Ma prime rénov’ : stupeur et tremblements dans la filière de la rénovation énergétique

Depuis sa création en 2020, plus de 1,8 million de dossiers ont été instruits, et environ 3,2 millions de logements ont bénéficié des aides dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov'. ©Shutterstock

Publié le 05/06/2025

6 min

Publié le 05/06/2025

Temps de lecture : 6 min 6 min

Levée de boucliers contre la suspension de Ma prime rénov’ : la filière de la rénovation énergétique toute entière s’inquiète de l’arrêt temporaire des demandes d’aides à la rénovation énergétique. Le secteur du bâtiment envisage des manifestations. Bien que le gouvernement justifie cette décision par des préoccupations liées à la fraude, la filière appelle à une clarification urgente et à la mise en place « d’une politique pérenne et cohérente » pour soutenir cette démarche essentielle à la décarbonation et à la réduction des factures d’énergie des Français.

Par la rédaction, avec AFP

 

Les ministres de l’Économie et du Logement ont confirmé le 4 juin une fermeture « cet été » du guichet de dépôt des dossiers de demande d’aide Ma prime rénov’ pour les rénovations énergétiques globales et les travaux d’isolation et de remplacement de chaudière isolés. Dans un communiqué commun, une vingtaine de fédérations expriment leur « stupéfaction » et leurs « inquiétudes« . Elles estiment que la réunion prévue ce vendredi au ministère de l’Économie pour discuter du marché de la rénovation énergétique n’a « plus lieu d’être car sans objet désormais » et demandent à être reçues par le Premier ministre, François Bayrou. L’absence de stabilité et de visibilité sur le dispositif menace non seulement les emplois et les entreprises du secteur, mais aussi la transition énergétique du pays, en ralentissant la rénovation des logements estiment les fédérations de professionnels du chauffage, de l’énergie, de l’électricité et du génie climatique comme l’UFE, le Synasav ou encore la Capeb. « C’est une décision contre les Français » s’insurge un acteur du secteur, en colère contre « un désengagement brutal de l’État ». « Sans stabilité du dispositif, a fortiori sans sa pérennisation, et sans sa simplification, ce sont des milliers d’entreprises d’installateurs, d’artisans du bâtiment, de distributeurs et d’emplois industriels qui sont directement fragilisés » indiquent les signataires du courrier. 

Un secteur « sinistré » avec les multiples crises

Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), juge la décision du gouvernement de fermer le guichet de dépôts de demandes d’aide Ma prime rénov’ « injustifiable, inqualifiable« , risquant de mettre « sur le carreau 100 000 salariés du secteur« . La FFB compte profiter de son congrès national le 13 juin pour « décider des mesures à prendre« , indique Olivier Salleron à l’AFP. « Ça va gronder« , ajoute-t-il, manifestations, blocages, montagse de grues dans des « lieux stratégiques » étant envisagés. Même volonté de protester du côté du syndicat des artisans du bâtiment, la Capeb, qui s’organise pour définir « un mouvement » afin de « réagir fortement et dire notre mécontentement« , selon son président Jean-Christophe Repon, interrogé par Franceinfo. La rénovation énergétique représente 30 % de l’activité des adhérents de la FFB et 600 000 salariés, selon Olivier Salleron. « Les TPE, PME, artisans, tout le monde est vent debout. Avec en plus la crise grave et historique du logement neuf, trop c’est trop, on ne va pas se laisser crever sans rien dire« , gronde-t-il.

Combattre le « fléau » de la fraude

La suspension concerne uniquement les nouveaux dossiers. « Les dossiers non frauduleux déposés avant la fermeture seront instruits et payés dans les meilleurs délais, et une démarche d’accélération de l’instruction sera mise en place« , a précisé le ministère chargé du Logement. « Les ménages veulent rénover performant. Les artisans sont prêts. Mais l’État, par ces annonces, n’est pas à la hauteur des enjeux sociaux, énergétiques et écologiques« , critique Vincent Legrand, président de Dorémi, société spécialisée dans la rénovation énergétique des maisons. « Les particuliers font leur budget et leurs travaux en fonction de Ma prime rénov’, si demain ils n’y ont plus droit, ils vont rester dans leur passoire énergétique« , s’inquiète Christophe Perrier, à la tête d’une entreprise de maîtrise d’oeuvre spécialisée en rénovation, extension et neuf, Elabor’plan. « Les gens n’ont pas les moyens de dépenser des millions. » Cette pause du dispositif est motivée par « un encombrement en ce moment et un excès des fraudes« , selon Eric Lombard, ministre de l’Économie qui évalue à 16 000 le nombre de « dossiers suspicieux », soit « 12 % du stock« . Jean-Christophe Repon voit comme une « bonne chose » que le gouvernement s’attaque au « fléau de la fraude » à condition que pour une fois il écoute les artisans du bâtiment pour créer les conditions d’un marché de la rénovation énergétique vertueux. « Ce qui ne pose pas problème, c’est la rénovation par geste« , qui désigne la réalisation d’un seul type de travaux de rénovation thermique. « Il faut la continuer, elle fait travailler les artisans« , réclame Olivier Salleron.

4,2 millions de passoires énergétiques

Le dispositif Ma prime rénov’, mis en place en 2020 pour aider les ménages à financer les travaux de rénovation énergétique, fait partie intégrante de la stratégie de décarbonation de la France, visant une neutralité carbone d’ici 2050. La politique de rénovation énergétique avait été définie comme un axe prioritaire pour la réduction de la consommation d’énergie et la lutte contre la précarité énergétique, avec un objectif de rénover 700 000 logements par an. Une ambition très loin de la réalité effective sur le terrain cependant, puisque selon l’Anah, environ 90 000 rénovations d’ampleur ont été réalisées, contre 200 000 attendues. Et ce sont principalement des rénovations par geste qui sont faites avec 340 800 opérations recensées en 2024.

« Il faut changer les règles » selon la ministre du Logement

La ministre du Logement, Valérie Létard, a estimé ce jeudi qu’il fallait « changer les règles » de Ma prime rénov’ et travaille pour « redéfinir un cadre » à appliquer à l’issue de la suspension estivale de ce dispositif d’aide à la rénovation énergétique. Interrogée par France Inter, Valérie Létard a dit réfléchir à un moyen de « rythmer la consommation de l’enveloppe [budgétaire] au fur et à mesure » de l’année, pour éviter un engorgement du dispositif et son arrêt en cas de surchauffe.