Nucléaire ou renouvelables : les Français ne choisissent pas

En 2024, 95% de l’électricité produite en France était décarbonée grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables ©Shutterstock

Publié le 28/04/2025

7 min

Publié le 28/04/2025

Temps de lecture : 7 min 7 min

Alors que la France cherche à dessiner les contours de son avenir énergétique, les Français oscillent entre fidélité au nucléaire et attrait croissant pour les énergies renouvelables. Un sondage Ifop pour l’observatoire Hexagone publié fin mars révèle un pays divisé, à l’image de notre classe politique, tiraillé entre souveraineté énergétique, préoccupations environnementales et réalités économiques. Si le gouvernement prône la complémentarité entre nucléaire et renouvelables, les Français qui font face à une augmentation constante de leurs factures énergétiques semblent également ne pas vouloir privilégier un modèle énergétique plutôt qu’un autre.

Par la rédaction de Gaz d’aujoourd’hui 

 

En 50 ans, l’opinion publique a basculé. En 1974, au sortir du choc pétrolier, la moitié des Français voyaient dans le nucléaire l’énergie de l’avenir. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’un tiers à lui accorder cette place selon un sondage réalisé par l’Ifop fin janvier « auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus ». À l’inverse, près d’un Français sur deux mise désormais sur les énergies renouvelables, qui n’étaient encore que marginales à l’époque. Entre hésitations énergétiques, incertitude économique et volonté de lutter contre le changement climatique, les Français semblent enclins à ne se priver d’aucun choix et ne veulent pas opposer les modèles. Du côté des filières des renouvelables électriques et du nucléaire, pas d’opposition non plus entre les deux modèles puisqu’elles ont publié en fin de semaine une lettre ouverte à l’attention des parlementaires pour pousser à l’électrification des usages et cela quelle que soit la source d’électricité choisie. 

Un pays sans consensus

Le débat entre nucléaire et renouvelables, pour ou anti, continue d’exister en France, malgré de nombreuses voix s’élevant ces dernières années contre l’absurdité d’une telle opposition. « Sortir du piège des oppositions stériles » et des « faux débats », c’est la demande de certains parlementaires mais aussi du Shift Project qui souligne dans une note publiée le 22 avril « la souveraineté par la décarbonation » et « l’impasse stratégique » d’opposer nucléaire et renouvelables. « Les deux sont indispensables, complémentaires et doivent être développés en parallèle, avec pragmatisme » ajoute le think tank, évoquant une mise en service des EPR pas avant 2038. Lorsqu’il s’agit de privilégier un modèle énergétique, la France se scinde en deux. Un peu plus de la moitié des sondés (51 %) souhaitent voir les énergies renouvelables prédominer, tandis qu’un quart (25 %) préfèrent miser davantage sur le nucléaire et 24 % souhaitent maintenir l’équilibre actuel. La fracture est aussi générationnelle et genrée. Les jeunes et les femmes expriment une préférence nette pour les renouvelables, tandis que les hommes et les plus âgés restent attachés au nucléaire. Chez les plus de 65 ans, près de la moitié continuent d’accorder leur confiance à l’atome, contre un tiers seulement en moyenne nationale. Un clivage qui révèle nos paradoxes, avec une énergie nucléaire vue comme garante de la souveraineté nationale et les énergies renouvelables qui incarnent, aux yeux d’une majorité, la promesse d’un avenir plus durable. Une dualité aussi alimentée par la classe politique française qui a incarné mieux que personne ces dernières semaines ces oppositions à coup de tribunes et d’envolées lyriques.

Les Français tournent le dos aux fossiles

Près de 46 % des Français citent aujourd’hui une énergie renouvelable, contre 20 % en 1974,  principalement le solaire pour 30 % d’entre eux, loin devant l’énergie éolienne (6 %) et l’énergie hydraulique (3 %). Les énergies fossiles pâtissent d’une image « très dégradée » selon les Français interrogés en matière de souveraineté énergétique. Sans surprise, les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz naturel – demeurent les principaux moteurs du changement climatique, responsables de plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de près de 90 % des émissions de dioxyde de carbone (CO₂). « Depuis la révolution industrielle, leur combustion a entraîné une élévation des températures mondiales d’environ 1,2 °C, perturbant les écosystèmes, exacerbant les phénomènes météorologiques extrêmes et menaçant la biodiversité » indique l’ONU. Mais elles exposent aussi fortement les populations mondiales dépendantes. Dans une étude publiée le 22 avril sur la sécurité énergétique, le cabinet Ember nous rappelle que 37 % de la demande mondiale d’énergie primaire provient des combustibles fossiles importés et que plus d’une cinquantaine de pays importent plus de 50 % de leur énergie primaire sous forme de combustibles fossiles. En dépit d’un mix électrique parmi les plus décarbonés au monde, la France demeure fortement dépendante des énergies fossiles. En 2023, ces dernières représentaient encore 60 % de la consommation énergétique totale du pays, une proportion qui reste élevée. La stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) ambitionne de réduire cette part à 40 % en 2030. Selon le sondage, 59 % des répondants déclarent ne pas faire confiance au pétrole pour assurer l’indépendance énergétique de la France (dont 29 % ne lui font « pas du tout confiance ») et 68 % expriment une défiance à l’égard du charbon (dont 43 % « pas du tout confiance »). À l’inverse, les Français accordent majoritairement leur confiance à l’énergie solaire (79 %, dont 28 % « tout à fait confiance »), à l’énergie hydraulique (71 %, dont 20 %) et même à l’énergie nucléaire (65 %, dont 23 %). 

La facture énergétique, nouveau fardeau du quotidien

Parallèlement aux interrogations sur le mix énergétique, un autre front s’ouvre, bien plus immédiat et bien plus impactant pour les Français : celui du pouvoir d’achat. Selon un autre sondage Ifop pour Hexagone, réalisé fin janvier 2025, une majorité écrasante des Français constate une hausse brutale de leur facture d’électricité (83 %) et de gaz (84 %) par rapport à l’année précédente. Pour 53 % d’entre eux, la hausse est même jugée « importante », un ressenti qui traverse toutes les classes sociales. Plus inquiétant encore : 68 % des Français déclarent avoir dû renoncer à certaines dépenses pour pouvoir payer leur énergie. Vacances annulées, chauffage réduit, alimentation amoindrie, soins médicaux différés… Si 12 millions de personnes sont concernées par la précarité énergétique en France, soit environ un Français sur cinq, beaucoup se trouvent aujourd’hui à la limite, alors que la facture d’énergie est devenu le deuxième poste de dépenses après le logement. Près de 30 % des ménages  français déclarent avoir souffert du froid pendant au moins 24 heures dans leur logement. Ils étaient 14 % en 2020 selon le médiateur de l’énergie. Fait notable, « la part de ceux qui restreignent systématiquement le chauffage a augmenté de 10 % en un an », pour s’établir à 70 %. Même si les hivers sont de moins en moins rigoureux, la France a davantage froid qu’il y a 10 ans. La hausse des foyers ayant souffert du froid s’élève à 30 %. Elle a augmenté de plus de 18 % par rapport à 2020. Le coût de l’énergie bouleverse la vie quotidienne et est devenu un sujet de préoccupation majeur pour les Français.