L’inaction climatique cause déjà « des millions de morts » dans le monde, alerte The Lancet

Climat
29/10/2025
7 min
Entre 2012 et 2021, la chaleur a causé en moyenne 546 000 décès par an, soit une hausse de 63 % par rapport aux années 1990 ; en 2024, les fumées d’incendies ont tué 154 000 personnes, un record historique, tandis que 2,52 millions de morts ont été attribuées à la pollution de l’air liée aux énergies fossiles en 2022, et que 61 % des terres émergées ont subi une sécheresse extrême, soit une augmentation de 299 % depuis les années 1950. ©Shutterstock

Canicules, sécheresses, pollution de l’air : les effets du réchauffement climatique sur la santé humaine atteignent des niveaux « sans précédent », avertit « The Lancet Countdown 2025 », rapport annuel de la revue médicale britannique The Lancet. Selon ce document, coordonné par l’University College London et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’inaction climatique se traduit déjà par des millions de morts évitables chaque année.

Par la rédaction, avec AFP

« Le changement climatique menace la santé à un niveau jamais observé », résument les auteurs, une centaine de chercheurs internationaux issus de 43 institutions. Ce message prolonge celui des précédentes éditions alors que les températures mondiales moyennes ne cessent d’augmenter. Une tendance alimentée par l’usage d’énergies fossiles qui a franchi un nouveau record en 2024. Le rapport, publié quelques semaines avant la COP30 organisée au Brésil, énumère de nombreuses conséquences de ce réchauffement, dangereuses pour la santé: vagues de chaleur, avec un poids particulièrement lourd pour les personnes âgées et les bébés, sécheresses, qui mettent en danger l’alimentation de nombreuses personnes, pollution aérienne, feux de forêts…

Des températures records et des morts évitables par millions

En 2024, la température moyenne mondiale a pour la première fois dépassé de plus de 1,5 °C les niveaux préindustriels, un seuil symbolique censé ne pas être franchi selon l’accord de Paris. Parallèlement, les émissions de gaz à effet de serre ont atteint un niveau record, malgré les alertes répétées de la communauté scientifique. Les conséquences sanitaires sont massives. Le rapport estime à 546 000 le nombre moyen de décès annuels liés à la chaleur entre 2012 et 2021, soit une hausse de 63 % depuis les années 1990. Les fumées des feux de forêt ont causé à elles seules 154 000 morts en 2024, un record historique. La pollution de l’air liée aux énergies fossiles a entraîné 2,52 millions de décès en 2022. « Chaque année, des millions de morts pourraient être évitées si les États agissaient à la hauteur de l’urgence climatique », souligne The Lancet.

Des populations de plus en plus exposées

Les phénomènes extrêmes se multiplient. Entre 2020 et 2024, les habitants de la planète ont été exposés en moyenne à 19 jours de canicule par an, dont 84 % n’auraient pas eu lieu sans le réchauffement climatique. Les bébés et les personnes âgées sont les plus vulnérables : les nourrissons ont subi près de quatre fois plus de jours de chaleur extrême qu’entre 1986 et 2005. Les épisodes de sécheresse extrêmes ont concerné 61 % des terres émergées en 2024 — près de trois fois plus qu’au cours des années 1950 —, mettant en péril la sécurité alimentaire de plus de 120 millions de personnes supplémentaires par rapport à la période 1981-2010. Dans le même temps, la multiplication des pluies violentes, des glissements de terrain et des inondations fragilise les systèmes de santé, déjà saturés.

Des maladies tropicales en expansion

Le rapport établit aussi un lien direct entre le réchauffement et la progression de certaines maladies infectieuses. Le potentiel de transmission de la dengue par les moustiques Aedes a augmenté de près de 50 % depuis les années 1950, contribuant à 7,6 millions de cas recensés dans le monde au premier semestre 2024. D’autres pathogènes comme les tiques transmettant la fièvre hémorragique de Crimée-Congo ou les parasites de la leishmaniose gagnent du terrain, exposant des centaines de millions de personnes supplémentaires.

Un coût économique et humain colossal

Outre les pertes humaines, le coût économique du dérèglement climatique explose. La chaleur a provoqué la perte de 639 milliards d’heures de travail en 2024, soit une perte économique estimée à 1 090 milliards de dollars — l’équivalent de 1 % du PIB mondial. Les catastrophes météorologiques extrêmes ont causé 304 milliards de dollars de dommages, en hausse de près de 60 % par rapport à la moyenne de la décennie précédente. Malgré cette situation, les politiques publiques reculent. Le rapport dénonce un « retour en arrière » mondial : la part des dirigeants évoquant le lien entre santé et climat à l’ONU est passée de 62 % en 2021 à 30 % en 2024. Aux États-Unis, le gouvernement de Donald Trump a démantelé plusieurs agences environnementales et retiré le pays de l’accord de Paris, entraînant un effet domino sur d’autres nations.

Des milliards de dollars encore investis dans les fossiles

Alors que le monde s’enfonce dans la crise climatique, les subventions aux énergies fossiles atteignent des sommets. En 2023, 73 pays, représentant 93 % des émissions mondiales, ont consacré 956 milliards de dollars à soutenir le pétrole, le gaz et le charbon. Quinze d’entre eux ont même alloué davantage d’argent aux subventions fossiles qu’à leur budget de santé. « Ces aides entretiennent notre dépendance aux combustibles polluants et privent les systèmes de santé des ressources nécessaires pour sauver des vies », déplore « The Lancet Countdown ».

« Il n’y a plus de temps à perdre »

Malgré le recul de certains États, le rapport note des signaux positifs. En 2023, les énergies renouvelables ont généré 12,1 % de l’électricité mondiale et représenté 10 % de la croissance du PIB global. En Chine, les émissions de CO₂ ont reculé pour la première fois, tandis que le Royaume-Uni est devenu le premier grand pays à diviser par deux ses émissions depuis 1990. « The Lancet Countdown » souligne aussi la montée en puissance des villes, ONG et tribunaux internationaux, comme la Cour internationale de justice, qui a confirmé en juin 2025 la responsabilité légale des États en cas d’inaction climatique.

À quelques semaines de la COP30 organisée à Belém, au Brésil, le message des chercheurs est sans ambiguïté : « Les menaces climatiques dépassent désormais la capacité d’adaptation des sociétés. Il faut agir immédiatement pour éviter une catastrophe sanitaire mondiale. » Le rapport plaide pour une transition juste et centrée sur la santé, articulée autour des énergies renouvelables, de la réduction des pollutions et du renforcement des systèmes de santé. « Chaque tonne de CO₂ émise aujourd’hui condamne des vies demain », conclut The Lancet. « La science est claire : l’inaction coûte plus cher que l’action. »

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