L’humanité a besoin de 1,8 Terre

Ressources planétaires
18/08/2025
12 min
©Shutterstock

Le 24 juillet 2025, l’humanité a consommé l’ensemble des ressources biologiques que la Terre régénère pendant toute l’année. La Terre vit désormais à crédit. « Actuellement, nous utilisons 80 % de plus que ce que les écosystèmes de la planète peuvent régénérer, soit l’équivalent des ressources que produirait 1,8 Terre » précisent le Global Footprint Network et son partenaire WWF. La planète est en « état d’urgence » lance l’ONG qui souligne que nous vivons désormais « dans le rouge » en entamant le capital naturel nécessaire au maintien de la vie sur Terre.

Par Laura Icart

En 206 jours, soit en un peu plus de sept mois, la Terre a épuisé son capital naturel. « Pour suivre la voie préférable du scénario 1,5 °C du Giec, nous devrions faire reculer la date de 10 jours par an » indiquait en 2023 l’ONG américaine Global Footprint Network. Actuellement, l’empreinte carbone représente 62 % de l’empreinte écologique de l’humanité. « Cette journée nous rappelle que la persistance du dépassement, depuis maintenant plus d’un demi-siècle, a entraîné un déclin considérable de la biodiversité, un excès de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et une concurrence accrue pour les ressources alimentaires et l’énergie » alerte l’ONG dans son communiqué. Autrement dit, l’humanité utilise les ressources naturelles comme si elle disposait de 1,8 Terre, selon les calculs de Global Footprint Network. Une telle surexploitation des ressources se traduit par des conséquences visibles : déforestation, érosion des sols, perte de biodiversité, et une accumulation continue de dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère.

Le jour du dépassement, késako ?

Chaque année, le Global Footprint Network calcule le « jour du dépassement » pour le monde en croisant l’empreinte écologique des activités humaines (surfaces terrestres et maritimes nécessaires pour produire les ressources consommées et pour absorber les déchets de la population) et la « biocapacité » de la Terre (capacité des écosystèmes à se régénérer et à absorber les déchets produits par l’homme, notamment la séquestration du CO2). Depuis les années 1970, la date du jour du dépassement se dégrade : le 29 décembre en 1970, le 11 octobre en 1990, le 29 juillet en 2019. En 2020, en raison des confinements liés à la pandémie de Covid-19, cette date avait été repoussée de trois semaines par rapport à 2019 (soit le 19 août).

Sans surprise, l’année 2021 a marqué le retour au niveau pré-crise sanitaire, soit au 29 juillet. Entre 2022 et 2024 ce jour a oscillé entre le 28 juillet et le 2 août. Pour tenir le rythme de notre consommation actuelle de ressources, il faudrait donc cette année 1,8 Terre pour subvenir de façon durable aux besoins de la population mondiale. Cet indice, qui vise à illustrer la consommation d’une population humaine en expansion sur une planète limitée, se décline également par pays. Ce sont plus de 15 000 points de mesure par pays et par an qui permettent au Global Footprint Network de calculer le jour du dépassement annuel des pays analysés.

L’endettement écologique s’accumule

Le déclin des polinisateurs, véritables garants de l’équilibre de la biodiversité, est une source d’inquiétude pour les scientifiques du monde entier. Sans eux la plupart des écosystèmes naturels pourraient s’effondrer. ©Shutterstock

Les événements climatiques extrêmes, de plus en plus fréquents, sont les symptômes de ce déséquilibre, alimenté par l’augmentation des températures mondiales. Une tendance qui, si elle continue, « risque de déstabiliser davantage les écosystèmes et de compromettre la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau pour les générations futures » estiment conjointement le WWF et le GFN. Dans sa dernière édition, le calcul du jour du dépassement basé sur les comptes nationaux de l’empreinte écologique montre une augmentation de 0,2 % de l’empreinte écologique mondiale par rapport à 2024. Cette hausse est essentiellement due à l’augmentation des émissions de CO₂, qui ont augmenté de 1,3 % entre 2022 et 2023, et continueraient d’augmenter de 0,8 % jusqu’en 2024. En 2025, l’empreinte écologique par habitant atteindra 2,65 hectares mondiaux, tandis que la biocapacité mondiale sera de seulement 1,49 hectare par personne. Ce déficit accumulé depuis le début des années 70, qui correspond à 1,16 hectare par personne, constitue un « endettement écologique » qui ne cesse de croître. « Nous dépassons les limites de ce que la planète peut supporter. Nous devons au moins 22 ans de régénération écologique à la Terre, même si nous arrêtons immédiatement toute surexploitation » souligne Lewis Akenji, membre du conseil d’administration de Global Footprint Network. Or, selon les experts, ce niveau de dette écologique ne pourra probablement pas être entièrement effacé. L’augmentation des niveaux de CO₂ dans l’atmosphère, par exemple, a été de 100 parties par million (PPM) depuis 1970, passant de 47 à 147 PPM par rapport aux niveaux préindustriels.

1,8 Terre pour subvenir aux besoins de l’humanité

Près de 3 milliards de personnes vivent dans des pays qui produisent moins de nourriture qu’ils n’en consomment et génèrent moins de revenus que la moyenne mondiale. Ce qui induit une « capacité alimentaire insuffisante et un énorme désavantage pour accéder aux ressources alimentaires sur les marchés mondiaux » précise l’ONG. Un nombre qui augmente à près de 5,8 milliards de personnes si l’on y intègre toutes les ressources et pas seulement les ressources alimentaires. Pour le WWF et le Global Footprint Network, les causes du dépassement sont depuis quelques années principalement liées au système agricole et alimentaire. « La moitié de la biocapacité de la planète (55 %) est aujourd’hui utilisée pour nourrir l’humanité – avec des modèles très différents les uns des autres » précise le communiqué. Une situation dont l’Europe serait « particulièrement responsable » avec un système basé sur « une agriculture intensive » et une « surconsommation de viande ». L’Union européenne a elle seule utiliserait près 20 % de la biocapacité de la Terre pour environ 7 % de la population mondiale. Autre fait notable à retenir : 72 % de la population, soit 8 milliards de personnes, vivent dans un pays qui présente un déficit de biocapacité et génère moins de revenus que la moyenne mondiale. 

« La sécurité des ressources est en train de devenir un paramètre essentiel de la puissance économique » souligne Mathis Wackernagel, fondateur du Global Footprint Network. « La surconsommation ne peut pas durer. Cela se terminera soit par une conception délibérée de solutions durables, soit par une catastrophe inévitable. Il est encore temps de choisir la première option » avertit-il. Pour l’ONG, plusieurs leviers existent, dans cinq domaines clés : les villes, l’énergie, l’alimentation, la population et la planète sont à activer pour reculer ce jour du dépassement. « Réduire de 50 % les émissions de CO2 provenant de la combustion de combustibles fossiles permettraient de déplacer la date de trois mois » souligne-t-elle. Autres leviers : l’utilisation de sources d’électricité renouvelable ou à faible teneur en carbone permettrait, si celle-ci passait de 39 % à 75 %, de repousser la date fatidique de 26 jours. « La réduction de moitié des déchets alimentaires permettrait de gagner 13 jours et la culture intercalaire d’arbres permettrait de gagner 2,1 jours supplémentaires. » De 2022 à 2023, l’AIE rapporte que les émissions fossiles ont augmenté de 1,3 %  et ont encore augmenté de 0,8 % entre 2023 et 2024.

144 pays ont au moins un jour de dépassement

À l’exception du Luxembourg (en février), les pays de l’Union européenne n’affichent pas de grands écarts pour la date de leur jour de dépassement, la plupart l’atteignant entre le 15 avril et le 15 mai et affichent une moyenne continentale autour du 29 avril. Mais dans le monde les écarts entre les pays s’avèrent nettement plus importants. Sans surprise, cette grande disparité est avant tout économique. Au palmarès des plus mauvais élèves, le Qatar, qui vit à crédit depuis le 6 février, ou encore les États-Unis (13 mars), le Canada (26 mars), la Russie (6 avril) et l’Arabie saoudite (8 avril). La Chine de son côté a entamé son crédit le 29 mai. Et si certains pays arrivent à tenir jusqu’au tout dernier jour du mois de décembre, comme la Jamaïque, d’autres, une cinquantaine au total, situés en grande majorité sur le continent africain et un peu en Asie du Sud-Est, ne vivent tout simplement pas à crédit.

« Actuellement, l’empreinte carbone, c’est-à-dire les émissions de carbone provenant de la combustion de combustibles fossiles, représente 62 % de l’empreinte écologique de l’humanité. »


Trois Terre pour subvenir aux besoins des Français

En France, le jour du dépassement était en moyenne le 5 mai depuis 2022, environ cinq mois plus tôt qu’en 1961 et quasiment trois mois avant la moyenne mondiale. Ce qui signifie concrètement que depuis trois ans, il faut à notre pays seulement quatre mois pour consommer tout ce que la nature a la capacité de régénérer en une année. Cette année, le jour de dépassement était le 19 avril : un recul de 16 jours par rapport à 2024 « qui s’explique par une mise à jour de la méthodologie scientifique utilisée par le Global Footing Network » indique le WWF qui évoque néanmoins « un mode de vie qui dépasse largement les limites planétaires ». « Si le monde entier consommait aujourd’hui comme les Français, il faudrait 3 Terre pour subvenir aux besoins des habitants » souligne Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France. « La France consomme 86 % plus que ce que ses propres écosystèmes peuvent régénérer », indique le Global Footprint Network.  

Si le jour du dépassement stagne, voire avance en France, c’est le cas aussi chez la plupart de nos voisins européens. Les Allemands ont par exemple atteint le jour du dépassement le 3 mai, loin derrière les pays du Bénélux qui ont respectivement atteint leur jour du dépassement le 17 mars pour la Belgique, le 17 février pour le Luxembourg et le 12 avril pour les Pays-Bas. L’Espagne a épuisé ses ressources au 23 mai, l’Italie, le 6 mai et le Royaume-Uni le 20 mai. Et si la population française aurait « besoin » de 3 Terre, se situant dans la fourchette haute où se trouvent la majorité des pays européens, la Belgique de son côté aurait besoin de 6,3 Terre. Outre-Atlantique, ce serait entre 4 et 5 planètes qu’il faudrait pour subvenir aux besoins des Américains, près de trois pour les Japonais et plus de sept Terre pour le seul Qatar.

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