L’UE trace la voie à une interdiction progressive du gaz russe d’ici 2028

Sécurité énergétique
21/10/2025
9 min
Si les importations de pétrole sont tombées à moins de 3 % en 2025, le gaz russe représente toujours environ 13 % des importations de l'UE en 2025, soit plus de 15 milliards d'euros par an. ©Shutterstock

 

Les ministres de l’Énergie de l’Union européenne ont adopté ce 20 octobre à Luxembourg leur position commune sur un texte clé du plan REPowerEU, visant à mettre fin, « une fois pour toutes », aux importations de gaz naturel en provenance de Russie. Un accord politique de poids, qui prévoit une interdiction légale et progressive des livraisons russes de gaz par gazoduc comme sous forme de gaz naturel liquéfié ( GNL) d’ici au 1er janvier 2028.

Par Laura Icart

Ce texte, dont les contours ont été affinés ces derniers mois par la présidence danoise de l’UE, doit marquer un tournant dans la politique énergétique du continent, comme un « signal ambitieux de la volonté européenne de se libérer définitivement de la dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou ». « Une Europe énergétiquement indépendante est une Europe plus forte et plus sûre. […] Nous allons cesser de financer la machine de guerre russe et diversifier notre approvisionnement en énergie », a déclaré le ministre danois de l’Énergie, Lars Aagaard, saluant un « soutien écrasant » des ministres européens pour ce texte.

Une rupture stratégique avec l’héritage gazier russe

Depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022, l’UE a drastiquement réduit sa consommation de gaz russe. De près de 45 % des importations totales de gaz en 2021, cette part est tombée à 19 % en 2024, puis estimée à 13 % en 2025 — mais cela représente encore 15 milliards d’euros d’achats annuels qui financent indirectement l’effort de guerre du Kremlin. L’accord trouvé lundi entérine l’objectif d’un arrêt total des importations de gaz russe, avec une mise en œuvre graduelle : les contrats à court terme conclus avant le 17 juin 2025 pourront courir jusqu’à juin 2026, tandis que les contrats de long terme existants pourront aller jusqu’au 1er janvier 2028, date butoir fixée pour le bannissement complet. La sortie du gaz russe en 2028 « faisable pour le GNL » selon Anne-Sophie Corbeau chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’université Columbia, « mais il faudra que tout soit en place pour des pays comme la Hongrie et Slovaquie« . « Il faut, par exemple que le champ Neptune ait démarré comme prévu en 2027, que toutes les infrastructures entre les terminaux GNL en Croatie, Grèce, Pologne [etc…]soient en place ou augmentées à temps » précise t-elle.

Deux ans encore donc pour se sevrer totalement du gaz russe, un objectif ambitieux mais moindre par rapport à la volonté du Parlement européen qui avait approuvé la semaine dernière un texte visant à interdire toutes les importations de gaz russe, que ce soit par gazoduc ou sous forme de GNL dès le 1er janvier 2026. Un choix qui devrait néanmoins satisfaire le président américain Donald Trump, adepte du « forage à tout va », qui avait dénoncé lors de l’assemblée annuelle des Nations unies à New York début octobre, l’attitude « embarrassante » de l’Europe qui achète toujours du gaz et du pétrole à la Russie. Une attitude cohérente « pour ne pas alimenter le trésor de guerre russe contre l’Ukraine » dixit Donald Trump mais qui n’est pas contre alimenter le trésor américain alors que le pays de l’Oncle Sam est devenu le deuxième fournisseur de gaz de l’Union européenne en 2024 et le premier de gaz naturel liquéfié (GNL).

De 40 % en 2021 à 19 % en 2024

La part de la Russie dans les importations de gaz par gazoduc de l’UE est passée de plus de 40 % en 2021 à environ 11 % en 2024. Pour le gaz par gazoduc et le GNL combinés, la Russie représentait moins de 19 % des importations totales de gaz de l’UE en 2024. Cette baisse a été rendue possible principalement grâce à une forte augmentation des importations de GNL et à une réduction globale de la consommation de gaz dans l’UE.

Les importations en provenance de Russie sont passées de plus de 150 milliards de mètres cubes (BCM) en 2021 à moins de 52 BCM en 2024. Cette baisse a été principalement compensée par l’augmentation des importations en provenance d’autres partenaires. Les importations en provenance des États-Unis sont passées de 18,9 BCM en 2021 à 45,1 BCM en 2024. Les importations en provenance de Norvège ont augmenté, passant de 79,5 BCM en 2021 à 91,1 BCM en 2024. Les importations en provenance d’autres partenaires ont augmenté, passant de 41,6 BCM en 2021 à 45 BCM en 2024.

La Norvège était le premier fournisseur de gaz de l’UE en 2024, fournissant plus de 33 % de toutes les importations de gaz avec 91,1 milliards de mètres cubes. Suivent les États-Unis avec 45,1 BCM, l’Algérie avec 39,2 BCM et la Russie (par gazoduc) avec 31,6 BCM et via du gaz naturel liquéfié (GNL) à hauteur de 20 BCM. En 2024, l’UE a importé plus de 100 BCM de GNL. Les États-Unis étaient le premier fournisseur de GNL de l’UE, représentant près de 45 % des importations totales de GNL. Les importations en provenance des États-Unis en 2024 ont plus que doublé par rapport à 2021. Les plus grands importateurs de GNL dans l’UE sont la France l’Espagne et l’Italie. À noter qu’une partie de ces importations de GNL est réexportée vers d’autres pays. C’est particulièrement vrai pour la France et l’Espagne qui possèdent un grand nombre de terminaux méthaniers.

Le casse-tête des pays enclavés

Si le consensus a été large, des tensions ont émergé sans surprise du côté de la Hongrie et la Slovaquie, très dépendantes des hydrocarbures russes, qui ont exprimé une vive opposition. « Pour nous, l’approvisionnement en énergie n’a rien à voir avec la politique […]. Cette mesure va tuer notre sécurité d’approvisionnement énergétique », a notamment souligné Peter Szijjarto, ministre hongrois des Affaires étrangères, qui a dénoncé une approche « idéologique » du dossier énergétique. Pour ces États, certaines flexibilités spécifiques ont été intégrées dans le texte, notamment en matière de modification contractuelle à des fins strictement opérationnelles et d’aménagements pour les pays enclavés affectés par la reconfiguration des routes d’approvisionnement.

Un dispositif de contrôle renforcé

Le règlement met également en place un régime d’autorisation préalable pour toute importation de gaz, russe ou non, afin de garantir l’efficacité de l’interdiction. Les cargaisons mixtes de GNL devront fournir une traçabilité complète des volumes russes et non-russes, seuls ces derniers étant autorisés à entrer sur le marché européen. L’UE veut aussi se prémunir contre les détournements de règles via des opérations de transit. « Cela va donner beaucoup de travail aux douanes, sauf à déclarer des pays exportateurs en principe safe ou non » nous confie Anne-Sophie Corbeau qui précise que c’est une mesure possible mais qui sera complexe dans sa mise en œuvre. Des mécanismes de notification et de surveillance supplémentaires ont donc été inclus et la Commission européenne aura la charge de dresser une liste de pays exemptés de ces contrôles dans les cinq jours suivant l’entrée en vigueur du règlement.

Un cadre pour l’après-gaz russe

Le texte impose aux États membres la soumission de plans nationaux de diversification, sauf pour ceux qui prouvent ne plus importer de gaz russe. Cette exigence s’étendra également aux pays qui continuent de recevoir du pétrole russe, avec l’objectif affiché d’un arrêt total d’ici 2028. La Commission devra également procéder à une évaluation de la mise en œuvre dans les deux ans, tandis qu’une clause de suspension temporaire est prévue en cas de perturbations majeures de l’approvisionnement énergétique.

Ce texte, adopté par le Conseil, devra désormais être négocié avec le Parlement européen, qui, pour sa part, pousse pour une interdiction encore plus rapide, dès janvier 2026, sauf exceptions ciblées. L’UE semble désormais prête à assumer pleinement ce virage vers l’indépendance énergétique, au nom de sa souveraineté, de sa sécurité et de ses valeurs. Reste à transformer l’essai dans les prochaines semaines avec le Parlement. Si le calendrier est tenu, l’adoption finale pourrait intervenir avant la fin de l’année, sous présidence danoise. Un enjeu non seulement énergétique, mais aussi profondément géopolitique, plus de trois ans après le début de la guerre en Ukraine.

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