L’hydrogène, futur roi du rail ?

Publié le 16/12/2018

7 min

Publié le 16/12/2018

Temps de lecture : 7 min 7 min

 C’est une petite révolution dans la mobilité ferroviaire de demain : en septembre dernier, l’un de principaux constructeurs ferroviaires d’Europe, le français Alstom, a lancé sur les rails de la Basse-Saxe, en Allemagne, deux trains fonctionnant à l’hydrogène. Une première mondiale. Un train à hydrogène devrait circuler d’ici 2022 au Royaume-Uni. En France, l’idée fait son chemin et pourrait voir le jour d’ici peu.

Par Laura Icart

« Nous assistons à une première mondiale en Allemagne. Nous mettons sur les rails le premier train de voyageurs doté d’une pile à combustible. C’est un signe fort pour la mobilité de demain. L’hydrogène est une alternative au diesel réelle, efficace et peu polluante » a déclaré, le 16 septembre, Enak Ferlemann, commissaire du gouvernement fédéral allemand pour les transports ferroviaires et secrétaire d’État parlementaire du ministère fédéral des Transports et de l’infrastructure numérique, lors de l’inauguration de l’événement.

Alstom est l’un des premiers constructeurs ferroviaires au monde à développer un train de voyageurs alimenté par une pile hydrogène qui produit de l’énergie électrique par traction. « Le train Coradia iLint annonce une nouvelle ère dans le transport ferroviaire à « zéro émission » » explique Henri Poupart-Lafarge, président-directeur général du groupe français qui ne se contente pas de construire le train mais propose à ses partenaires « un produit clé en main » allant de la maintenance de l’appareil à l’installation d’une infrastructure de ravitaillement en hydrogène dédié.

Un modèle de train nommé Coradia iLint

Construit par Alstom à Salzgitter, en Allemagne, le Coradia iLint est ce nouveau train régional sans émissions de CO2. Il est exploité, depuis le 17 septembre, par de la compagnie de transport en commun de la Basse-Saxe LNVG, sur une ligne de près de 100 kilomètres reliant Cuxhaven, Bremerhaven, Bremervörde et Buxtehude, et remplacera ainsi l’actuelle flotte diesel de la compagnie ferroviaire régionale EVB. Peu bruyant, il circule à une vitesse de pointe de 140 km/h et possède une autonomie de près 1 000 kilomètres, équivalente à celle d’un train diesel. Un train « zéro émission » dont le secret a vite été éventé par les usagers du réseau Elbe-Weser qui ont facilement repéré ses deux grands réservoirs sur son toit. Équipé de piles à combustible, Coradia iLint transforme en électricité de l’hydrogène stocké et de l’oxygène ambiant. Des batteries ion-lithium permettent également de stocker le surplus d’énergie récupérée pendant les phases de freinage pour les réutiliser pendant les phases d’accélération, confirmant l’adage « rien ne se perd, tout se transforme »…

Du provisoire au durable

Il faut en tout et pour tout une quinzaine de minutes, à raison d’une fois par jour, pour permettre à un Coradia iLint de se préparer à parcourir les 1 000 kilomètres de ses trajets quotidiens. Comment ? Derrière les voies de la gare de Bremervörde, Alstom a installé une petite station de ravitaillement provisoire qui permet de transformer de l’hydrogène liquide en hydrogène gazeux et de l’injecter par le biais d’un conteneur en acier d’environ 12 mètres de haut dans les deux réservoirs pressurisés du train, pour alimenter les batteries. La mise en service d’une station de distribution pérenne sur le réseau d’EVB est prévue entre 2021 et 2022, année durant laquelle Alstom livrera 14 Coradia iLint supplémentaires à LNVG, conformément au contrat de 81 millions d’euros passé entre le groupe et la Basse-Saxe.

Après l’Allemagne, à qui le tour ?

Beaucoup d’autres pays ont signifié, selon Alstom, leur intérêt pour cette technologie. En premier lieu la Grande-Bretagne, la Belgique, les Pays-Bas ou encore les pays scandinaves mais aussi le Canada. Des pays dans lesquels la filière hydrogène est déjà pleinement structurée.

Breeze débarque au pays de sa Gracieuse Majesté

Les transports ferroviaires britanniques ont causé en 2017-2018 l’émission de 2 765 kilotonnes de dioxyde de carbone (CO2), soit l’équivalent de 40,8 grammes CO2 par passager et par kilomètre, selon un rapport de l’Office of Rail and Road britannique, publié en octobre dernier. Des chiffres respectivement en baisse de 6,6 % et 7 %, comparé à la période 2016-2017, et des baisses rendues possibles par des politiques plus volontaristes obligeant les acteurs publics et privés à favoriser la transition vers l’usage d’énergies moins carbonées. C’est donc assez naturellement que le Royaume-Uni se lance aujourd’hui  dans la grande aventure de l’hydrogène ferroviaire avec la mise en service de son train d’ici 2022. Conçu et développé par Alstom spécifiquement pour le marché britannique, Breeze est le petit nom de ce train du futur qui va faire table rase du passé. Enfin, pas vraiment… À chaque pays sa spécificité : le groupe français, qui utilise la même technologie que celle développée pour le Coradia iLint, s’est associé à Eversholt Rail, l’une des trois grandes compagnies ferroviaires britanniques qui détient un tiers du matériel roulant du Royaume. Les deux entreprises, en partenariat avec des industriels, ont fait le choix de reconditionner des rames électriques existantes, les Class 321, construites à l’origine par la British Rail Engineering Limited entre 1988 et 1991. « L’un des matériels roulants les plus fiables du Royaume-Uni » d’après Alstom va donc être réadapté pour accueillir une alimentation à pile hydrogène.

Alstom et Eversholt Rail ont annoncé avoir terminé leur première étude technique globale et finalisé le concept de design du train. « C’est le site d’Alstom à Widnes qui gérera la conversion des trains Breeze, créant ainsi des emplois en ingénierie de haute qualité dans ce nouveau secteur émergent » précise le communiqué. Si, à l’heure actuelle, 2 500 trains roulent encore au diesel en Grande-Bretagne, le gouvernement s’est fixé pour objectif d’éliminer l’intégralité du matériel ferroviaire fonctionnant au diesel d’ici 2040. L’arrivée de Breeze d’ici trois ans est un pas vers cette perspective.

En France, l’idée fait son chemin

La technologie d’Alstom fait également des remous en France où l’hydrogène commence à se faire une place de choix au cœur de la mobilité durable, sur fond de neutralité carbone visée en 2050. Convaincu du potentiel de l’hydrogène, Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire avait annoncé, le 1er juin dernier, un plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique afin d’accélérer le développement des solutions à hydrogène pour les transports routiers, ferrés ou fluviaux. Un appel à projets de l’Ademe a été lancé dans cette continuité au mois d’octobre, destiné à accompagner ce développement et à soutenir des « écosystèmes de mobilité hydrogène ».

Le 21 novembre, Alstom a présenté à la presse le train hydrogène conçu pour le marché français : le Coradia polyvalent (Régiolis), une version bi-mode électrique-hydrogène adapté à nos 14 000 kilomètres de lignes non électrifiées. Dans une note publiée durant l’été, le groupe établit à environ 500 (50 % de la totalité du parc français) le nombre de trains diesel à remplacer d’ici dix ans par des trains « zéro émission » et il estime que pour y arriver il faudra qu’il puisse livrer « avant 2028 une flotte de 25 à 50 trains à hydrogène, testée en conditions réelles ». Le lendemain de la présentation d’Alstom, le rapport sur le verdissement du matériel roulant ferroviaire était remis par Benoît Simian, député LREM de Gironde, à la ministre des Transports, privilégiant clairement l’utilisation de l’hydrogène via la pile à combustible. Et ceci avec l’annonce d’un objectif : l’homologation d’ici 2022 d’un premier train hydrogène pouvant circuler sur le réseau français.

Ce premier train devrait très probablement prendre la route de l’Occitanie où la présidente de la région Carole Delga a récemment annoncé une proposition pour l’acquisition de 16 nouvelles rames Régiolis, dont 3 roulant à l’hydrogène.