Pacte vert, transition, énergie : les candidats aux européennes passent leur grand oral devant le Medef

©L.Icart

Publié le 19/04/2024

11 min

Publié le 19/04/2024

Temps de lecture : 11 min 11 min

Ce 18 avril, les principales têtes de listes aux élections européennes ont passé leur grand oral devant un parterre de chefs d’entreprises réunis par le Medef. Simplification, normalisation, réindustrialisation, climat et mix énergétique ont été parmi les grands thèmes abordés lors du débat. Temps forts.

Par Laura Icart

 

« On n’est pas là pour emmerder le monde ! », « nous vivons un moment de bascule hamlétien», « Bruxelles est devenue une machine à normer et Paris une machine à surtransposer », « les États-Unis inventent, la Chine produit, l’Europe réglemente », « il n’y a pas de business sur une planète morte », « l’UE ne  peut pas être la variable d’ajustement de la mondialisation »… Elles ont été nombreuses les punchlines dans ce débat où les têtes de listes aux élections européennes Marie Toussaint (Les Écologistes), Marion Maréchal (Reconquête !), Valérie Hayer (Renaissance), Raphaël Glucksmann (PS), François-Xavier Bellamy (LR), Jordan Bardella (RN) et Manon Aubry (LFI) ont débattu trois heures durant devant les adhérents du Medef. Et à ce grand oral, il fut beaucoup question de normes, de simplification, de surtransposition, de compétitivité, du pacte vert mais aussi sans surprise d’énergie, devenue « la première question économique au monde » disait fin août, déjà devant les entrepreneurs de France, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire.

Retrouver une exigence européenne

Sur les enjeux énergétiques comme climatiques, les candidats ont exprimé des points de divergences très nets, notamment sur les moyens pour allier économie et écologie. Un sujet semble avoir fait consensus néanmoins, à l’exception peut-être du Rassemblement national et de Reconquête ! : la nécessité pour l’Europe de retrouver une souveraineté et de tracer le chemin de sa propre résilience économique, écologique et sociale aussi. « Nous avons besoin d’Europe mais nous avons besoin qu’elle retrouve un cap » souligne François-Xavier Bellamy, chef de file des Républicains qui estime que l’Europe « doit retrouver le goût de la liberté et de la simplicité ». « On vit un moment de bascule, un moment hamlétien » estime quant à lui Raphaël Glucksmann (PS) qui questionne « notre capacité à devenir puissant ou à se vassaliser et à disparaître », rappelant que les multidépendances de l’Europe, notamment énergétiques, « devenu davantage un continent de consommation que de production », nous ont beaucoup fragilisé alors même que le continent est confronté depuis plusieurs années à des crises multiples : la pandémie de covid 19, la crise énergétique, la guerre en Ukraine, pour ne citer qu’elles. Pour la candidate Renaissance Valérie Hayer, il faut « un triple choc » de simplification et d’investissement notamment pour que l’Europe ne soit pas «  la variable d’ajustement de la mondialisation » et « créer les conditions de sa compétitivité ». « Il faut remettre l’économie en adéquation avec les limites planétaires » souligne Marie Toussaint invitant les chefs d’entreprises à faire preuve de réalisme sur les coûts colossaux que ce « nouveau régime climatique va avoir sur la société », excluant toute remise en question des textes votés dans le cadre du pacte vert. « L’UE est aujourd’hui l’homme malade des économies développées »  argue la tête de file du Rassemblement national, actuel favori des sondages, Jordan Bardella qui accuse « Bruxelles d’être devenue une machine à normer et Paris une machine à surtransposer ». « Les États-Unis inventent, la Chine produit, l’Europe réglemente » ajoute François-Xavier Bellamy, quand Marion Maréchal estime que l’Europe est avant tout un « enfer fiscal et normatif ». Sortir de la naïveté notamment face à la concurrence déloyale semble avoir être le (seul) point de consensus de ce débat.

Être le premier continent neutre pour le climat

L’objectif final du pacte vert est de positionner l’Europe comme le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050. Une ambition nécessaire qu’il faut encore accélérer pour certains, ralentir pour d’autres, voire complètement arrêter. Et sur la feuille de route environnementale et climatique de l’Union, les candidats ont affiché des divergences certaines. Pour Valérie Hayer comme pour Marie Toussaint, Manon Aubry et Raphaël Glucksmann, il ne faut pas revenir en arrière, estimant que le pacte vert n’est pas « décroissant » comme certaines oppositions lui reprochent. « On n’est pas là pour emmerder le monde » affirme Marie Toussaint mais « nous n’avons pas de temps à perdre alors que six des neuf limites planétaires sont déjà atteintes » estime-t-elle devant les chefs d’entreprises, demandant « une amplification et une accélération » du pacte vert et évoquant le coût supplémentaire d’un monde à + 3 degrés à « 300 milliards par an ». « Il n’y a pas de business sur une planète morte » renchérit Manon Aubry, représentante de la France insoumise. Pour Raphaël Glucksmann, « il faut une deuxième phase d’investissements et de planification », « un IRA européen ambitieux et massif » pour notamment « libérer l’Europe de sa dépendance aux énergies fossiles » représentant toujours aujourd’hui près de 70 % du mix énergétique européen. « Il faut utiliser l’argent public pour une industrie qui sert une économie de besoins » indique Manon Aubry qui parle d’« un paradoxe européen », qui affiche une volonté de 40 % de panneaux photovoltaïques en Europe, sur un marché mondial écrasé par la Chine et alors même que les entreprises qui fabriquent des panneaux PV en France sont « en train de couler », évoquant le cas de l’entreprise nantaise Sistovi. Pour la candidate de la majorité présidentielle, le pacte vert a permis a de nombreux textes « importants pour les entrepreneurs » d’être mis en œuvre, comme la révision du marché du carbone ou la mise en place du MACF. Elle reconnaît toutefois la nécessité d’appliquer « une préférence européenne » pour booster la compétitivité du Vieux Continent. « Il faut changer l’orientation du Green Deal » lance François-Xavier Bellamy, invitant « à une pause réglementaire » lui qui estime que l’Europe « n’était pas du tout le premier contributeur » aux émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial et qu’elle devait « s’appuyer sur le marché » pour entraîner les autres vers la décarbonation. Pour Marion Maréchal et Jordan Bardella, le Green Deal est « une décroissance énergétique, sociale et agricole » qui ne sert aucunement les intérêts des Français.

Gagner en compétitivité « à tout prix »

Tous le reconnaissent : les besoins en investissements seront massifs dans les années à venir. Et pour soutenir la compétitivité de ses entreprises face à des concurrents américains et chinois qui ont injecté des milliards d’euros dans leurs économies, il faut clairement trouver des leviers financiers plus importants. Plusieurs solutions ont été évoquées pour soutenir l’attractivité et la réindustrialisation de l’industrie : mobiliser l’épargne, créer une véritable filière de la sobriété, soutenir l’émergence d’un fonds souverain, appliquer d’avantage d’éco-conditionnalité et une préférence communautaire. Les traités de libre-échange ? Ils sont pas responsables de tous les maux de l’Europe estiment certains candidats quand d’autres les voient comme complètement contraires « à l’équité et à la compétitivité ». « Nous sommes face à des guerres économiques » souligne Jordan Bardella estimant que le « patriotisme économique français et européen » sont la seule solution. « Les marchés publics doivent favoriser la commande locale à tous les niveaux » souligne Manon Aubry. « Tous les accords ne sont pas les mêmes » insiste Valérie Hayer, estimant que l’accord avec le Chili ou celui avec le Canada étaient « bons pour nos économies ». La candidate de Reconquête ! demande de son côté un moratoire sur la politique commerciale de l’UE, la jugeant peu offensive et illustrant son propos par les droits de douane payés par la Chine pour exporter ses voitures électriques en Europe « de l’ordre de 10 % » selon elle quand les États-Unis affichent une barrière douanière « de plus de 27 % ».

Sortir des oppositions  » stériles »

Interrogés sur l’opposition permanente entre nucléaire et renouvelables et sur l’importance d’instaurer une directive bas carbone en Europe, les candidats se sont exprimés sur la question énergétique. Sans surprise, Valérie Hayer a affiché son soutien à l’instauration d’une directive bas carbone, une initiative portée par la France et par l’ancienne ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher qui a beaucoup milité à Bruxelles pour la reconnaissance du caractère décarboné de l’atome. La candidate Renaissance a réaffirmé son soutien fort au nucléaire, à une politique d’investissement qui soutiennent les SMR et a réaffirmé la volonté de sa majorité de s’appuyer sur les « deux jambes nucléaires et renouvelables » tout en rappelant que la France avait gagné « près de 4 milliards d’euros grâce au marché de l’énergie » – à l’attention de ceux qui disent depuis des mois qu’il faut en sortir. Une ode au nucléaire qui a inspiré les oppositions : elles n’ont pas manqué de tacler la candidate de la majorité sur le revirement de la politique présidentielle sur ce sujet. « Vous avez enfin ouvert les yeux » estime Marion Maréchal qui estime que le nucléaire a besoin d’un investissement massif, d’un « grand plan à l’échelle européenne » et que l’argent est aujourd’hui « gaspillé idéologiquement » par l’Europe pour financer des énergies intermittentes. Pour Marie Toussaint, les leviers pour verdir le mix énergétique européen reposent avant tout sur une politique de sobriété pérenne. L’écologiste reconnaît la nécessité d’une directive bas carbone même si elle s’attend à des débats « engagés » sur ce qui sera dedans. Enfin, elle estime qu’il faut sanctionner les entreprises qui ne jouent « pas le jeu de la transition écologique », évoquant la nécessité de contraindre à réorienter l’argent de l’énergie fossile vers les énergies renouvelables. « Arrêtons l’hypocrisie » lance François-Xavier Bellamy, estimant être le seul à avoir à Bruxelles « une ligne constante » sur le nucléaire depuis cinq ans. « La première chose que vous devriez présenter aux Français, c’est vos excuses » lance-t-il à l’intention de Valérie Hayer, évoquant une « politique aberrante » ayant conduit la France « au bord du blackout ». Le candidat Les Républicains estime que le mix énergétique doit être « pluriel » évoquant notamment l’hydroélectricité et la position dogmatique de la Commission sur ce sujet mais réfutant l’intérêt d’un investissement massif dans l’hydrogène, notamment en France, en évoquant que le fait « que nous avons le mix énergétique le plus décarboné d’Europe ». Les politiques publiques européennes « doivent laisser la liberté aux États de choisir leur mix énergétique tant qu’il est décarboné et qu’il assure la souveraineté nationale » explique Raphaël Glucksmann, évoquant un « investissement massif dans les réseaux » et la nécessité d’être concentré sur « la finalité » de ce que nous voulons : décarboner et être souverain en adoptant une attitude « pragmatique » sur les moyens pour y parvenir et soulignant la nécessité de développer les renouvelables et le nucléaire.

Sujet majeur depuis deux ans, la question du coût de l’énergie est centrale pour Manon Aubry, aussi bien pour les citoyens que pour les entreprises. La chef de file des Insoumis à Strasbourg estime qu’il faut revenir à des tarifs réglementés fixés par l’État qui permettront d’assurer selon elle « la prévisibilité des prix de l’énergie sur le moyen et long terme ».