Surtensions en cascade et défaillances en chaîne : les leçons du blackout ibérique de 2025

Blackout
04/10/2025
6 min
Un groupe d'experts européens a présenté un rapport préliminaire sur la méga-panne électrique qui a frappé l'Espagne et le Portugal en avril 2025. Le document met en lumière le phénomène inédit des "surtensions en cascade", qui a provoqué la défaillance du réseau ibérique. ©Shutterstock

L’enquête des experts européens sur la méga-panne électrique qui a semé le chaos en Espagne et au Portugal en avril, présentée ce 3 octobre, met en avant les phénomènes de surtension. Une première en Europe, voire dans le monde, mais les causes profondes restent toujours inconnues.

Par la rédaction, avec AFP

Un événement sans précédent a secoué l’Europe au printemps dernier : la plus grande panne électrique que l’Europe ait connue depuis deux décennies. Le 28 avril 2025, en pleine journée, l’Espagne et le Portugal ont été plongés dans l’obscurité, victimes d’une série de défaillances liées à des surtensions en cascade. Si la France a été touchée de manière marginale, cet incident d’ampleur continentale soulève des questions sur la vulnérabilité du système électrique européen.

Une panne d’envergure historique

L’incident, survenu à 12h33 heure espagnole, a déconnecté l’ensemble de la péninsule ibérique du réseau électrique européen, provoquant une interruption totale du service, incluant l’électricité, mais aussi l’Internet et la téléphonie mobile. Près de 50 millions de personnes ont été affectées. En revanche, la France n’a subi qu’un impact marginal, surtout au niveau de la zone frontalière avec l’Espagne. Le rapport préliminaire de l’Entso-E (réseau européen des gestionnaires de transport d’électricité), publié fin août, met en lumière des facteurs inconnus jusqu’alors. « Il s’agit de la panne la plus grave qu’ait connue l’Europe au cours des 20 dernières années », a déclaré Damian Cortinas, président du conseil de l’Entso-E. Le phénomène de « surtensions en cascade » qui a causé cette défaillance est une première, non seulement en Europe, mais aussi probablement dans le monde. « Cela ne s’est jamais produit auparavant en Europe, nous en sommes sûrs », a-t-il indiqué à Bruxelles. Et probablement « dans le monde entier », a-t-il ajouté. La tension électrique peut se comparer à la « pression » de l’eau dans un tuyau : appliquée à l’électricité, c’est elle qui met les électrons en mouvement.

Des causes toujours floues

Les premières analyses des experts européens, bien que détaillant l’enchaînement des événements, n’ont pas encore permis d’identifier la cause primaire de la panne. Le groupe de 45 experts réunis par les autorités de régulation a collecté une quantité impressionnante de données des différents acteurs impliqués : gestionnaires de réseaux, producteurs d’électricité, autorités nationales et régionales. Cependant, des difficultés dans la transmission des données, notamment en Espagne, ont freiné l’avancée des recherches. Dans la demi-heure précédant l’incident, deux épisodes de fluctuations de tension et de fréquence ont été enregistrés, affectant gravement les systèmes électriques des deux pays. Plusieurs mesures d’atténuation ont été prises, comme la réduction des exportations d’électricité de l’Espagne vers la France, mais ces tentatives ont entraîné une augmentation de la tension sur le réseau ibérique. Le phénomène a été exacerbé par une série de déconnexions des installations de production d’énergies renouvelables, notamment éoliennes et solaires.

Surtensions et déconnexions : une réaction en chaîne

Les experts ont observé que les déconnexions des centrales électriques se sont produites à la suite de ces perturbations. Celles-ci ont engendré des hausses de tension supplémentaires, affectant encore plus le réseau. La question qui se pose maintenant est de savoir pourquoi les mécanismes censés limiter ces surtensions n’ont pas fonctionné. Certaines voix, comme celle de la ministre espagnole de la Transition écologique, Sara Aagesen, ont pointé du doigt la gestion du réseau électrique, jugée insuffisante pour contrôler les tensions ce jour-là.

Le rôle des énergies renouvelables sous le microscope

L’incident a également ravivé les débats sur le rôle des énergies renouvelables dans la stabilité des réseaux électriques. Si certaines critiques ont visé l’instabilité supposée de ces sources d’énergie, en particulier éoliennes et solaires, d’autres responsables, comme Beatriz Corredor, présidente du gestionnaire du réseau électrique espagnol REE, ont souligné que le problème résidait dans le contrôle insuffisant de la tension par certaines installations conventionnelles (centrales à gaz, nucléaires et hydrauliques). Le rapport de l’Entso-E confirme que la panne n’a pas été causée par une dépendance excessive aux énergies renouvelables, mais par une série de défaillances et d’événements en cascade qui ont pris de court le système.

Un stress-test pour le système européen

L’incident du 28 avril n’a pas seulement mis en avant les failles du réseau électrique ibérique, mais aussi la nécessité de renforcer la coordination européenne en matière de gestion de crise. Bien que le protocole d’intervention ait été respecté, la lente restauration du service et les disparités dans la transmission des informations montrent que la coopération transfrontalière reste insuffisante pour faire face à un tel incident. Dans un contexte de transition énergétique où la part des énergies renouvelables augmente, la stabilité du réseau devient un enjeu majeur. Le rapport final, attendu pour le premier trimestre 2026, devrait fournir des recommandations pour renforcer la résilience du système électrique européen. Des mesures visant à améliorer la transparence, la surveillance et l’harmonisation des outils de protection à l’échelle du continent seront cruciales pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise.

Ce blackout historique a servi de signal d’alarme pour toute l’Europe. Alors que les défis énergétiques se multiplient, la sécurité de l’approvisionnement en électricité devient plus que jamais une priorité. La question n’est plus seulement de savoir comment produire de l’énergie, mais aussi de comment gérer un réseau interconnecté, avec une consommation décentralisée et une transition vers des énergies renouvelables plus fragiles. L’Europe doit désormais tirer les leçons de cet incident pour anticiper les futures crises énergétiques et garantir un avenir plus stable et résilient pour ses réseaux électriques.

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