chaînes d’approvisionnement en terres rares et autres minéraux essentiels à l’économie mondiale. Cette initiative intervient alors que la Chine exerce une influence croissante sur les marchés mondiaux de ces ressources stratégiques, utilisées dans des secteurs clés allant des technologies de défense aux énergies renouvelables.

Par Laura Icart

L’objectif est clair : réduire la dépendance au marché chinois. À l’heure où Pékin fait pression sur les exportations de terres rares, notamment celles nécessaires pour la fabrication de panneaux solaires et de missiles de précision, les pays du G7 entendent rétablir un équilibre en créant des alternatives durables et fiables. « Nous devons établir notre propre capacité à extraire, traiter, raffiner et fabriquer les produits issus des terres rares » a souligné ministre canadien de l’Énergie, Tim Hodgson, pays hôte du sommet, ajoutant qu’il était « crucial de redistribuer le pouvoir » sur le marché global des minéraux critiques. Les annonces du G7 interviennent dans un contexte géopolitique complexe. Quelques jours avant la réunion de Toronto, un accord entre les États-Unis et la Chine avait été signé pour suspendre certaines restrictions sur les exportations de terres rares. Bien que cet accord ait été salué comme un signe positif, il met en lumière la tension persistante entre les grandes puissances économiques concernant l’approvisionnement en minéraux critiques. « Nous devons diversifier nos routes d’importation pour ces matériaux, afin de garantir une plus grande sécurité d’approvisionnement à l’avenir » a assuré Katherina Reiche, la ministre allemande de l’Économie et de l’Énergie.

Une domination chinoise indéniable

La Chine, qui contrôle environ 80 % du raffinage mondial des terres rares, domine aujourd’hui ce secteur stratégique. Ce contrôle, combiné à des pratiques commerciales agressives – comme des subventions et des manipulations de marchés – lui permet de jouer un rôle central dans l’approvisionnement de l’ensemble des industries de haute technologie. Selon l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), la dépendance croissante des économies mondiales à la Chine pour l’approvisionnement en minéraux critiques pose un risque majeur pour la sécurité énergétique et industrielle. L’AIE alerte sur le fait que « les chaînes d’approvisionnement restent insuffisamment diversifiées » et qu’une plus grande concentration des ressources dans un seul pays pourrait conduire à des tensions géopolitiques. Concrètement, la forte concentration du marché signifie qu’il existe un risque de pénurie important si, pour une raison quelconque, l’approvisionnement en provenance du plus grand pays producteur « est interrompu » note l’AIE. Or, la réalité est implacable : d’ici à 2030, quelque 70 à 75 % de la croissance prévue de l’offre de lithium, de nickel, de cobalt et de terres rares raffinés proviendront des trois principaux producteurs actuels. Pour le graphite sphérique et synthétique de qualité batterie, près de 95 % de la croissance provient de la Chine. En réponse, les pays du G7 se sont engagés à contrer cette mainmise en développant des chaînes d’approvisionnement alternatives. « La priorité » est de construire des systèmes allant « de la mine à l’aimant », un processus aujourd’hui inexistant dans les pays occidentaux, a souligné lors de la conférence, Chris Wright, le secrétaire américain à l’Énergie, qui a précisé que « les États-Unis et leurs alliés doivent absolument développer leurs propres capacités de production et de traitement des minéraux critiques ».

L’Europe doit aussi jouer sa partition

Pour l’Europe, la question est désormais politique : jusqu’où peut-elle – ou veut-elle – dépendre de la Chine dans sa transition énergétique ? Car la décarbonation, si elle est mal maîtrisée, risque de se traduire par une « recarbonation » industrielle chinoise : l’Europe importerait des technologies « vertes » mais à forte empreinte carbone en amont rappelle Joseph Dellatte, chercheur spécialisé sur l’Asie, responsable du pôle énergie climat au sein de l’Institut Montaigne, dans une note mettant en avant la dépendance européenne inquiétante vis-à-vis de la Chine pour les matériaux critiques et les technologies dites « clean tech » publiée en juillet. « Le statu quo n’est pas une stratégie industrielle viable pour l’Europe » nous confiait-il il y a quelques jours, rappelant combien « la stratégie chinoise fonctionne principalement grâce à un fort taux de croissance économique, ce qui permet à la Chine de s’endetter de manière soutenue et d’investir massivement dans des surcapacités industrielles. L’Europe doit prendre conscience qu’elle est confrontée à une compétition déloyale qui ne se limite pas à des prix bas, mais qui repose également sur des stratégies industrielles étatiques agressives ». Le chercheur invite ainsi à créer une diplomatie industrielle. Les annonces du G7 vont en partie dans ce sens.

Des investissements et des partenariats stratégiques

L’alliance sur la production de minéraux critiques se traduira par une série de partenariats commerciaux et d’investissements entre les pays du G7, visant à développer les infrastructures nécessaires à une production locale plus robuste. Plus d’une vingtaine de nouveaux projets visant à infléchir la domination de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement en minéraux critiques ont été annoncés par le G7. Ces projets concerneront non seulement les terres rares, mais aussi des matériaux comme le lithium, le cuivre et le graphite. À long terme, les pays du G7 espèrent créer un réseau de chaînes d’approvisionnement transparentes, démocratiques et durables qui leur permettra de se défaire de l’emprise chinoise sur le marché mondial. Les projets phares de l’alliance incluent la création de facilités de raffinage et de traitement en Amérique du Nord et en Europe, des investissements dans des mines locales pour réduire la dépendance aux exportations chinoises et des partenariats stratégiques avec des entreprises privées spécialisées dans la recyclabilité des matériaux critiques. Ces investissements devraient atteindre plusieurs milliards de dollars d’ici 2030.

Le lancement de cette alliance sur la production de minéraux critiques pourrait bouleverser l’équilibre du marché mondial. En augmentant la production locale et en diversifiant les sources d’approvisionnement, les pays du G7 cherchent à contrer les pratiques de « coercition économique » qu’ils accusent la Chine d’utiliser pour maintenir sa domination sur le marché des terres rares. « Le message que nous envoyons est très clair, a conclu Tim Hodgson. Nous sommes sérieux dans notre volonté de réduire la concentration du marché et de sécuriser l’approvisionnement des minéraux critiques. » Alors que les tensions sur les chaînes d’approvisionnement ne cessent de croître, la mise en œuvre concrète de cette alliance pourrait se révéler un tournant majeur pour les futures dynamiques économiques mondiales, avec des répercussions profondes sur les prix des matières premières et les équilibres géopolitiques. Néanmoins, le défi reste de taille, et la fenêtre pour sécuriser ces ressources essentielles se réduit rapidement.

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