Sobriété, nucléaire, renouvelables : Élisabeth Borne trace le chemin

Publié le 17/11/2022

8 min

Publié le 17/11/2022

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À la tribune de l’Assemblée nationale le 16 novembre, la première ministre Élisabeth Borne a présenté la stratégie française pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, alors que les parlementaires auront dans les jours et les semaines qui viennent à étudier des textes structurants pour la politique énergétique française. Nucléaire, éolien, solaire, hydrogène, biogaz, toutes les énergies alliées à la sobriété seront utiles et nécessaires pour décarboner notre économie et atteindre la neutralité carbone en 2050. « Économiser massivement l’énergie est un objectif majeur pour les années à venir » a souligné la cheffe du gouvernement.

Par Laura Icart, avec AFP

 

« La décarbonation et la sobriété vont nous protéger des crises à venir. Elles permettront de mieux maîtriser les prix. Elles seront synonymes de justice sociale, car chacun contribuera selon ses moyens. Et nous aiderons ceux dont les modes de vie et de travail seront les plus impactés » a assuré Élisabeth Borne devant les députés mercredi, à l’occasion d’un débat sans vote sur la stratégie française vers la neutralité carbone en 2050. Dans un contexte de crise énergétique et d’urgence climatique, la Première ministre a rappelé que la sortie des énergies fossiles et l’atteinte de la neutralité carbone comme évoqué par Emmanuel Macron dans son discourt de Belfort, impliquait un changement sociétal profond et des choix radicaux. Si elle a souligné que la sobriété n’est pas une mode le temps d’un hiver, elle a cependant déclaré que ce n’est « ni par la peur ni par la pensée magique » que l’on parviendra à embarquer les Français.

Trois piliers pour « s’émanciper des énergies fossiles »

Par ailleurs, selon Élisabeth Borne, « la transition énergétique va de pair avec la croissance et la création d’emplois. Elle va accompagner la réindustrialisation et permettre l’émergence de secteurs et de filières d’avenir« . La cheffe du gouvernement a défendu la politique de l’exécutif, qui permettra de « limiter au maximum l’impact de la situation énergétique sur notre pays cet hiver ». Même si « nous nous préparons aussi à l’éventualité de devoir procéder à des coupures ciblées et de très courte durée ».  Pour être « la première grande nation industrielle à s’émanciper des énergies fossiles », le plan français « repose sur trois piliers », dont le premier est « la sobriété énergétique » avec un objectif de long terme : une baisse de la consommation énergétique de 40 % d’ici 2050. Le plan de sobriété présenté en octobre n’est pour le gouvernement qu’un « point de départ ». Deuxième pilier, « une production d’électricité décarbonée autour du nucléaire et du renouvelable », avec une réalité physique à avoir en tête : la nécessité en 2050 de produire jusqu’à 60 % d’électricité de plus qu’aujourd’hui selon le rapport de RTE. Le troisième repose sur « le développement de nouveaux vecteurs énergétiques, comme l’hydrogène décarboné ».

« Un mix diversifié est un atout et une protection »

« Nous devons avancer sur deux jambes, renouvelable et nucléaire » a insisté la Première ministre, expliquant qu’il n’y avait aucune « solution toute faite », répondant à certaines oppositions qui cèdent volontiers selon elle « au dogmatisme ». La Première ministre, qui a rappelé les ambitions gouvernementales en matière d’énergies renouvelables, estime que c’est un choix « écologique » et « pragmatique » mais aussi de « souveraineté » énergétique et industrielle en construisant des écosystèmes compétitifs sur notre sol, faisant référence à l’éolien mer ou demain à l’hydrogène. Une vérité qui se vérifie également sur le biogaz où plus de 90 % de la valeur se trouve en France et en Europe, mais nettement moins pour le solaire où l’éolien dont le marché est principalement en Chine aujourd’hui. Autre enjeu majeur pour la France : le vecteur hydrogène. L’hydrogène, « une opportunité économique » avec une filière nouvelle et 100 à 150 000 emplois à la clé et une « carte maîtresse » pour notre souveraineté. Élisabeth Borne a rappelé les investissement massifs de la France dans cette filière depuis deux ans : près de 9 milliards d’euros prévus jusqu’en 2030.

« Le biogaz sera alors le meilleur levier pour décarboner certaines industries »

La Première ministre a évoqué plusieurs filières « importantes » pour la transition énergétique et la décarbonation des usages alors que le gouvernement répète depuis plusieurs semaines que toutes les filières d’énergies renouvelables ont leur place. Les EnR thermiques sont pourtant peu citées dans le débat public. « La décarbonation de notre économie et de nos quotidiens s’appuiera également sur la géothermie, la biomasse, les biocarburants et le biogaz » a rappelé la Première ministre. Sur le biogaz , « nous sommes lucides » a-t-elle souligné, expliquant que « certaines industries ne pourront pas tout électrifier et auront toujours besoin de gaz ». « Le biogaz sera alors le meilleur levier pour décarboner. Il bénéficiera aussi à notre économie et à nos territoires » a-t-elle ajouté, rappelant les externalités positives pour les agriculteurs (engrais, revenu…) et pour les territoires (emploi, économie circulaire, traitement des déchets…). Le gouvernement, qui a pris plusieurs mesures règlementaires ces dernières semaines pour accélérer le déploiement de la méthanisation, évoque des « objectifs ambitieux » pour la méthanisation. Reste à savoir si ceux-ci se matérialiseront vraiment dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) attendue au Parlement au deuxième semestre 2023. Pour l’instant, les acteurs de la filière estiment à ce stade que les objectifs abordés dans le cadre des ateliers préparatoires de la PPE restent en deçà du potentiel de la filière. Accélérer le développement des projets de gaz renouvelables, ce sera aussi l’un des enjeux d’un projet de loi dédié au sujet.

Des oppositions peu convaincues

Si la Première ministre a aussi rappelé la volonté de l’exécutif de « moderniser » le parc nucléaire français et salué l’adoption du projet de loi sur les énergies renouvelables par le Sénat, se disant « convaincue que cette méthode et cet esprit de compromis pourront également prévaloir à l’Assemblée » lors de son examen en séance publique, ses arguments sont loin d’avoir convaincu les oppositions. Après l’élection d’Emmanuel Macron « sur la promesse d’une start-up nation« , les Français « découvrent aujourd’hui qu’ils vont peut-être devoir retrouver les bougies » cet hiver, a lancé le chef de file des députés LR Olivier Marleix, fustigeant « l’abandon de la filière nucléaire » et « l’absence de projet pour le champion national EDF« . « Nous n’envisageons évidemment pas de démanteler EDF, qui est au contraire un élément central de notre stratégie dans les domaines du nucléaire, de l’hydraulique et des réseaux. Notre intention est d’atteindre l’excellence industrielle dans tous ces secteurs » a rappelé Agnès Pannier-Ruancher. Le député RN Jean-Philippe Tanguy a lui qualifié les macronistes de « climato-hypocrites » qui seraient « aveuglés par l’idéologie mondialiste« , brocardant « la culpabilisation des Français ». « Ce qu’il faut, c’est relancer la seule filière qui a fait ses preuves, le nucléaire« , a-t-il martelé. La ministre de la Transition énergétique lui a répondu qu’elle était « surprise »  par ces propos « très déterminés en faveur du tout-nucléaire », soulignant que « cette position [au Rassemblement national, NDLR] n’a pas toujours été aussi claire » et en citant Marine Le Pen qui fixait en 2011 l’objectif d’une sortie du nucléaire « qui serait positive, qui limiterait les dangers pour le monde [et passerait] par l’investissement massif dans la recherche concernant les nouvelles énergies ». Pour le communiste Sébastien Jumel, le « dogme de la concurrence libre et non faussée » affaiblit « notre souveraineté et se révèle incapable de prendre soin de la planète« . L’énergie doit « échapper à la logique du marché« , a-t-il ajouté, appelant une « régulation par la puissance publique« . L’écologiste Julie Laernoes a de son côté critiqué « l’éternelle politique d’ébriété énergétique » du gouvernement et son « entêtement délétère au nucléaire ». « Il faut sortir de l’absurdie européenne » qui lie les prix de l’électricité et du gaz, a notamment plaidé quant à lui le socialiste Dominique Potier. « Il y a urgence pour le climat, il y a urgence à sortir des énergies carbonées et vous, vous procrastinez« , a lancé le député LFI  Matthias Tavel. « Vous pourriez tendre la main à la gauche en acceptant des mesures plus ambitieuses sur les renouvelables, mais le président de la République vous intime sur ce sujet comme sur les autres de regarder vers la droite », a-t-il ajouté.