Pollution de l’air : le gouvernement sonne « la mobilisation générale » face à l’urgence sanitaire et sociale

De gauche à droite : Jean-Luc Fugit, président du Conseil national de l’air ; Patrick Ollier, président de la Métropole du Grand Paris ; Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon ; Éric Fournier, maire de Chamonix et président de la Communauté de Communes de la Vallée de Chamonix Mont-Blanc — lors de la table ronde « retours d’expériences » organisée au Roquelaure de la qualité de l’air, le 12 mai 2025. @Clarisse Amouroux

Publié le 12/05/2025

9 min

Publié le 12/05/2025

Temps de lecture : 9 min 9 min

Après plusieurs semaines d’attaques contre le dispositif des zones à faibles émission (ZFE), la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, accompagnée des ministres de l’Aménagement des territoires et de la Santé François Rebsamen et Yannick Neuder, a organisé un « Roquelaure de la qualité de l’air » réunissant scientifiques, experts et élus locaux. Objectif pour le gouvernement : rappeler les impacts sanitaires, écologiques et économique de la pollution de l’air, responsable chaque année de plus de 40 000 décès prématurés selon Santé publique France.

Par Laura Icart

 

« La responsabilité politique, c’est de dire la vérité, de protéger les plus vulnérables et de construire des solutions durables, même si elles ne sont pas toujours populaires », a souligné la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher en conclusion du Roquelaure de la qualité de l’air, faisant référence aux attaques qui se sont multipliées contre les zones à faibles émissions (ZFE) ces dernières semaines. « Il faut éviter une « trumpisation » de la société » indiquait quelques minutes plus tôt le député du Rhône et président du Conseil national de l’air (CNA) Jean-Luc Fugit, soulignant le rôle « le rôle crucial » du CNA dans l’élaboration des politiques publiques, évoquant les velléités de suppression de certains et défendant la nécessité de maintenir des organes de dialogue structurant, notamment face aux défis environnementaux croissants.

Une priorité de santé publique majeure

« La pollution atmosphérique est désormais une priorité sanitaire, sociale et environnementale. » Forte de données préoccupantes, notamment sur l’état respiratoire des enfants, Agnès Pannier-Runacher a dévoilé une série de « mesures structurantes », appelant à un sursaut collectif face à ce fléau largement sous-estimé dans le débat public. La pollution de l’air est responsable de dizaines de milliers de décès prématurés chaque année, mais son impact s’étend bien au-delà. Elle compromet dès l’enfance la capacité respiratoire, affecte la gestation, déclenche des pathologies chroniques et pèse sur les finances publiques à hauteur de plus de 100 milliards d’euros selon une évaluation du Sénat qui sera prochainement actualisée par l’Ademe. « Il ne s’agit pas d’un sujet de confort, ni d’un débat technique sur les moteurs thermiques : c’est une question de santé publique, de justice sociale et d’efficacité économique », a martelé la ministre. Les deux autres  ministres présents, François Rebsamen et Yannick Neuder, ont affiché une volonté commune d’agir face à l’enjeu sanitaire de la pollution de l’air, tout en exprimant des sensibilités complémentaires. Le ministre de la Santé a souligné le lourd tribut payé par les plus fragiles, en rappelant que « la pollution de l’air est responsable de 40 000 décès prématurés chaque année » et qu’elle affecte dès la naissance « le capital santé des enfants ». Il a plaidé pour une approche de « santé globale » intégrant les inégalités d’exposition sociale et territoriale. François Rebsamen a de son côté insisté sur la nécessité d’une action territorialisée et concertée, évoquant les ZFE comme « une mesure efficace si elle est adaptée aux réalités locales » et défendant « la liberté d’appréciation des élus ». Tous deux ont appelé à une meilleure coordination interministérielle et à une mobilisation collective à la hauteur de ce « défi environnemental, social et sanitaire majeur ».

De nouvelles mesures annoncées

Agnès Pannier-Runacher a annoncé un effort « inédit » engagé pour renforcer la connaissance scientifique et l’évaluation des impacts. Santé publique France va actualiser son étude sur la mortalité liée à la pollution de l’air, avec un focus sur les enfants, tandis qu’une mission parlementaire flash sur les inégalités sociales et la santé pédiatrique sera lancée dans les jours à venir. « L’enjeu est de mettre des chiffres indiscutables sur des réalités dramatiques » indique Agnès Pannier-Runacher, évoquant 30 000 cas d’asthme infantile pouvant être évités chaque année si la France respectait les normes de l’Organisation mondiale de la santé. Le plan national de réduction des émissions polluantes sera renouvelé pour la période 2026-2029, avec une intensification des efforts sur la pollution issue du chauffage au bois, des transports routiers, maritimes et aériens, et des polluants émergents comme les PFAS (dits « polluants éternels »). Une enveloppe de 150 millions d’euros sera spécifiquement dédiée au financement des plans climat air énergie territoriaux (PCAET), afin de donner aux collectivités locales les moyens d’agir sans attendre la validation préfectorale. Parallèlement, une mission a été confiée à Eric Fournier, maire de Chamonix et président de la communauté de communes de la vallée de Chamonix-Mont-Blanc, pour identifier et diffuser les bonnes pratiques locales, « notamment inspirées des réussites observées à Chamonix ou Lyon ». 

« Plus de bon sens » dans la décision publique

Patrick Ollier, président de la Métropole du Grand Paris revient lors d’un échange avec plusieurs élus locaux  sur l’expérience concrète de la mise en œuvre des ZFE évoquant les difficultés rencontrées sur le terrain, entre résistance des populations, manque de pédagogie initiale et recul de l’État sur les aides financières. Il critique la réduction des subventions pour l’achat de véhicules propres et dénonce l’inconstance gouvernementale : « Si un État n’est pas capable d’avoir de la constance dans ses initiatives, c’est dramatique. » Il plaide pour une approche fondée sur la pédagogie, la progressivité et la justice sociale, rappelant que « sans moyens pour les plus modestes, on ne peut pas imposer de transition » et appelle à un retour au « bon sens » dans la méthode. « Il faut aussi arrêter vraiment la démagogie à tout niveau sur ces sujets, qui sont une priorité absolue, on ne joue pas avec la santé publique des Français » a indiqué Bruno Bernard, président de la Métropole de Lyon, évoquant la stratégie « ambitieuse et transversale » développée par la Métropole pour améliorer la qualité de l’air, articulée autour de deux grands leviers : la rénovation de l’habitat, avec 32 000 logements rénovés, financée par la métropole, une “prime d’air” comprise entre 1 000 et 3 000 euros attribuée aux foyers modestes pour remplacer les équipements de chauffage polluants mais aussi le développement des mobilités durables avec 2 milliards d’euros mobilisés pour les transports en commun et une tarification solidaire.  Éric Fournier  a rappelé que les territoires périphériques, avec leurs spécificités (mobilité contrainte, moindre densité de services, dépendance à la voiture), doivent être davantage inclus dans les dispositifs de transition. « La qualité de l’air est à la croisée des enjeux climatiques, énergétiques et sociaux, et nécessite une action collective, cohérente et pragmatique, loin des logiques fragmentées » a rappelé l’élu. Dans son intervention, il rappelé la fragilité particulière de la vallée de l’Arve face à la pollution : « On est en vallée, donc les polluants se dispersent moins. » Il a salué le plan de protection de l’atmosphère (PPA) comme un levier efficace, fruit d’un travail collectif : « Un PPA, ça marche surtout parce qu’on travaille ensemble. » Il a aussi pointé le flou des responsabilités institutionnelles : « La compétence, elle n’est pas si bien définie que ça. » Inquiet de la baisse de financement des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), il a insisté : « Il faut absolument qu’on ait une refonte du modèle économique. » Enfin, il a appelé à une coordination territoriale renforcée : « On a créé une communauté de travail qui dépasse complètement les frontières administratives. »

Les ZFE, sources de crispations politiques et sociales

Le gouvernement a réaffirmé leur caractère non négociable des ZFE dans les villes qui dépassent de manière continue les seuils réglementaire. À ce stade, seules Paris et Lyon devront impérativement mettre en place ces zones et restreindre l’accès aux véhicules les plus polluants. « Des résultats tangibles ont déjà été obtenus, comme à Lyon ou dans la Métropole du Grand Paris, où les émissions de polluants ont baissé de plus de 30 % en quelques années » indique le Ministère de la Transition écologique. Dans les autres villes, le gouvernement ne souhaite pas une suppression du dispositif mais son adaptation. Il proposera donc un amendement dans le cadre du projet de loi de simplification la surpression de l’automaticité pour les villes de plus de 150 000 habitants avec une mise en place des ZFE qui sera volontaire et une période d’adaptation jusqu’au 31 décembre 2026. Pour accompagner les ménages, des dispositifs de soutien sont maintenus : bonus écologique de 4 000 euros, prêts à taux zéro garantis par l’État, leasing social et aides ciblées pour les petits rouleurs ou les artisans. La ministre souhaite notamment que le dispositif du leasing social, qui reprendra en septembre 2025, puisse être ciblé en priorité sur des populations vivant dans des territoires concernés par les ZFE. Dans le cadre des discussions pour le PLF 2026, la ministre relancera le travail autour de la prime à la conversion. Enfin, Agnès Pannier-Runacher a adressé un message clair aux « populismes climato-sceptiques » : nier les faits, affaiblir la science ou caricaturer les mesures de santé environnementale revient à abandonner les plus modestes aux conséquences de la pollution. Les enfants issus des 10 % des ménages les plus pauvres sont deux fois plus exposés aux pathologies respiratoires liées à la qualité de l’air.