Nord Stream : que se passe-t-il en mer Baltique ?

Publié le 28/09/2022

9 min

Publié le 28/09/2022

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Hier, les autorités danoises et suédoises ont annoncé avoir détecté des fuites sur les gazoducs Nord Stream 1, à l’arrêt depuis début septembre, et Nord Stream 2, jamais mis en service faute d’autorisation du fait de l’invasion russe de l’Ukraine. Si les livraisons de la Russie vers l’Europe n’avaient déjà plus lieu, la question de la sécurité des infrastructures critiques du continent européen se pose. Retour sur 48h de réactions.

Par la rédaction de Gaz d’aujourd’hui, avec AFP

 

Sabotage, accident, attaque terroriste, acte malveillant et intentionnel : depuis hier les spéculations vont bon train. La grande majorité des experts interrogés ces dernières heures estiment que la thèse accidentelle pour qualifier ces trois fuites concomitantes survenues hier matin en mer Baltique est « fortement improbable ». Si Kiev a dès le début dénoncé « une attaque terroriste planifiée » par Moscou « contre l’Union européenne« , le Danemark a évoqué dans la soirée « un acte délibéré ». Le Kremlin a répliqué ce matin en déclarant « absurde et ridicule » ces accusations. Quelques heures plus tôt l’Union européenne avait évoqué par la voix de sa président Ursula von der Leyen « un acte de sabotage ».

Que s’est il passé le 27 septembre ?

Des fuites spectaculaires visibles à la surface avec des bouillonnements allant de 200 mètres jusqu’à un kilomètre de diamètre sont la résultante de plusieurs explosions sous-marines enregistrées à proximité des sites des fuites des gazoducs Nord Stream 1 et 2, « très probablement dues à des détonations », selon l’institut sismique suédois. Selon Mykhaïlo Podoliak, la Russie « veut déstabiliser la situation économique en Europe et semer la panique avant l’hiver« , sur fond de craintes d’une crise énergétique sans précédent en Europe dans les prochains mois. Une première « émission massive d’énergie » d’une magnitude de 1,9 a été enregistrée dans la nuit de dimanche à lundi au sud-est de l’île danoise de Bornholm, puis une autre de magnitude 2,3 lundi soir au nord-est de l’île, a expliqué à l’AFP Peter Schmidt, du réseau national sismique suédois. « Nous l’interprétons comme provenant avec la plus grande probabilité d’une forme de détonation« , a-t-il dit.  L’institut indépendant de séismologie norvégien (Norsar) a confirmé dans la foulée avoir lui aussi enregistré « une petite explosion » tôt lundi matin et une autre « plus puissante » lundi soir, qu’il suspecte d’être délibérées. « C’est une explosion d’importance. Il est tentant de penser que c’était le fait de quelqu’un qui savait ce qu’il faisait« , a déclaré à l’AFP sa directrice, Anne Strømmen Lycke. « Avec des émissions d’énergie aussi importantes, il n’y a pas grand-chose d’autre qu’une explosion qui peut l’avoir provoqué« , a souligné de son côté M. Schmidt. Les secousses ont été « très soudaines« , note le sismologue de l’université suédoise d’Uppsala. Les trois grandes fuites identifiées depuis lundi au large de l’île danoise de Bornholm sont visibles à la surface avec des bouillonnements allant de 200 mètres jusqu’à 1 kilomètre de diamètre, selon des images de l’armée danoise.

Un acte « délibéré » pour les autorités danoises

Les vastes fuites en cours dans les gazoducs Nord Stream 1 et 2 près d’une île danoise en mer Baltique sont dues à des « actes délibérés » et pas à un « accident« , a affirmé mardi soir la Première ministre danoise. « L’avis clair des autorités est qu’il s’agit d’actes délibérés. On ne parle pas d’un accident« , a déclaré Mette Frederiksen lors d’une conférence de presse de crise du gouvernement danois, sans toutefois désigner un suspect. Outre la profondeur des eaux, la conclusion de Copenhague se fonde notamment sur le fait que les trous par lequel s’échappe le gaz sont « trop gros » pour être de cause accidentelle et qu’ils ont été provoqués « par des détonations », a détaillé le ministre de l’Énergie Dan Jørgensen.  « Il n’y a pas encore d’information nous disant quelque chose sur les responsables« , a dit Mme Frederiksen. Les dommages causés aux deux gazoducs Nord Stream ont été constatés le jour de l’inauguration d’un gazoduc entre la Norvège et la Pologne, le Baltic Pipe, d’une capacité de 10 milliards de mètres cubes de gaz par an, construit pour réduire la dépendance des Européens au gaz russe. L’inspection des deux gazoducs Nord Stream délibérément endommagés par des explosions sous-marines au large d’une île danoise en mer Baltique ne pourra se faire avant une à deux semaines, a affirmé mercredi le ministre danois de la Défense. « C’est une très grosse explosion qui s’est produite et il faudra donc du temps avant que nous puissions y descendre« , a souligné le ministre à propos des gazoducs, qui sont situés à environ 80 mètres de profondeur.

Un acte de « sabotage » pour von der Leyen

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a estimé mardi que les fuites sur les gazoducs Nord Stream en mer Baltique étaient un « acte de sabotage ». « J’ai parlé de l’acte de sabotage Nord Stream à Mette  Frederiksen« , a écrit Mme von der Leyen sur Twitter. « Il est primordial d’enquêter sur les incidents et de faire toute la lumière sur les événements et leurs causes. Toute perturbation délibérée de l’infrastructure énergétique européenne active est inacceptable et entraînera la réponse la plus ferme possible« , a-t-elle ajouté.

L’UE met en garde contre toute attaque ciblant ses infrastructures

L’Union européenne a mis en garde ce matin contre toute attaque ciblant ses infrastructures énergétiques dans une déclaration publiée par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. « Toute perturbation délibérée des infrastructures énergétiques européennes est totalement inacceptable et fera l’objet d’une réponse vigoureuse et unie« , affirme M. Borrell au nom des 27 États membres de l’UE. « Toutes les informations disponibles indiquent que les fuites (constatées sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique) sont le résultat d’un acte délibéré« , a-t-il souligné. « Ces incidents ne sont pas une coïncidence et nous affectent tous« , a estimé Josep Borrell. « Nous soutiendrons toute enquête visant à faire toute la lumière sur ce qui s’est passé et pourquoi et nous prendrons des mesures supplémentaires pour accroître notre résilience en matière de sécurité énergétique« , a-t-il annoncé. Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, s’est également dit préoccupé par les fuites sur les deux gazoducs.

« Stupide et absurde » de soupçonner la Russie, dit le Kremlin

Il est « stupide et absurde » de soupçonner la Russie d’être derrière les fuites massives détectées après des explosions ayant touché les gazoducs Nord Stream, a déclaré mercredi le Kremlin, alors que les Européens dénoncent un « sabotage« . « Il était assez prévisible » que certains mettent la Russie en cause, a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. « Prévisible, stupide et absurde« , a-t-il ajouté. Ces fuites touchant Nord Stream 1 et 2 sont « problématiques pour nous, car les deux tubes sont remplis de gaz (russe) prêt à être pompé et ce gaz coûte très cher. Maintenant, ce gaz est en train de s’échapper« , a-t-il regretté. M. Peskov a appelé « tout le monde à réfléchir avant de s’exprimer, à attendre les résultats des inspections pour savoir s’il s’agit d’une explosion ou non« . « Cette situation exige du dialogue, une interaction rapide entre toutes les parties pour découvrir ce qu’il s’est passé. Pour l’instant, nous constatons une absence totale de dialogue« , a-t-il ajouté. Cependant la Russie qui vient d’ailleurs d’annoncer le fin du transit de gaz par l’Ukraine évoquant une faille dans le contrat avec Naftogaz n’a pas hésité à accuser les Américains d’être à l’origine des explosions, reprenant les paroles du président américain Joe Biden prononcées le 7 février dernier. « Si la Russie envahit (l’Ukraine), alors il n’y aura plus de Nord Stream 2 ». Une accusation balayée par la Maison Blanche qu’il l’a qualifiée de « ridicule ».

Quelles sont les conséquences environnementales et climatiques ?

Depuis la découverte des fuite ,lundi des milliers de tonnes de gaz naturel  est relâché dans l’atmosphère. Si l’impact sur la faune et la flore marine sera « limité » selon les experts, l’impact climatique est lui nettement plus à craindre. Composé principale de méthane, le deuxième plus grand contributeur au changement climatique après le dioxyde de carbone (CO2) et responsable d’environ 30 % du réchauffement planétaire actuel, ces fuites inquiètent les scientifiques. Les concentrations de ce redoutable gaz à effet de serre, un forceur climatique à courte durée de vie ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique, impactent aussi bien le climat que notre santé et ne cessent d’augmenter. « En 2019, les concentrations de CH4 n’ont jamais été aussi élevées depuis au moins 800 000 ans », indiquent les scientifiques du Giec.  A l’heure actuelle, les experts s’accordent à dire que les volumes contenus dans les deux gazoducs seraient d’environ environ 300 millions de m3, soit près de  200.000 tonnes de méthane.

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