Réchauffement : le cap des + 1,5 °C s’installe-t-il dans la durée ?

Le seuil de 1,5°C de réchauffement, le plus ambitieux de l'accord de Paris, est sur le point d'être atteint de façon stabilisée, calculée sur plusieurs décennies, estiment nombre de scientifiques ©Shutterstock

Publié le 09/05/2025

6 min

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 Le seuil symbolique de + 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle reste franchi pour le 21e mois sur les 22 derniers, accentuant les signaux d’une dérive climatique persistante alerte le service européen Copernicus dans un rapport publié le 8 mai. Le mois d’avril 2025 a été le deuxième mois d’avril le plus chaud au niveau mondial.

Par la rédaction, avec AFP

 

Pour le 21e mois consécutif,  la température moyenne mondiale en surface a dépassé de plus de 1,5 °C celle de l’ère préindustrielle. C’est ce que révèle le dernier Climate Bulletin publié le 8 mai 2025 par le service européen Copernicus sur le changement climatique. Les températures mondiales sont restées à des niveaux historiquement élevés en avril, poursuivant une série de près de deux ans de chaleur inédite sur la planète qui agite le milieu scientifique sur la vitesse du réchauffement climatique. 2024 a déjà été la première année au-delà du seuil de 1,5 °C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle, limite à long terme fixée par l’accord de Paris, indiquait, en janvier dernier, Copernicus.

Une anomalie qui s’installe

« Globalement, avril 2025 a été le deuxième mois d’avril le plus chaud jamais mesuré, prolongeant la longue séquence de mois où la température mondiale reste au-dessus de 1,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle », explique Samantha Burgess, responsable stratégique climat au sein du C3S. Avec une température moyenne de 14,96 °C, soit + 0,6 °C par rapport à la moyenne d’avril sur la période 1991-2020, avril 2025 devient le deuxième mois d’avril le plus chaud jamais enregistré, juste derrière celui de 2024. Au-delà du simple classement, c’est la persistance de l’anomalie thermique qui alarme les scientifiques. Le seuil de 1,5 °C, longtemps présenté comme une limite à ne pas franchir durablement dans les accords de Paris, semble désormais s’installer. Sur la période glissante de 12 mois allant de mai 2024 à avril 2025, la température mondiale moyenne a dépassé de 1,58 °C la référence préindustrielle (1850-1900). « Au rythme actuel, le 1,5 °C sera battu avant 2030« , estime aussi Julien Cattiaux, climatologue du CNRS joint par l’AFP. « On dit que chaque dixième de degré compte », car il multiplie les sécheresses, canicules et autres catastrophes météorologiques « mais actuellement, ils défilent vite », s’alarme le scientifique. « Maintenant, ce qu’il faut essayer de faire, c’est d’avoir un réchauffement climatique le plus proche possible » de la cible initiale car « ce n’est pas pareil si on vise un climat réchauffé de 2 °C en fin de siècle ou de 4 °C », rappelle-t-il.

Des anomalies régionales de plus en plus contrastées

En Europe, avril 2025 a été le sixième plus chaud jamais enregistré, avec une température moyenne de 9,38 °C, soit + 1 °C par rapport à la normale 1991-2020. Le continent qui se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale a connu en 2024 une série d’événements climatiques d’une rare intensité, notamment des inondations records. Des anomalies chaudes ont été observées sur l’ensemble de l’Europe de l’Est, la Russie occidentale, la Norvège et le Kazakhstan. En revanche, certaines zones comme la Turquie, la Roumanie ou la péninsule de Crimée ont connu des températures plus fraîches que la normale. À l’échelle mondiale, les écarts positifs les plus marqués ont été relevés dans l’est de la Russie, une grande partie de l’Asie centrale, l’Amérique du Nord et la péninsule Antarctique. À l’opposé, des températures inférieures à la moyenne ont été relevées en Amérique du Sud, au Canada oriental, au Groenland nord-oriental, en Australie septentrionale et en Antarctique Est.

Des océans surchauffés et une banquise affaiblie

La température moyenne de la surface des mers a atteint 20,89 °C en avril 2025, la deuxième plus élevée jamais mesurée pour ce mois, à seulement 0,15 °C du record d’avril 2024. Des anomalies très chaudes persistent, notamment dans le nord-est de l’Atlantique, où certaines zones enregistrent des records mensuels consécutifs depuis plusieurs mois. Côté cryosphère, la situation reste inquiétante. L’étendue des glaces de mer arctique est inférieure de 3 % à la moyenne, sixième valeur la plus basse pour un mois d’avril depuis 1979. En Antarctique, l’anomalie est encore plus marquée avec une réduction de 10 % de l’étendue moyenne, confirmant une fragilisation progressive des calottes glaciaires.

De nouveaux déséquilibres hydrologiques

Les conséquences du réchauffement sont également visibles dans les régimes de précipitation. L’Europe centrale, le Royaume-Uni, le sud de la Scandinavie et l’est du continent ont connu un mois d’avril plus sec que la normale. À l’inverse, des précipitations abondantes ont été enregistrées dans le sud de l’Europe, dans les Alpes – causant inondations, glissements de terrain et avalanches – ainsi qu’en Russie occidentale et en Afrique australe. Dans le reste du monde, des conditions très sèches ont été relevées en Amérique du Nord, en Asie centrale et en Australie méridionale, alors que l’Alaska, le Canada, l’Afrique centrale et le nord de l’Australie ont connu des épisodes pluvieux extrêmes, avec de nombreux dégâts à la clé.

Vers un franchissement durable de 1,5 °C ?

Le seuil de 1,5 °C de réchauffement, le plus ambitieux de l’accord de Paris, est sur le point d’être atteint de façon stabilisée, calculée sur plusieurs décennies, estiment nombre de scientifiques. Copernicus pense que cela pourra être le cas d’ici 2029. Si la moyenne sur un mois ou une année ne suffit pas, à elle seule, à activer les mécanismes de l’accord de Paris, la tendance à une stabilisation durable au-dessus du seuil de 1,5 °C est désormais « une hypothèse plausible » selon Copernicus. « Nous ne sommes pas encore entrés dans un monde à + 1,5 °C de manière permanente selon les critères de l’accord de Paris, qui se basent sur des moyennes décennales, rappelle le climatologue au CNRS. Mais la fréquence de franchissement de ce seuil montre que nous en prenons le chemin, et vite. » La question n’est donc plus uniquement de savoir si le seuil de + 1,5 °C sera franchi, mais à quel point et avec quelles conséquences régionales. Au-delà du diagnostic, « l’urgence est désormais d’agir à la hauteur des données » alertent les scientifiques.