« On passe d’une réglementation dont l’objectif était de faire progresser toutes les filières à une réglementation qui va purement exclure et créer des monopoles, tant sur l’aspect constructif que sur les systèmes énergétiques »

Publié le 30/11/2020

6 min

Publié le 30/11/2020

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Les derniers arbitrages relatifs à la réglementation environnementale ont été rendus publics le 24 novembre, ne laissant présager que peu de place aux solutions gaz dans les logements individuels et collectifs dans la construction neuve. Gaz d’aujourd’hui a demandé à Bernard Aulagne, président de Coénove, de réagir à ces annonces. 

Propos recueillis par Laura Icart

 

Comment analysez-vous cette volonté gouvernementale de faire disparaître progressivement le gaz de la construction neuve ?

Passée la surprise, il y a une forme de brutalité de l’annonce et un caractère « tout ou rien » qui est clairement dérangeant. On passe d’une réglementation dont l’objectif était de faire progresser toutes les filières à une réglementation qui va purement exclure et créer des monopoles, tant sur l’aspect constructif que sur les systèmes énergétiques. Il y a une expression que j’emploie souvent et qui me semble bien adaptée encore une fois : il n’est jamais bon de mettre tous ses œufs dans le même panier. De plus, alors même que RTE appelle ouvertement à la vigilance sur le système électrique sur les hivers à venir, pousser à l’électrification des usages nous semble incohérent. Sous couvert de respect de l’accord de Paris diront certains, de la nécessité pour le gouvernement de justifier dans les trois mois que la trajectoire de réduction des émissions à horizon 2030 pourra être respectée ou encore de la volonté de pacification des relations avec les membres de la convention citoyenne pour le climat, on brandit des annonces sans se préoccuper ni des réalités techniques ni de l’impact sur les filières. Et le plus grave en ce qui nous concerne, c’est la négation du gaz renouvelable qui se retrouve embarqué au même titre que le gaz naturel alors qu’il présente, selon la base carbone de l’Ademe, un contenu carbone de 44 g CO2e/kWh PCI quand il est de 227 g pour le second. Pour une réglementation centrée sur le carbone, il y avait pourtant là un paramètre de choix !

 » Le plus grave en ce qui nous concerne, c’est la négation du gaz renouvelable qui se retrouve embarqué au même titre que le gaz naturel alors qu’il présente, selon la base carbone de l’Ademe, un contenu carbone de 44 g CO2e/kWh PCI quand il est de 227 g pour le second. »

Après plusieurs mois de concertations, ce sont finalement les arbitrages de seuil carbone les plus bas qui ont été retenus par l’administration pour le logement individuel ?

Oui très clairement, les seuils les plus bas et seulement soutenus par les représentants de la filière électrique. Ce point est également important : nous ne sommes pas dans une opposition gaz-électricité comme la presse s’en fait parfois écho. Non, c’est une différence de vision flagrante entre la filière électrique d’un côté et, de l’autre, l’ensemble des autres filières, y compris des acteurs de la construction qui n’ont pas de parti pris pour une énergie ou une autre, mais avant tout le souci du pragmatisme et du réalisme dans la mise en œuvre. Nous le savions déjà mais nous le constatons une nouvelle fois de plus tirer cette conclusion : dans une concertation, toutes les voix n’ont pas le même poids… surtout quand EDF est présent.

« Nous ne sommes pas dans une opposition gaz-électricité comme la presse s’en fait parfois écho. »

Pour le logement collectif, la diminution des seuils carbone sera plus progressive (14 kg CO2/m2/an à l’été 2021 et 6 kg CO2/m2/an en 2024), pour permettre notamment la maturation de certaines technologies. Cependant en 2024 l’usage de la PAC hybride qui mixe pompe à chaleur et chaudière gaz sera toujours possible ?

Ce qu’il faut bien comprendre et retenir des annonces, c’est la volonté de ne plus avoir recours à des équipements reposant exclusivement sur l’énergie gaz naturel. L’hybridation des systèmes tels que les chaudières THPE associées à un CET mais également les PAC hybrides sont des solutions qui pourront tout à fait trouver leur place dans le logement collectif après 2024. Et il est une voie complémentaire dans laquelle nous croyons tout particulièrement qui consiste à allouer spécifiquement des consommations additionnelles de biométhane à un immeuble et pouvoir ainsi justifier du respect des seuils carbone de la réglementation : le dispositif Méthaneuf porté par GRDF. Le dossier est sur le bureau de l’administration depuis plus d’un an !

Qu’est ce que cette électrification massive des usages vous fait craindre pour l’avenir ?

La question de la sécurité d’approvisionnement électrique est le cœur du sujet. Il y a le logement certes via cette RE2020 mais également la volonté de développer la mobilité électrique et un recours grandissant au numérique, très consommateur d’énergie. Ce sont en fait de nombreux « nouveaux usages » visés par le gouvernement qui vont augmenter les besoins de fourniture d’électricité et peser sur la pointe électrique déjà tendue actuellement. De là à y voir une façon grossière pour relancer la construction de réacteurs nucléaires, il n’y a qu’un pas !

Enfin, l’usage du biométhane dans le bâtiment neuf ne semble pas une piste envisagée par le gouvernement. Pourquoi le regrettez-vous et que pensez-vous de la proposition de Barbara Pompili de flécher plutôt ce biométhane vers l’existant ?

Le gouvernement aime bien ces derniers temps se cacher derrière la SNBC… Reprenons justement les chiffres de la SNBC : en 2050, 33 TWh de gaz renouvelables sont alloués au logement. Cela veut dire quoi concrètement ? Qu’il y a largement la place pour à la fois alimenter les logements existants qui auront été rénovés et auront diminué d’autant leur consommation que pour continuer à alimenter la construction neuve, peu consommatrice par conception. Sur cette question, passez-moi l‘expression, la ministre dégage en touche sur la place des gaz renouvelables demain…